Conseil d'État
N° 466929
ECLI:FR:CECHR:2025:466929.20251110
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Antoine Berger, rapporteur
BREDIN PRAT, avocats
Lecture du lundi 10 novembre 2025
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 6 novembre 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle la Première ministre a refusé d'abroger les dispositions du 2° du paragraphe III de l'article 1er du décret n° 2020-1724 du 28 décembre 2020 relatif à l'interdiction d'élimination des invendus non alimentaires et à diverses dispositions de lutte contre le gaspillage, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante :
" Les étiquettes directement apposées sur les fruits et légumes constituent-elles, en toute hypothèse, des emballages au sens de l'article 3 de la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d'emballages et de l'annexe I à cette directive ' "
Par un arrêt n° C-772/24 du 1er août 2025, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur cette question.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'État du 6 novembre 2024 ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 ;
- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 25 avril 2022, l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais a saisi le Premier ministre d'une demande tendant à l'abrogation des dispositions du 2° du III de l'article 1er du décret du 28 décembre 2020 relatif à l'interdiction d'élimination des invendus non alimentaires et à diverses dispositions de lutte contre le gaspillage. Le silence du Premier ministre sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet, dont l'association requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir.
2. Aux termes de l'article 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire : " Au plus tard le 1er janvier 2022, il est mis fin à l'apposition d'étiquettes directement sur les fruits ou légumes, à l'exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées. " Aux termes de l'article R. 543-73 du code de l'environnement, dans sa version issue du 2° du III de l'article 1er du décret du 28 décembre 2020 relatif à l'interdiction d'élimination des invendus non alimentaires et à diverses dispositions de lutte contre le gaspillage : " Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe le fait : (...) 4° D'apposer une étiquette directement sur un fruit ou un légume, à l'exception de celles qui sont compostables en compostage domestique et constituées de tout ou partie de matières biosourcées, en méconnaissant ainsi l'article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ".
3. En premier lieu, aux termes de son article 1er, la directive 94/62 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 relative aux emballages et déchets " a pour objet d'harmoniser les mesures nationales concernant la gestion des emballages et des déchets d'emballages afin, d'une part, de prévenir et de réduire leur incidence sur l'environnement des Etats membres et des pays tiers, et d'assurer ainsi un niveau élevé de protection de l'environnement, et, d'autre part, de garantir le fonctionnement du marché intérieur et de prévenir l'apparition d'entraves aux échanges et de distorsions et restrictions de concurrence dans la Communauté ". L'article 2, paragraphe 1 de la directive prévoit qu'elle " s'applique à tous les emballages mis sur le marché dans la Communauté et à tous les déchets d'emballages, qu'ils soient utilisés ou mis au rebut par les industries, les commerces, les bureaux, les ateliers, les services, les ménages ou à tout autre niveau, quels que soient les matériaux dont ils sont constitués. " La notion d'emballage est définie à l'article 3 de la même directive, aux termes duquel : " Aux fins de la présente directive, on entend par : 1) " emballage ", tout produit constitué de matériaux de toute nature, destiné à contenir et à protéger des marchandises données, allant des matières premières aux produits finis, à permettre leur manutention et leur acheminement du producteur au consommateur ou à l'utilisateur, et à assurer leur présentation. Tous les articles " à jeter " utilisés aux mêmes fins doivent être considérés comme des emballages. L'emballage est uniquement constitué de : / a) l'emballage de vente ou emballage primaire, c'est-à-dire l'emballage conçu de manière à constituer au point de vente une unité de vente pour l'utilisateur final ou le consommateur ; / b) l'emballage groupé ou emballage secondaire, c'est-à-dire l'emballage conçu de manière à constituer au point de vente un groupe d'un certain nombre d'unités de vente, qu'il soit vendu tel quel à l'utilisateur final ou au consommateur, ou qu'il serve seulement à garnir les présentoirs au point de vente; il peut être enlevé du produit sans en modifier les caractéristiques ; / c) l'emballage de transport ou emballage tertiaire, c'est-à-dire l'emballage conçu de manière à faciliter la manutention et le transport d'un certain nombre d'unités de vente ou d'emballages groupés en vue d'éviter leur manipulation physique et les dommages liés au transport. L'emballage de transport ne comprend pas les conteneurs de transport routier, ferroviaire, maritime et aérien. / La définition de la notion d'" emballages " doit reposer en outre sur les critères exposés ci-dessous. Les articles énumérés à l'annexe I sont des exemples illustrant l'application de ces critères. / i) Un article est considéré comme un emballage s'il correspond à la définition susmentionnée, sans préjudice d'autres fonctions que l'emballage pourrait également avoir, à moins que l'article ne fasse partie intégrante d'un produit et qu'il ne soit nécessaire pour contenir, soutenir ou conserver ce produit durant tout son cycle de vie et que tous les éléments ne soient destinés à être utilisés, consommés ou éliminés ensemble. / ii) Les articles conçus pour être remplis au point de vente et les articles à usage unique vendus, remplis ou conçus pour être remplis au point de vente sont considérés comme des emballages pour autant qu'ils jouent un rôle d'emballage. / iii) Les composants d'emballages et les éléments auxiliaires intégrés à l'emballage sont considérés comme des parties de l'emballage auquel ils sont intégrés. Les éléments auxiliaires accrochés directement ou fixés à un produit et qui jouent un rôle d'emballage sont considérés comme des emballages, à moins qu'ils ne fassent partie intégrante d'un produit et que tous les éléments ne soient destinés à être consommés ou éliminés ensemble. (...) " et aux termes de l'article 18 de cette même directive : " Les États membres ne peuvent faire obstacle à la mise sur le marché, sur leur territoire, d'emballages conformes à la présente directive ". La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, par un arrêt C-463/01 du 14 décembre 2004 " Commission c. RFA ", que les exigences concernant la composition et le caractère réutilisable ou valorisable des emballages font l'objet d'une harmonisation complète par la directive 94/62.
4. En premier lieu, par son arrêt C-772/24 " Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel) " du 1er août 2025 par lequel elle s'est prononcée sur la question dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les étiquettes apposées directement sur les fruits et légumes ne peuvent être considérées comme des emballages, au sens de la directive 94/62, que pour autant qu'elles remplissent l'une des trois fonctions d'emballage définies au premier alinéa du point 1 de l'article 3 et relèvent de l'une des trois catégories d'emballages énumérées et définies aux points a) à c) du deuxième alinéa du point 1 du même article.
5. Les dispositions de l'article 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire citées au point 2 interdisent, à compter du 1er janvier 2022 d'apposer des étiquettes directement sur les fruits ou légumes, à moins qu'il ne s'agisse d'étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires qui ont présidé à leur adoption, que les étiquettes visées par l'interdiction ne concernent ni celles qui seraient destinées à contenir et protéger des fruits et légumes, ni celles qui viseraient à permettre la manutention et l'acheminement du producteur au consommateur, ni celles qui auraient pour objet leur présentation, au sens de l'article 3, point 1, premier alinéa de la directive du 20 décembre 1994 précitée. Elles ne peuvent, par suite, être considérées comme des emballages au sens de cette directive. Il suit de là que l'association requérante ne saurait utilement soutenir que les dispositions de l'article 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire méconnaissent l'article 18 de la directive du 20 décembre 1994.
6. En deuxième lieu, les articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdisent les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation entre les États membres, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent. Aux termes de l'article 36 du même traité, ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit " justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, d'une part, que la notion de " mesure d'effet équivalent " inclut toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire et, d'autre part, qu'une réglementation nationale qui constitue une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives est autorisée lorsqu'elle est indistinctement applicable aux produits nationaux et importés et qu'elle est nécessaire pour satisfaire à l'une des raisons d'intérêt général qu'elle retient ou à des exigences impératives, comme la protection de l'environnement. Les dispositions en cause doivent être propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint.
7. Les dispositions de l'article 80 de la loi du 10 février 2020 doivent être regardées, en ce qu'elles font obstacle à la commercialisation, sur le marché français, de fruits et légumes sur lesquels seraient apposés les étiquettes dont elles interdisent l'apposition, comme instituant une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
8. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'en adoptant les dispositions contestées, qui sont indistinctement applicables aux fruits et légumes nationaux et importés, le législateur a poursuivi un objectif d'amélioration de la gestion des biodéchets, qui représentent un tiers des déchets résiduels des ménages, en favorisant leur compostage domestique, en facilitant le geste de tri et en réduisant les risques de contamination du compost par des matériaux non biodégradables, dans une perspective de renforcement de la protection de l'environnement. A cet égard, contrairement à ce que soutient l'association requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces dispositions auraient pour effet de porter atteinte à la protection de l'environnement en rendant nécessaire le recours à des emballages qui viendraient se substituer aux étiquettes prohibées. D'autre part, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que les dispositions en cause seraient de nature à porter atteinte à l'information des consommateurs quant à la qualité et aux caractéristiques des produits. Si l'association requérante met en avant les coûts supplémentaires induits par la mise en oeuvre de ces mesures, il ne ressort pas des pièces du dossier que celles-ci imposent des contraintes allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de protection de l'environnement qui est poursuivi. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 34, 35 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, doit être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Interfel n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, et des négociations internationales sur le climat et la nature, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique et à la ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 octobre 2025 où siégeaient : M. Denis Piveteau, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, M. Jean-Luc Matt, conseillers d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.
Rendu le 10 novembre 2025.
Le président :
Signé : M. Denis Piveteau
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
N° 466929
ECLI:FR:CECHR:2025:466929.20251110
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Antoine Berger, rapporteur
BREDIN PRAT, avocats
Lecture du lundi 10 novembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 6 novembre 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle la Première ministre a refusé d'abroger les dispositions du 2° du paragraphe III de l'article 1er du décret n° 2020-1724 du 28 décembre 2020 relatif à l'interdiction d'élimination des invendus non alimentaires et à diverses dispositions de lutte contre le gaspillage, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante :
" Les étiquettes directement apposées sur les fruits et légumes constituent-elles, en toute hypothèse, des emballages au sens de l'article 3 de la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d'emballages et de l'annexe I à cette directive ' "
Par un arrêt n° C-772/24 du 1er août 2025, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur cette question.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'État du 6 novembre 2024 ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 ;
- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 25 avril 2022, l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais a saisi le Premier ministre d'une demande tendant à l'abrogation des dispositions du 2° du III de l'article 1er du décret du 28 décembre 2020 relatif à l'interdiction d'élimination des invendus non alimentaires et à diverses dispositions de lutte contre le gaspillage. Le silence du Premier ministre sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet, dont l'association requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir.
2. Aux termes de l'article 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire : " Au plus tard le 1er janvier 2022, il est mis fin à l'apposition d'étiquettes directement sur les fruits ou légumes, à l'exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées. " Aux termes de l'article R. 543-73 du code de l'environnement, dans sa version issue du 2° du III de l'article 1er du décret du 28 décembre 2020 relatif à l'interdiction d'élimination des invendus non alimentaires et à diverses dispositions de lutte contre le gaspillage : " Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe le fait : (...) 4° D'apposer une étiquette directement sur un fruit ou un légume, à l'exception de celles qui sont compostables en compostage domestique et constituées de tout ou partie de matières biosourcées, en méconnaissant ainsi l'article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ".
3. En premier lieu, aux termes de son article 1er, la directive 94/62 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 relative aux emballages et déchets " a pour objet d'harmoniser les mesures nationales concernant la gestion des emballages et des déchets d'emballages afin, d'une part, de prévenir et de réduire leur incidence sur l'environnement des Etats membres et des pays tiers, et d'assurer ainsi un niveau élevé de protection de l'environnement, et, d'autre part, de garantir le fonctionnement du marché intérieur et de prévenir l'apparition d'entraves aux échanges et de distorsions et restrictions de concurrence dans la Communauté ". L'article 2, paragraphe 1 de la directive prévoit qu'elle " s'applique à tous les emballages mis sur le marché dans la Communauté et à tous les déchets d'emballages, qu'ils soient utilisés ou mis au rebut par les industries, les commerces, les bureaux, les ateliers, les services, les ménages ou à tout autre niveau, quels que soient les matériaux dont ils sont constitués. " La notion d'emballage est définie à l'article 3 de la même directive, aux termes duquel : " Aux fins de la présente directive, on entend par : 1) " emballage ", tout produit constitué de matériaux de toute nature, destiné à contenir et à protéger des marchandises données, allant des matières premières aux produits finis, à permettre leur manutention et leur acheminement du producteur au consommateur ou à l'utilisateur, et à assurer leur présentation. Tous les articles " à jeter " utilisés aux mêmes fins doivent être considérés comme des emballages. L'emballage est uniquement constitué de : / a) l'emballage de vente ou emballage primaire, c'est-à-dire l'emballage conçu de manière à constituer au point de vente une unité de vente pour l'utilisateur final ou le consommateur ; / b) l'emballage groupé ou emballage secondaire, c'est-à-dire l'emballage conçu de manière à constituer au point de vente un groupe d'un certain nombre d'unités de vente, qu'il soit vendu tel quel à l'utilisateur final ou au consommateur, ou qu'il serve seulement à garnir les présentoirs au point de vente; il peut être enlevé du produit sans en modifier les caractéristiques ; / c) l'emballage de transport ou emballage tertiaire, c'est-à-dire l'emballage conçu de manière à faciliter la manutention et le transport d'un certain nombre d'unités de vente ou d'emballages groupés en vue d'éviter leur manipulation physique et les dommages liés au transport. L'emballage de transport ne comprend pas les conteneurs de transport routier, ferroviaire, maritime et aérien. / La définition de la notion d'" emballages " doit reposer en outre sur les critères exposés ci-dessous. Les articles énumérés à l'annexe I sont des exemples illustrant l'application de ces critères. / i) Un article est considéré comme un emballage s'il correspond à la définition susmentionnée, sans préjudice d'autres fonctions que l'emballage pourrait également avoir, à moins que l'article ne fasse partie intégrante d'un produit et qu'il ne soit nécessaire pour contenir, soutenir ou conserver ce produit durant tout son cycle de vie et que tous les éléments ne soient destinés à être utilisés, consommés ou éliminés ensemble. / ii) Les articles conçus pour être remplis au point de vente et les articles à usage unique vendus, remplis ou conçus pour être remplis au point de vente sont considérés comme des emballages pour autant qu'ils jouent un rôle d'emballage. / iii) Les composants d'emballages et les éléments auxiliaires intégrés à l'emballage sont considérés comme des parties de l'emballage auquel ils sont intégrés. Les éléments auxiliaires accrochés directement ou fixés à un produit et qui jouent un rôle d'emballage sont considérés comme des emballages, à moins qu'ils ne fassent partie intégrante d'un produit et que tous les éléments ne soient destinés à être consommés ou éliminés ensemble. (...) " et aux termes de l'article 18 de cette même directive : " Les États membres ne peuvent faire obstacle à la mise sur le marché, sur leur territoire, d'emballages conformes à la présente directive ". La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, par un arrêt C-463/01 du 14 décembre 2004 " Commission c. RFA ", que les exigences concernant la composition et le caractère réutilisable ou valorisable des emballages font l'objet d'une harmonisation complète par la directive 94/62.
4. En premier lieu, par son arrêt C-772/24 " Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel) " du 1er août 2025 par lequel elle s'est prononcée sur la question dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les étiquettes apposées directement sur les fruits et légumes ne peuvent être considérées comme des emballages, au sens de la directive 94/62, que pour autant qu'elles remplissent l'une des trois fonctions d'emballage définies au premier alinéa du point 1 de l'article 3 et relèvent de l'une des trois catégories d'emballages énumérées et définies aux points a) à c) du deuxième alinéa du point 1 du même article.
5. Les dispositions de l'article 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire citées au point 2 interdisent, à compter du 1er janvier 2022 d'apposer des étiquettes directement sur les fruits ou légumes, à moins qu'il ne s'agisse d'étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires qui ont présidé à leur adoption, que les étiquettes visées par l'interdiction ne concernent ni celles qui seraient destinées à contenir et protéger des fruits et légumes, ni celles qui viseraient à permettre la manutention et l'acheminement du producteur au consommateur, ni celles qui auraient pour objet leur présentation, au sens de l'article 3, point 1, premier alinéa de la directive du 20 décembre 1994 précitée. Elles ne peuvent, par suite, être considérées comme des emballages au sens de cette directive. Il suit de là que l'association requérante ne saurait utilement soutenir que les dispositions de l'article 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire méconnaissent l'article 18 de la directive du 20 décembre 1994.
6. En deuxième lieu, les articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdisent les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation entre les États membres, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent. Aux termes de l'article 36 du même traité, ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit " justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, d'une part, que la notion de " mesure d'effet équivalent " inclut toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire et, d'autre part, qu'une réglementation nationale qui constitue une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives est autorisée lorsqu'elle est indistinctement applicable aux produits nationaux et importés et qu'elle est nécessaire pour satisfaire à l'une des raisons d'intérêt général qu'elle retient ou à des exigences impératives, comme la protection de l'environnement. Les dispositions en cause doivent être propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint.
7. Les dispositions de l'article 80 de la loi du 10 février 2020 doivent être regardées, en ce qu'elles font obstacle à la commercialisation, sur le marché français, de fruits et légumes sur lesquels seraient apposés les étiquettes dont elles interdisent l'apposition, comme instituant une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
8. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'en adoptant les dispositions contestées, qui sont indistinctement applicables aux fruits et légumes nationaux et importés, le législateur a poursuivi un objectif d'amélioration de la gestion des biodéchets, qui représentent un tiers des déchets résiduels des ménages, en favorisant leur compostage domestique, en facilitant le geste de tri et en réduisant les risques de contamination du compost par des matériaux non biodégradables, dans une perspective de renforcement de la protection de l'environnement. A cet égard, contrairement à ce que soutient l'association requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces dispositions auraient pour effet de porter atteinte à la protection de l'environnement en rendant nécessaire le recours à des emballages qui viendraient se substituer aux étiquettes prohibées. D'autre part, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que les dispositions en cause seraient de nature à porter atteinte à l'information des consommateurs quant à la qualité et aux caractéristiques des produits. Si l'association requérante met en avant les coûts supplémentaires induits par la mise en oeuvre de ces mesures, il ne ressort pas des pièces du dossier que celles-ci imposent des contraintes allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de protection de l'environnement qui est poursuivi. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 34, 35 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, doit être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Interfel n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, et des négociations internationales sur le climat et la nature, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique et à la ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 octobre 2025 où siégeaient : M. Denis Piveteau, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, M. Jean-Luc Matt, conseillers d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.
Rendu le 10 novembre 2025.
Le président :
Signé : M. Denis Piveteau
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain