Conseil d'État
N° 491235
ECLI:FR:CECHS:2025:491235.20251113
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
M. Louis d'Humières, rapporteur
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats
Lecture du jeudi 13 novembre 2025
Vu les procédures suivantes :
I. - Sous le n° 491235, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 janvier et 29 avril 2024 et le 20 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Mutuelle Just' demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 novembre 2023 par laquelle le vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution l'a mise en demeure, en application de l'article L. 612-31 du code monétaire et financier, d'appliquer la procédure prévue à l'article A. 343-2-1 du code des assurances aux fins de valorisation de son siège social par un expert immobilier dûment habilité ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La requête a été communiquée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique qui n'a pas produit d'observations.
II. - Sous le n° 495304, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 juin et 20 septembre 2024 et le 20 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Mutuelle Just' demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 17 avril 2024, notifiée par lettre du 19 avril 2024, par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a exigé, en application des articles L. 612-32 et R. 612-30 du code monétaire et financier, qu'elle soumette à son approbation, dans le délai d'un mois, un programme de rétablissement visant à renforcer sa situation financière et améliorer ses méthodes de gestion ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 ;
- le règlement délégué (UE) 2015/35 de la Commission du 10 octobre 2014 ;
- le code des assurances ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Louis d'Humières, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin avocats, avocat de la Mutuelle Just' et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;
Vu les deux notes en délibéré, enregistrées le 24 octobre 2025, présentées par la Mutuelle Just' ;
Considérant ce qui suit :
1. Les deux requêtes de la Mutuelle Just' présentent à juger des questions connexes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article L. 612-1 du code monétaire et financier : " I.- L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution veille à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle. / L'Autorité contrôle le respect par ces personnes des dispositions européennes qui leur sont directement applicables, des dispositions du code monétaire et financier ainsi que des dispositions réglementaires prévues pour son application, du code des assurances (...) / II.- Elle est chargée : / (...) / 2° D'exercer une surveillance permanente de la situation financière et des conditions d'exploitation des personnes mentionnées au I de l'article L. 612-2 ; elle contrôle notamment le respect de leurs exigences de solvabilité ainsi que, (...) pour les personnes mentionnées aux 1° à 3°, 5°, 8° à 11° du B du I du même article, qu'elles sont en mesure de tenir à tout moment les engagements qu'elles ont pris envers leurs assurés, adhérents, bénéficiaires ou entreprises réassurées et les tiennent effectivement (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " I.- Relèvent de la compétence de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution : / (...) / B.- Dans le secteur de l'assurance : / (...) / 3° Les mutuelles et unions régies par le livre II du code de la mutualité (...) ". Aux termes de l'article L. 612-31 de ce code : " L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution peut mettre en demeure toute personne soumise à son contrôle de prendre, dans un délai déterminé, toutes mesures destinées à sa mise en conformité avec les obligations au respect desquelles l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a pour mission de veiller ". Aux termes de l'article
L. 612-32 du même code, cette Autorité " peut exiger de toute personne soumise à son contrôle qu'elle soumette à son approbation (...) un programme de rétablissement comprenant toutes les mesures appropriées pour restaurer ou renforcer sa situation financière ou de liquidité, améliorer ses méthodes de gestion ou assurer l'adéquation de son organisation à ses activités ou à ses objectifs de développement, notamment lorsque les informations reçues ou demandées par l'Autorité pour l'exercice du contrôle sont de nature à établir que cette personne est susceptible de manquer, dans un délai de douze mois, aux obligations prévues par le règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ou, le cas échéant, par le règlement (UE) 2019/2033 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019, par une disposition du titre Ier ou du titre III du livre V ou d'un règlement pris pour son application ou par toute autre disposition législative ou réglementaire dont la méconnaissance entraîne celle des dispositions précitées (...) ".
3. D'une part, aux termes de l'article L. 351-1 du code des assurances : " Les entreprises d'assurance et de réassurance valorisent leurs actifs et leurs passifs prudentiels comme suit : / 1° Les actifs prudentiels sont valorisés au montant pour lequel ils pourraient être échangés dans le cadre d'une transaction conclue, dans des conditions de concurrence normales, entre des parties informées et consentantes ; / (...) / Un décret en Conseil d'Etat précise les méthodes et hypothèses de valorisation à utiliser pour l'application du présent article ". Aux termes de l'article R. 351-1 du même code : " Les méthodes et les hypothèses à utiliser lors de la valorisation des actifs et des passifs prudentiels sont définies aux articles 7 à 16 du règlement délégué (UE) n° 2015/35 de la Commission du 10 octobre 2014 (...) ".
4. D'autre part, selon l'article R. 343-11 du code des assurances, les valeurs énumérées à l'article R. 332-2, qui comprennent les droits réels immobiliers afférents à des immeubles situés sur le territoire de l'un des Etats membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), font l'objet " d'une évaluation sur la base de leur valeur de réalisation, dans les conditions ci-après : / (...) / d) (...) Les immeubles (...) sont retenus pour leur valeur vénale. La valeur vénale correspond au prix de vente qui en serait obtenu, au jour de l'inventaire, lors d'une transaction conclue dans des conditions normales de marché, net des coûts de sortie. Elle est évaluée sur la base d'une revue quinquennale approfondie. Elle fait l'objet d'une actualisation annuelle (...) ". Aux termes de l'article A. 343-2-1 de ce code : " I.- En vertu de l'article R. 343-11, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution peut requérir la fixation par une expertise de la valeur de tout ou partie de l'actif des entreprises et notamment des immeubles et des parts et actions de sociétés immobilières leur appartenant ou sur lesquels elles ont consenti un prêt ou une ouverture de crédit hypothécaire, ainsi que des instruments financiers à terme utilisés par les entreprises. / La valeur résultant de l'expertise devra figurer dans l'évaluation de la valeur de réalisation des placements prévue aux articles R. 343-11 et R. 343-12. / II.- L'expertise de la valeur de l'ensemble ou d'une partie de l'actif des entreprises est effectuée dans les conditions suivantes : / a) L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution notifie à l'entreprise, par lettre recommandée, la liste des éléments de l'actif dont la valeur est à expertiser et le nom de l'expert qu'elle a choisi pour chacun d'eux. / b) Dans un délai de quinze jours au plus à dater de l'envoi de cette lettre, l'entreprise fait connaître à l'Autorité, par lettre recommandée, pour chacun des éléments susmentionnés, si elle accepte l'expert désigné par l'Autorité comme expert unique, dont la conclusion liera les deux parties, ou si elle demande une expertise contradictoire, d'abord par deux experts, le premier désigné par l'autorité, le second désigné par l'entreprise, puis, en cas de désaccord entre ces deux experts, par un tiers expert, dont la conclusion liera les deux parties. / En cas d'option pour l'expertise contradictoire, l'entreprise indique dans sa réponse le nom, l'adresse et les qualités de son expert, et joint à cette réponse une lettre de ce dernier acceptant la mission et se déclarant prêt à l'effectuer dans le délai ci-après fixé. / c) Dès qu'elle a reçu la réponse mentionnée aux deux alinéas précédents, l'Autorité invite l'expert unique ou les deux experts à procéder à l'expertise. Elle donne communication de cet avis à l'entreprise. / (...) / d) / (...) / S'il y a désaccord entre les conclusions des deux experts, il est immédiatement procédé à la désignation du tiers expert, soit après accord entre les parties, par l'autorité, soit, à défaut d'accord entre les parties, dans les quinze jours du dépôt des conclusions des deux experts, à la requête de la partie la plus diligente, par le président du tribunal judiciaire de la situation du siège social ou du siège spécial pour la France (...) ".
Sur le litige :
5. D'une part, par une décision du 27 novembre 2023 prise sur le fondement des dispositions de l'article L. 612-31 du code monétaire et financier citées au point 2, le vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a, sur la base d'un rapport de contrôle du 20 décembre 2019, mis en demeure la Mutuelle Just' d'appliquer la procédure prévue à l'article A. 343-2-1 du code des assurances aux fins de valorisation de son siège social par un expert dûment habilité. D'autre part, par une décision du 17 avril 2024, notifiée le 19 avril 2024, le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a exigé de la Mutuelle Just', sur le fondement de l'article L. 612-32 du code monétaire et financier cité au point 2, qu'elle soumette à son approbation, dans le délai d'un mois, un programme de rétablissement visant à renforcer sa situation financière et améliorer ses méthodes de gestion. La Mutuelle Just' demande l'annulation de ces deux décisions pour excès de pouvoir.
En ce qui concerne la légalité de la mise en demeure attaquée :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par lettre du 22 juin 2023, la secrétaire générale de cette Autorité a informé la mutuelle requérante, conformément aux dispositions du a du II de l'article A. 343-2-1 du code des assurances citées au point 4, de sa décision de requérir la fixation par une expertise de la valeur du siège social de la mutuelle, ainsi que du nom de l'expert qu'elle avait choisi, et lui a demandé de lui faire part en retour soit de son acceptation de cet expert comme expert unique, soit de l'expert qu'elle désignait elle-même en vue d'une expertise contradictoire par deux experts. Il ressort des énonciations mêmes de la décision attaquée que cette Autorité s'est ensuite bornée à mettre en demeure la Mutuelle Just' d'apporter les réponses attendues à ces questions, ainsi qu'il lui incombait en application des dispositions du b du même II de cet article A. 343-2-1. Il suit de là que la mutuelle requérante n'est pas fondée à soutenir que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution n'était pas compétente pour lui adresser une telle mise en demeure.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que par une décision du 4 juin 2021, publiée au Journal officiel de la République française, le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a fait usage de la faculté, offerte par les dispositions du 1° du II de l'article L. 612-14 et de l'article R. 612-7 du code monétaire et financier, de donner délégation au président ou, en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci, au vice-président pour, notamment, aux termes de l'article 2 de cette décision, " mettre en demeure toute personne assujettie de prendre, dans un délai déterminé, toutes mesures destinées à sa mise en conformité avec les obligations au respect desquelles l'Autorité (...) a pour mission de veiller, en application de l'article L. 612-31 " du même code. D'une part, la Mutuelle Just' n'établit pas que le président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution n'ait pas été absent ou empêché pour signer la mise en demeure qu'elle attaque. D'autre part, les conditions dans lesquelles il est rendu compte au collège de supervision, en application du III de l'article R. 612-7 du code monétaire et financier, des décisions prises en vertu d'une telle délégation sont sans incidence sur la légalité de ces décisions. Il ressort au demeurant des pièces du dossier qu'il a été rendu compte au collège de supervision, lors de sa séance du 8 décembre 2023, de la mise en demeure attaquée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette dernière et de ce qu'elle aurait été prise en méconnaissance des dispositions de l'article R. 612-7 du code monétaire et financier doit être écarté.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le choix de l'expert chargé de l'évaluation prévue à l'article A. 343-2-1 du code des assurances cité au point 4 résulte de la lettre du 22 juin 2023 mentionnée à ce même point 6, et non de la mise en demeure attaquée, laquelle se borne, ainsi qu'il a été dit à ce même point 6, à le rappeler à la Mutuelle Just', dans l'attente de sa décision d'accepter cet expert ou d'exercer la faculté, offerte par les dispositions du b du II de cet article A. 343-2-1, d'opter pour une expertise contradictoire en désignant elle-même un second expert. Le moyen tiré du manque d'indépendance allégué de l'expert désigné par la secrétaire générale de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ne peut, par suite, qu'être écarté comme inopérant.
9. En dernier lieu, la décision attaquée, qui, ainsi qu'il a été dit au point 6, se borne à mettre en demeure la Mutuelle Just' d'apporter à l'Autorité de contrôle prudentiel et de réalisation les réponses que les dispositions du b du II de l'article A. 343-2-1 du code des assurances lui imposent de fournir à cette Autorité, n'a ni pour objet ni pour effet de prescrire une méthode déterminée de valorisation du siège social en litige et ne saurait, par elle-même, méconnaître la hiérarchie de valorisation résultant de l'article 10 du règlement délégué (UE) 2015/35 de la Commission du 10 octobre 2014 complétant la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II ) ou présumer l'existence d'un " marché actif ", au sens des normes comptables internationales applicables à la valorisation de ce siège en vertu du paragraphe 4 de ce même article 10. Le moyen tiré de l'incompatibilité d'une telle méthode avec les dispositions du droit dérivé de l'Union européenne ne peut, par suite, qu'être écarté comme inopérant, sans qu'il y ait lieu, dès lors, de saisir d'une question préjudicielle la Cour de justice de l'Union européenne.
Sur la légalité de la décision attaquée exigeant de la Mutuelle Just' qu'elle soumette un programme de rétablissement :
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 9 que la Mutuelle Just' n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de mise en demeure du 27 novembre 2023. Par suite, en tout état de cause, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision du 17 avril 2024 exigeant qu'elle soumette un programme de rétablissement devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision de mise en demeure ou par la voie d'une exception tirée de l'illégalité de cette même décision, fondée sur les moyens écartés au point 9.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la Mutuelle Just' n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Mutuelle Just' la somme de 3 000 euros à verser à l'Autorité à ce même titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les requêtes de la Mutuelle Just' sont rejetées.
Article 2 : La Mutuelle Just' versera à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Mutuelle Just' et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Louis d'Humières, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 13 novembre 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Louis d'Humières
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
N° 491235
ECLI:FR:CECHS:2025:491235.20251113
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
M. Louis d'Humières, rapporteur
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats
Lecture du jeudi 13 novembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
I. - Sous le n° 491235, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 janvier et 29 avril 2024 et le 20 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Mutuelle Just' demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 novembre 2023 par laquelle le vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution l'a mise en demeure, en application de l'article L. 612-31 du code monétaire et financier, d'appliquer la procédure prévue à l'article A. 343-2-1 du code des assurances aux fins de valorisation de son siège social par un expert immobilier dûment habilité ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La requête a été communiquée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique qui n'a pas produit d'observations.
II. - Sous le n° 495304, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 juin et 20 septembre 2024 et le 20 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Mutuelle Just' demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 17 avril 2024, notifiée par lettre du 19 avril 2024, par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a exigé, en application des articles L. 612-32 et R. 612-30 du code monétaire et financier, qu'elle soumette à son approbation, dans le délai d'un mois, un programme de rétablissement visant à renforcer sa situation financière et améliorer ses méthodes de gestion ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 ;
- le règlement délégué (UE) 2015/35 de la Commission du 10 octobre 2014 ;
- le code des assurances ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Louis d'Humières, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin avocats, avocat de la Mutuelle Just' et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;
Vu les deux notes en délibéré, enregistrées le 24 octobre 2025, présentées par la Mutuelle Just' ;
Considérant ce qui suit :
1. Les deux requêtes de la Mutuelle Just' présentent à juger des questions connexes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article L. 612-1 du code monétaire et financier : " I.- L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution veille à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle. / L'Autorité contrôle le respect par ces personnes des dispositions européennes qui leur sont directement applicables, des dispositions du code monétaire et financier ainsi que des dispositions réglementaires prévues pour son application, du code des assurances (...) / II.- Elle est chargée : / (...) / 2° D'exercer une surveillance permanente de la situation financière et des conditions d'exploitation des personnes mentionnées au I de l'article L. 612-2 ; elle contrôle notamment le respect de leurs exigences de solvabilité ainsi que, (...) pour les personnes mentionnées aux 1° à 3°, 5°, 8° à 11° du B du I du même article, qu'elles sont en mesure de tenir à tout moment les engagements qu'elles ont pris envers leurs assurés, adhérents, bénéficiaires ou entreprises réassurées et les tiennent effectivement (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " I.- Relèvent de la compétence de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution : / (...) / B.- Dans le secteur de l'assurance : / (...) / 3° Les mutuelles et unions régies par le livre II du code de la mutualité (...) ". Aux termes de l'article L. 612-31 de ce code : " L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution peut mettre en demeure toute personne soumise à son contrôle de prendre, dans un délai déterminé, toutes mesures destinées à sa mise en conformité avec les obligations au respect desquelles l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a pour mission de veiller ". Aux termes de l'article
L. 612-32 du même code, cette Autorité " peut exiger de toute personne soumise à son contrôle qu'elle soumette à son approbation (...) un programme de rétablissement comprenant toutes les mesures appropriées pour restaurer ou renforcer sa situation financière ou de liquidité, améliorer ses méthodes de gestion ou assurer l'adéquation de son organisation à ses activités ou à ses objectifs de développement, notamment lorsque les informations reçues ou demandées par l'Autorité pour l'exercice du contrôle sont de nature à établir que cette personne est susceptible de manquer, dans un délai de douze mois, aux obligations prévues par le règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ou, le cas échéant, par le règlement (UE) 2019/2033 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019, par une disposition du titre Ier ou du titre III du livre V ou d'un règlement pris pour son application ou par toute autre disposition législative ou réglementaire dont la méconnaissance entraîne celle des dispositions précitées (...) ".
3. D'une part, aux termes de l'article L. 351-1 du code des assurances : " Les entreprises d'assurance et de réassurance valorisent leurs actifs et leurs passifs prudentiels comme suit : / 1° Les actifs prudentiels sont valorisés au montant pour lequel ils pourraient être échangés dans le cadre d'une transaction conclue, dans des conditions de concurrence normales, entre des parties informées et consentantes ; / (...) / Un décret en Conseil d'Etat précise les méthodes et hypothèses de valorisation à utiliser pour l'application du présent article ". Aux termes de l'article R. 351-1 du même code : " Les méthodes et les hypothèses à utiliser lors de la valorisation des actifs et des passifs prudentiels sont définies aux articles 7 à 16 du règlement délégué (UE) n° 2015/35 de la Commission du 10 octobre 2014 (...) ".
4. D'autre part, selon l'article R. 343-11 du code des assurances, les valeurs énumérées à l'article R. 332-2, qui comprennent les droits réels immobiliers afférents à des immeubles situés sur le territoire de l'un des Etats membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), font l'objet " d'une évaluation sur la base de leur valeur de réalisation, dans les conditions ci-après : / (...) / d) (...) Les immeubles (...) sont retenus pour leur valeur vénale. La valeur vénale correspond au prix de vente qui en serait obtenu, au jour de l'inventaire, lors d'une transaction conclue dans des conditions normales de marché, net des coûts de sortie. Elle est évaluée sur la base d'une revue quinquennale approfondie. Elle fait l'objet d'une actualisation annuelle (...) ". Aux termes de l'article A. 343-2-1 de ce code : " I.- En vertu de l'article R. 343-11, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution peut requérir la fixation par une expertise de la valeur de tout ou partie de l'actif des entreprises et notamment des immeubles et des parts et actions de sociétés immobilières leur appartenant ou sur lesquels elles ont consenti un prêt ou une ouverture de crédit hypothécaire, ainsi que des instruments financiers à terme utilisés par les entreprises. / La valeur résultant de l'expertise devra figurer dans l'évaluation de la valeur de réalisation des placements prévue aux articles R. 343-11 et R. 343-12. / II.- L'expertise de la valeur de l'ensemble ou d'une partie de l'actif des entreprises est effectuée dans les conditions suivantes : / a) L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution notifie à l'entreprise, par lettre recommandée, la liste des éléments de l'actif dont la valeur est à expertiser et le nom de l'expert qu'elle a choisi pour chacun d'eux. / b) Dans un délai de quinze jours au plus à dater de l'envoi de cette lettre, l'entreprise fait connaître à l'Autorité, par lettre recommandée, pour chacun des éléments susmentionnés, si elle accepte l'expert désigné par l'Autorité comme expert unique, dont la conclusion liera les deux parties, ou si elle demande une expertise contradictoire, d'abord par deux experts, le premier désigné par l'autorité, le second désigné par l'entreprise, puis, en cas de désaccord entre ces deux experts, par un tiers expert, dont la conclusion liera les deux parties. / En cas d'option pour l'expertise contradictoire, l'entreprise indique dans sa réponse le nom, l'adresse et les qualités de son expert, et joint à cette réponse une lettre de ce dernier acceptant la mission et se déclarant prêt à l'effectuer dans le délai ci-après fixé. / c) Dès qu'elle a reçu la réponse mentionnée aux deux alinéas précédents, l'Autorité invite l'expert unique ou les deux experts à procéder à l'expertise. Elle donne communication de cet avis à l'entreprise. / (...) / d) / (...) / S'il y a désaccord entre les conclusions des deux experts, il est immédiatement procédé à la désignation du tiers expert, soit après accord entre les parties, par l'autorité, soit, à défaut d'accord entre les parties, dans les quinze jours du dépôt des conclusions des deux experts, à la requête de la partie la plus diligente, par le président du tribunal judiciaire de la situation du siège social ou du siège spécial pour la France (...) ".
Sur le litige :
5. D'une part, par une décision du 27 novembre 2023 prise sur le fondement des dispositions de l'article L. 612-31 du code monétaire et financier citées au point 2, le vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a, sur la base d'un rapport de contrôle du 20 décembre 2019, mis en demeure la Mutuelle Just' d'appliquer la procédure prévue à l'article A. 343-2-1 du code des assurances aux fins de valorisation de son siège social par un expert dûment habilité. D'autre part, par une décision du 17 avril 2024, notifiée le 19 avril 2024, le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a exigé de la Mutuelle Just', sur le fondement de l'article L. 612-32 du code monétaire et financier cité au point 2, qu'elle soumette à son approbation, dans le délai d'un mois, un programme de rétablissement visant à renforcer sa situation financière et améliorer ses méthodes de gestion. La Mutuelle Just' demande l'annulation de ces deux décisions pour excès de pouvoir.
En ce qui concerne la légalité de la mise en demeure attaquée :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par lettre du 22 juin 2023, la secrétaire générale de cette Autorité a informé la mutuelle requérante, conformément aux dispositions du a du II de l'article A. 343-2-1 du code des assurances citées au point 4, de sa décision de requérir la fixation par une expertise de la valeur du siège social de la mutuelle, ainsi que du nom de l'expert qu'elle avait choisi, et lui a demandé de lui faire part en retour soit de son acceptation de cet expert comme expert unique, soit de l'expert qu'elle désignait elle-même en vue d'une expertise contradictoire par deux experts. Il ressort des énonciations mêmes de la décision attaquée que cette Autorité s'est ensuite bornée à mettre en demeure la Mutuelle Just' d'apporter les réponses attendues à ces questions, ainsi qu'il lui incombait en application des dispositions du b du même II de cet article A. 343-2-1. Il suit de là que la mutuelle requérante n'est pas fondée à soutenir que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution n'était pas compétente pour lui adresser une telle mise en demeure.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que par une décision du 4 juin 2021, publiée au Journal officiel de la République française, le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a fait usage de la faculté, offerte par les dispositions du 1° du II de l'article L. 612-14 et de l'article R. 612-7 du code monétaire et financier, de donner délégation au président ou, en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci, au vice-président pour, notamment, aux termes de l'article 2 de cette décision, " mettre en demeure toute personne assujettie de prendre, dans un délai déterminé, toutes mesures destinées à sa mise en conformité avec les obligations au respect desquelles l'Autorité (...) a pour mission de veiller, en application de l'article L. 612-31 " du même code. D'une part, la Mutuelle Just' n'établit pas que le président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution n'ait pas été absent ou empêché pour signer la mise en demeure qu'elle attaque. D'autre part, les conditions dans lesquelles il est rendu compte au collège de supervision, en application du III de l'article R. 612-7 du code monétaire et financier, des décisions prises en vertu d'une telle délégation sont sans incidence sur la légalité de ces décisions. Il ressort au demeurant des pièces du dossier qu'il a été rendu compte au collège de supervision, lors de sa séance du 8 décembre 2023, de la mise en demeure attaquée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette dernière et de ce qu'elle aurait été prise en méconnaissance des dispositions de l'article R. 612-7 du code monétaire et financier doit être écarté.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le choix de l'expert chargé de l'évaluation prévue à l'article A. 343-2-1 du code des assurances cité au point 4 résulte de la lettre du 22 juin 2023 mentionnée à ce même point 6, et non de la mise en demeure attaquée, laquelle se borne, ainsi qu'il a été dit à ce même point 6, à le rappeler à la Mutuelle Just', dans l'attente de sa décision d'accepter cet expert ou d'exercer la faculté, offerte par les dispositions du b du II de cet article A. 343-2-1, d'opter pour une expertise contradictoire en désignant elle-même un second expert. Le moyen tiré du manque d'indépendance allégué de l'expert désigné par la secrétaire générale de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ne peut, par suite, qu'être écarté comme inopérant.
9. En dernier lieu, la décision attaquée, qui, ainsi qu'il a été dit au point 6, se borne à mettre en demeure la Mutuelle Just' d'apporter à l'Autorité de contrôle prudentiel et de réalisation les réponses que les dispositions du b du II de l'article A. 343-2-1 du code des assurances lui imposent de fournir à cette Autorité, n'a ni pour objet ni pour effet de prescrire une méthode déterminée de valorisation du siège social en litige et ne saurait, par elle-même, méconnaître la hiérarchie de valorisation résultant de l'article 10 du règlement délégué (UE) 2015/35 de la Commission du 10 octobre 2014 complétant la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II ) ou présumer l'existence d'un " marché actif ", au sens des normes comptables internationales applicables à la valorisation de ce siège en vertu du paragraphe 4 de ce même article 10. Le moyen tiré de l'incompatibilité d'une telle méthode avec les dispositions du droit dérivé de l'Union européenne ne peut, par suite, qu'être écarté comme inopérant, sans qu'il y ait lieu, dès lors, de saisir d'une question préjudicielle la Cour de justice de l'Union européenne.
Sur la légalité de la décision attaquée exigeant de la Mutuelle Just' qu'elle soumette un programme de rétablissement :
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 9 que la Mutuelle Just' n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de mise en demeure du 27 novembre 2023. Par suite, en tout état de cause, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision du 17 avril 2024 exigeant qu'elle soumette un programme de rétablissement devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision de mise en demeure ou par la voie d'une exception tirée de l'illégalité de cette même décision, fondée sur les moyens écartés au point 9.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la Mutuelle Just' n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Mutuelle Just' la somme de 3 000 euros à verser à l'Autorité à ce même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la Mutuelle Just' sont rejetées.
Article 2 : La Mutuelle Just' versera à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Mutuelle Just' et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Louis d'Humières, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 13 novembre 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Louis d'Humières
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :