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Ariane Web: Conseil d'État 490867, lecture du 14 novembre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:490867.20251114

Décision n° 490867
14 novembre 2025
Conseil d'État

N° 490867
ECLI:FR:CECHR:2025:490867.20251114
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Olivier Saby, rapporteur
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats


Lecture du vendredi 14 novembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Rennes-Les Jardins de Lucile a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle s'estimait titulaire au titre du mois de janvier 2019. Par un jugement n° 1904239 du 9 février 2022, ce tribunal a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 22NT01164 du 14 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 janvier et 7 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Rennes-Les Jardins de Lucile ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société civile de construction-vente Rennes-Les Jardins de Lucile, constituée le 24 octobre 2018, a demandé, le 19 février 2019, à l'administration fiscale le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 73 865 euros au titre du mois de janvier 2019. Par une décision du 19 juin 2019, l'administration a fait droit à la demande, à hauteur de 26 048 euros, et rejeté, sur le fondement de l'article 208 de l'annexe II au code général des impôts, le surplus, au motif de la tardiveté de l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur des factures établies entre janvier 2014 et décembre 2016. La société Rennes-Les Jardins de Lucile a alors demandé au tribunal administratif de Rennes le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée restant en litige. Par un jugement du 9 février 2022, ce tribunal lui a accordé le remboursement sollicité. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 novembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article 271 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. / (...) / 3. La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance. / II. - 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; / (...) / 2. La déduction ne peut pas être opérée si les redevables ne sont pas en possession (...) desdites factures (...). / IV. La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat. / (...) ". Aux termes de l'article 269 du même code : " (...) / 2. La taxe est exigible : / (...) / c. Pour les prestations de service (...), lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits (...) ". Aux termes de l'article 208 de l'annexe II à ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Le montant de la taxe déductible doit être mentionné sur les déclarations déposées pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, à condition qu'elle fasse l'objet d'une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur cette déclaration peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission. (...) / II. - Lorsque, sur une déclaration, le montant de la taxe déductible excède le montant de la taxe due, l'excédent de taxe dont l'imputation ne peut être faite est reporté, jusqu'à épuisement, sur les déclarations suivantes. Toutefois, cet excédent peut faire l'objet de remboursements dans les conditions fixées par les articles 242-0 A à 242-0 K ". Aux termes de l'article 242-0 A de la même annexe : " Le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l'imputation n'a pu être opérée doit faire l'objet d'une demande des assujettis. Le remboursement porte sur le crédit de taxe déductible constaté au terme de chaque année civile. "

3. D'autre part, aux termes de l'article 1843 du code civil : " Les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant l'immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l'origine contractés par celle-ci. "

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la taxe sur la valeur ajoutée dont le remboursement est en litige, mentionnée sur des factures établies entre janvier 2014 et décembre 2016 et afférentes à des opérations préalables à la constitution, le 24 octobre 2018, de la société Rennes-Les Jardins de Lucile, a été supportée par sa future associée, la société Aiguillon Résidences. Cette taxe n'était dès lors, en principe, déductible que par cette dernière, en application des dispositions de l'article 271 du code général des impôts rappelées au point 2, quand bien même la société Rennes-Les Jardins de Lucile aurait repris, lors de sa constitution, sur le fondement de l'article 1843 du code civil cité au point 3, les engagements pris pour son compte par sa future associée, la société Aiguillon Résidences. Il en résulte qu'en se fondant sur cette dernière circonstance, inopérante, pour reconnaître à la société Rennes-Les Jardins de Lucile le droit à déduction dont elle se prévalait, alors que la détermination du titulaire de ce droit relève des seules règles relatives à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les moyens du pourvoi du ministre, que l'arrêt du 14 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Nantes doit être annulé.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il ne résulte pas de l'instruction que la société Aiguillon Résidences n'aurait pas été en droit de déduire, en application de l'article 271 du code général des impôts, au titre de ses frais généraux, la taxe sur la valeur ajoutée dont le remboursement est en litige, mentionnée sur des factures qu'elle a réglées entre janvier 2014 et décembre 2016 et afférentes à des opérations préalables à la constitution de sa filiale, la société Rennes-Les Jardins de Lucile. Par suite, cette taxe sur la valeur ajoutée était, ainsi qu'il a été dit au point 4, uniquement déductible par la société Aiguillon Résidences. Il suit de là que le ministre est fondé à soutenir que la société Rennes-Les Jardins de Lucile, qui n'était pas le titulaire du droit à déduction de cette taxe, n'était pas fondée à en demander le remboursement.

8. Il s'ensuit, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les autres moyens de la requête du ministre, que celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 9 février 2022, le tribunal administratif de Rennes a accordé la société Rennes-Les Jardins de Lucile le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée en litige.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la société Rennes-Les Jardins de Lucile sur ce fondement.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 14 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Nantes et le jugement du 9 février 2022 du tribunal administratif de Rennes sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par la société Rennes-Les Jardins de Lucile au tribunal administratif de Rennes est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Rennes-Les Jardins de Lucile au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'action et des comptes publics et à la société Rennes-Les Jardins de Lucile.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 14 novembre 2025.


Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Saby
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne à la ministre de l'action et des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


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