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Ariane Web: Conseil d'État 492235, lecture du 14 novembre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:492235.20251114

Décision n° 492235
14 novembre 2025
Conseil d'État

N° 492235
ECLI:FR:CECHR:2025:492235.20251114
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Pascal Trouilly, rapporteur
SCP LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER, LASSALLE-BYHET, avocats


Lecture du vendredi 14 novembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Le conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Charente-Martime a déposé une plainte ordinale à l'encontre de M. B... A..., masseur-kinésithérapeute, devant la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Nouvelle-Aquitaine. Par une décision n° CD 2021-10 du 12 mai 2022, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté cette plainte.

Par une décision n° 063-2022, 064-2022 du 28 décembre 2023, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, sur appels du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Charente-Maritime et du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, a annulé la décision de la chambre disciplinaire de première instance et prononcé à l'encontre de M. A... la sanction de l'interdiction temporaire d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute pendant une durée d'un mois, entièrement assortie du sursis .

Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire enregistrés les 28 février 2024, 24 mai 2024 et 7 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 28 décembre 2023 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes en tant qu'elle n'inflige pas à M. A... une sanction plus sévère ;

2°) réglant l'affaire au fond, de prononcer une sanction plus sévère à l'encontre de M. A...;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pascal Trouilly, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes et à la SAS Boucard, Capron, Maman, avocat de M. A....



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Charente-Maritime a engagé une procédure disciplinaire à l'encontre de M. A..., après avoir reçu plusieurs signalements de patientes faisant notamment état de gestes déplacés pendant les soins dispensés par celui-ci. Par une décision du 28 décembre 2023, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, après avoir annulé la décision de la décision de la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine qui avait rejeté cette plainte, a infligé à M. A... la sanction de l'interdiction d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute pendant un mois, entièrement assortie du sursis. Elle a estimé que celui-ci avait, en manquant de respect envers ces patientes, en ne les informant pas suffisamment de la méthode utilisée et en ne recherchant pas systématiquement leur consentement, méconnu les dispositions des articles R. 4321-53, R. 4321-54 et R. 4321-58 du code de la santé publique. Elle a, en revanche, écarté notamment les griefs tirés de la méconnaissance des articles R. 4321-79, R. 4321-80 et R. 4321-87 du même code. Le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes se pourvoit en cassation contre cette décision en tant qu'elle n'a pas retenu une sanction plus sévère.

2. D'une part, aux termes de l'article R. 4321-79 du code de la santé publique : " Le masseur-kinésithérapeute s'abstient, même en dehors de l'exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci. " Il résulte de ces dispositions que certains actes commis par un masseur-kinésithérapeute peuvent être de nature, du fait de leur gravité particulière, à déconsidérer la profession, même lorsqu'ils n'ont pas eu de retentissement public. Par suite, en estimant que le grief tiré de la méconnaissance de l'article R. 4321-79 du code de la santé publique ne pouvait être retenu, les actes reprochés à M. A... n'ayant fait l'objet d'aucune publicité et n'étant ainsi connus que des seuls patients concernés, la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit.

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 4321-80 du code de la santé publique : " Dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le masseur-kinésithérapeute s'engage personnellement à assurer au patient des soins consciencieux, attentifs et fondés sur les données acquises de la science. " L'article R. 4321-87 du même code dispose que : " Le masseur-kinésithérapeute ne peut conseiller et proposer au patient ou à son entourage, comme étant salutaire ou sans danger, un produit ou un procédé, illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite. " Il ressort des énonciations de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale, après avoir constaté que la méthode dite " Niromathé ", mise en oeuvre par M. A..., apparentée aux " techniques vibratoires " et pratiquée par plusieurs professionnels depuis trente ans, n'était pas mentionnée dans le tableau des " procédés illusoires " dressé par l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, a estimé que cette méthode ne pouvait être regardée de manière certaine comme un procédé illusoire et qu'elle n'avait été utilisée qu'à titre complémentaire. En ne recherchant pas elle-même si la méthode en cause, telle qu'elle était pratiquée, présentait le caractère d'un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé et en se fondant sur la circonstance inopérante que cette méthode n'aurait été utilisée qu'à titre complémentaire, la chambre disciplinaire nationale a entaché sa décision d'une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le versement au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par M. A... au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens.


D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes du 28 décembre 2023 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.
Article 3 : M. A... versera au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes et à M. B... A....


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