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Ariane Web: Conseil d'État 491155, lecture du 24 novembre 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:491155.20251124

Décision n° 491155
24 novembre 2025
Conseil d'État

N° 491155
ECLI:FR:CECHS:2025:491155.20251124
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
M. Antoine Berger, rapporteur
SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES;SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats


Lecture du lundi 24 novembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

D'une part, M. A... B... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'arrêté du 14 février 2020 par lequel le maire de la commune de Tain-l'Hermitage (Drôme) a délivré à la société Bouvet Promotion Père et Fils un permis de construire un immeuble d'habitat collectif de vingt-deux logements, ainsi que la décision de rejet de leur recours gracieux contre cet arrêté, d'autre part, l'arrêté du 1er décembre 2020 par lequel le maire a accordé à la même société un permis de construire modificatif, portant complément de certaines pièces du dossier de permis de construire.

Par un jugement n° 2003274 du 6 avril 2021, le tribunal administratif, faisant droit à leur demande, a annulé les deux arrêtés.

D'autre part, M. et Mme B... ont demandé au même tribunal administratif d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 juillet 2021 par lequel le maire de la commune de Tain-l'Hermitage a délivré à la même société Bouvet Promotion Père et Fils un nouveau permis de construire un immeuble d'habitat collectif de vingt-deux logements sur la même parcelle.

Par une ordonnance n° 2108100 du 22 avril 2021, le président du tribunal administratif, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, a transmis leur demande au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.

Par une décision n° 463455 du 22 août 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a attribué le jugement de la requête de M. et Mme B... à la cour administrative d'appel de Lyon.

Par un premier arrêt n° 21LY01369, 22LY02576 du 3 janvier 2023, la cour administrative d'appel a rejeté l'appel formé par la société Bouvet Promotion Père et Fils contre le jugement du tribunal administratif du 6 avril 2021 et sursis à statuer sur la requête de M. et Mme B... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 6 juillet 2021 jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois, afin de permettre à la société de régulariser les vices entachant le permis de construire délivré par cet arrêté.

Par un second arrêt n° 21LY01369 du 28 novembre 2023, la cour administrative d'appel a rejeté la requête de M. et Mme B... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 6 juillet 2021 ainsi que de l'arrêté du 7 avril 2023 par lequel le maire a délivré à la société Bouvet Promotion Père et Fils un permis de construire de régularisation.

1° Sous le n° 491155, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 janvier et 17 avril 2024 et le 10 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel du 3 janvier 2023 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions de première instance et d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Tain-l'Hermitage et de la société Bouvet Promotion Père et Fils la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 491158, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 janvier et 17 avril 2024 et le 10 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel du 28 novembre 2023 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions de première instance et d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Tain-l'Hermitage et de la société Bouvet Promotion Père et Fils la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme B... et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Bouvet Promotion Père et Fils ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par deux arrêtés des 14 février et 1er décembre 2020, le maire de la commune de Tain-l'Hermitage a délivré à la société Bouvet Promotion Père et Fils un permis de construire un immeuble d'habitat collectif de vingt-deux logements et un permis de construire modificatif portant complément de certaines pièces du dossier de permis de construire. Par un jugement du 6 avril 2021, le tribunal administratif de Grenoble, à la demande de M. et Mme B..., a annulé pour excès de pouvoir ces deux arrêtés, ainsi que la décision portant rejet de leurs recours gracieux contre ces arrêtés. Par un nouvel arrêté du 6 juillet 2021, le maire a délivré à la même société un nouveau permis de construire un immeuble d'habitat collectif de vingt-deux logements sur le même terrain d'assiette. Par un premier arrêt du 3 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Bouvet Promotion Père et Fils contre le jugement du tribunal administratif et, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur la requête de M. et Mme B... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 6 juillet 2021 jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois, afin de permettre à la société Bouvet Promotion Père et Fils de régulariser les vices entachant ce permis de construire. Par un second arrêt du 28 novembre 2023, la cour administrative d'appel a rejeté la requête de M. et Mme B... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 6 avril 2021 ainsi que de l'arrêté du 7 avril 2023 par lequel le maire a délivré à la société Bouvet Promotion Père et Fils un permis de construire de régularisation.

2. Par deux pourvois, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, M. et Mme B... demandent l'annulation des deux arrêts de la cour administrative d'appel des 3 janvier et 28 novembre 2023.

3. Eu égard aux moyens soulevés, M. et Mme B... doivent être regardés comme demandant l'annulation des arrêts attaqués uniquement en tant qu'ils leur font grief, soit à l'exception des articles 1er et 2 du dispositif de l'arrêt du 3 janvier 2023.

Sur le pourvoi n° 491155 dirigé contre le premier arrêt du 3 janvier 2023 :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme : " Le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords et s'ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d'utilité publique ". Aux termes de l'article R. 111-26 du même code : " Le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable doit respecter les préoccupations d'environnement définies aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement. Le projet peut n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si, par son importance, sa situation ou sa destination, il est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'environnement. Ces prescriptions spéciales tiennent compte, le cas échéant, des mesures mentionnées à l'article R. 181-43 du code de l'environnement ". Aux termes de l'article R. 111-27 du même code : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ".

5. Aux termes de l'article L. 350-3 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige : " Les allées d'arbres et alignements d'arbres qui bordent les voies de communication constituent un patrimoine culturel et une source d'aménités, en plus de leur rôle pour la préservation de la biodiversité et, à ce titre, font l'objet d'une protection spécifique. Ils sont protégés, appelant ainsi une conservation, à savoir leur maintien et leur renouvellement, et une mise en valeur spécifiques. / Le fait d'abattre, de porter atteinte à l'arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l'aspect d'un ou de plusieurs arbres d'une allée ou d'un alignement d'arbres est interdit, sauf lorsqu'il est démontré que l'état sanitaire ou mécanique des arbres présente un danger pour la sécurité des personnes et des biens ou un danger sanitaire pour les autres arbres ou bien lorsque l'esthétique de la composition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d'autres mesures. / Des dérogations peuvent être accordées par l'autorité administrative compétente pour les besoins de projets de construction. / Le fait d'abattre ou de porter atteinte à l'arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l'aspect d'un ou de plusieurs arbres d'une allée ou d'un alignement d'arbres donne lieu, y compris en cas d'autorisation ou de dérogation, à des mesures compensatoires locales, comprenant un volet en nature (plantations) et un volet financier destiné à assurer l'entretien ultérieur ".

6. Il résulte de la combinaison des dispositions citées aux points 4 et 5 que, lorsqu'un permis de construire porte sur un projet de construction impliquant l'atteinte ou l'abattage d'un ou plusieurs arbres composant une allée ou un alignement le long d'une voie de communication, l'autorisation d'urbanisme vaut octroi de la dérogation prévue par le troisième alinéa de l'article L. 350-3 du code de l'environnement. Il appartient donc à l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de la nécessité de l'abattage ou de l'atteinte portée aux arbres pour les besoins du projet de construction ainsi que de l'existence de mesures de compensation appropriées et suffisantes à la charge du pétitionnaire ou du maître d'ouvrage.

7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a jugé que, pour contester le permis de construire délivré à la société Bouvet Promotion Père et Fils, les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir de ce que le projet méconnaissait les dispositions de l'article L. 350-3 du code de l'environnement dès lors qu'elles relevaient d'une législation indépendante de celle du droit de l'urbanisme. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

8. Si, dans son mémoire en défense, la société soutient que l'alignement d'arbres en cause apparaît, au vu des photographies du dossier, comme ne se situant pas sur l'emprise de la voie publique mais sur les parcelles à construire et derrière un mur, ce motif implique une appréciation de circonstances de fait qui fait obstacle à ce qu'il soit substitué, par le juge de cassation, à celui retenu par les juges du fond pour justifier le dispositif de la décision attaquée.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. et Mme B... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel du 3 janvier 2023, à l'exception des articles 1er et 2 de son dispositif.

Sur le pourvoi n° 491158 dirigé contre le second arrêt du 28 novembre 2023 :

10. Lorsque le juge administratif, saisi de conclusions à fin d'annulation d'une autorisation d'urbanisme, estime par un premier arrêt, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de l'acte attaqué est susceptible d'être régularisé et sursoit en conséquence à statuer par application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, les motifs de ce premier arrêt qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de l'arrêt qui clôt finalement l'instance, si ce second arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation en retenant que le vice relevé dans le premier arrêt a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d'une mesure de régularisation. Dans ces conditions, il appartient au juge de cassation, saisi de conclusions dirigées contre ces deux arrêts, s'il annule le premier, d'annuler en conséquence, le cas échéant d'office, le second.

11. Il résulte de ce qui précède que l'arrêt du 28 novembre 2023 doit être annulé en conséquence de l'annulation de l'arrêt du 3 janvier 2023.



Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre respectivement à la charge de la société Bouvet Promotion Père et Fils et de la commune de Tain-l'Hermitage la somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. et Mme B..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 3 janvier 2023, à l'exception des articles 1er et 2 de son dispositif, et l'arrêt du 28 novembre 2023 sont annulés.
Article 2 : Les affaires sont renvoyées, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : La société Bouvet Promotion Père et Fils et la commune de Tain-l'Hermitage verseront chacune à M. et Mme B... la somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Bouvet Promotion Père et Fils au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et Mme C... B..., à la société Bouvet Promotion Père et Fils et à la commune de Tain-l'Hermitage.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 octobre 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et M. Antoine Berger, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 24 novembre 2025.


La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo