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Ariane Web: Conseil d'État 497170, lecture du 10 décembre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:497170.20251210

Décision n° 497170
10 décembre 2025
Conseil d'État

N° 497170
ECLI:FR:CECHR:2025:497170.20251210
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Céline Boniface, rapporteure
SCP POUPET & KACENELENBOGEN, avocats


Lecture du mercredi 10 décembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy, par trois demandes distinctes, d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2019 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Meurthe-et-Moselle l'a suspendu à titre conservatoire pour une durée de 4 mois, d'annuler l'arrêté du 14 novembre 2019 par lequel la même autorité a résilié à titre disciplinaire son contrat d'engagement en qualité de sapeur-pompier volontaire à compter du 22 novembre 2019 et de condamner le SDIS de Meurthe-et-Moselle à lui verser la somme de 35 000 euros.

Par un jugement n°s 1902145, 1902822, 1903551 du 4 novembre 2021, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 1er juillet 2019 et rejeté le surplus des demandes de M. A....

Par un arrêt n° 21NC03335 du 27 juin 2024, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement en tant qu'il avait rejeté le surplus de ses demandes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 août et 22 novembre 2024 et 19 septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Boniface, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de M. A... et à la SCP Foussard, Froger, avocat du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., sapeur-pompier volontaire au sein du SDIS de Meurthe-et-Moselle, a été suspendu de ses fonctions à compter du 22 juillet 2019, pour une durée de quatre mois, par un arrêté du 1er juillet 2019 du président du conseil d'administration du SDIS de Meurthe-et-Moselle. Par un arrêté du 14 novembre 2019, cette même autorité a résilié à titre disciplinaire son contrat d'engagement en qualité de sapeur-pompier volontaire à compter du 22 novembre 2019. M. A... a saisi le tribunal administratif de Nancy de trois requêtes aux fins de voir annuler ces deux décisions et condamner le SDIS de Meurthe-et-Moselle à lui verser une somme de 35 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi. Par un jugement du 4 novembre 2021, le tribunal a annulé l'arrêté du 1er juillet 2019 portant suspension de fonctions et rejeté le surplus des demandes de M. A.... M. A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 juin 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son appel contre ce jugement.

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel, qui ne s'est pas méprise sur la portée des écritures de M. A... en retenant que sa demande indemnitaire visait à la réparation du harcèlement moral dont il s'estimait victime, a répondu par une décision suffisamment motivée à l'ensemble des conclusions dont elle était saisie.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 723-5 du code de la sécurité intérieure : " L'activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n'est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres ". Aux termes de l'article L. 723-6 du même code : " Le sapeur-pompier volontaire prend librement l'engagement de se mettre au service de la communauté. Il exerce les mêmes activités que les sapeurs-pompiers professionnels. Il contribue ainsi directement, en fonction de sa disponibilité, aux missions de sécurité civile de toute nature confiées aux services d'incendie et de secours ou aux services de l'Etat qui en sont investis à titre permanent mentionnés au premier alinéa de l'article L. 721-2. (...) ". Aux termes de l'article L. 723-8 du code de la sécurité intérieure : " L'engagement du sapeur-pompier volontaire est régi par le présent livre ainsi que par la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers. /Ni le code du travail ni le statut de la fonction publique ne lui sont applicables, sauf dispositions législatives contraires, et notamment les articles 6-1 et 8 de la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers ".

4. Il résulte de ces dispositions que les sapeurs-pompiers volontaires exercent la même activité que les sapeurspompiers professionnels dans des conditions qui leur sont propres et qui excluent, en principe, l'application du code du travail et du statut de la fonction publique. Par suite, la cour administrative d'appel ne pouvait se fonder, pour porter une appréciation sur les allégations de faits de harcèlement moral dont M. A... demande réparation, sur les dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui ne s'appliquent pas aux sapeurs-pompiers volontaires.

5. Toutefois, indépendamment des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, le fait pour un sapeur-pompier volontaire de subir des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d'exercice susceptible de porter atteinte à ses droits et sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel caractérise un comportement de harcèlement moral, constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration.

6. Il appartient au sapeur-pompier volontaire qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser l'existence de tels agissements. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au regard de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration à laquelle il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.

7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir analysé, sans dénaturer les pièces du dossier, les agissements dont M. A... soutenait qu'ils étaient constitutifs de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, la cour administrative d'appel a jugé que les éléments avancés par l'intéressé n'étaient pas de nature à faire présumer l'existence de faits constitutifs de harcèlement moral. En statuant ainsi, la cour s'est livrée, sans commettre d'erreur de droit, à une appréciation souveraine des faits de l'espèce qui n'est pas entachée de dénaturation.

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de sanction :

8. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un sapeur-pompier volontaire ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

9. Aux termes de l'article L. 723-10 du code de la sécurité intérieure : " Une charte nationale du sapeur-pompier volontaire, élaborée en concertation notamment avec les représentants de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, est approuvée par voie réglementaire. Elle rappelle les valeurs du volontariat et détermine les droits et les devoirs des sapeurs-pompiers volontaires (...) ". Cette charte, annexée au code de la sécurité intérieure, prévoit que les sapeurs-pompiers volontaires sont soumis à l'obligation de dignité, de respect des fonctions de pompier, de neutralité, ainsi qu'à la nécessité d'oeuvrer collectivement et avec courage. L'article R. 723-53 du même code dispose que " Tout sapeur-pompier volontaire doit obéissance à ses supérieurs ". Enfin, aux termes de l'article R. 723-40 du même code : " L'autorité de gestion peut, après avis du conseil de discipline, prononcer contre tout sapeur-pompier volontaire : / 1° L'exclusion temporaire de fonctions pour six mois au maximum ; / 2° La rétrogradation ; / 3° La résiliation de l'engagement. "

10. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a retenu que la décision de sanction était motivée par un comportement de M. A... caractérisé par des refus d'obéissance hiérarchique répétés, des pressions exercées sur certains membres du centre de secours ainsi que des manquements à son obligation de réserve et d'exemplarité, ayant conduit à instaurer une ambiance délétère au sein du centre de secours et à affecter la disponibilité des effectifs et la capacité du centre à faire face à ses missions. Après avoir considéré, par des motifs qui ne sont pas contestés en cassation, que les faits reprochés étaient établis et présentaient un caractère fautif, la cour a jugé que la sanction de la résiliation de l'engagement infligée à M. A... n'était pas disproportionnée. En portant cette dernière appréciation, la cour administrative d'appel s'est livrée à une appréciation des faits de l'espèce qui, ne conduisant pas au maintien d'une sanction hors de proportion avec les fautes commises, n'est pas susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre à la charge du SDIS de Meurthe-et Moselle qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le SDIS de Meurthe-et-Moselle au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions du SDIS de Meurthe-et-Moselle présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle.


Voir aussi