Conseil d'État
N° 506263
ECLI:FR:CECHR:2025:506263.20251212
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Léo André, rapporteur
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats
Lecture du vendredi 12 décembre 2025
Vu la procédure suivante :
L'association " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation " et l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) ont demandé au juge des référés tribunal administratif de Pau, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 29 avril 2025 par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées a autorisé M. A... B..., président du groupement pastoral de Saint-Pé-de-Bigorre, à effectuer des tirs de défense simple en vue de la défense de son troupeau contre la prédation du loup. Par une ordonnance n° 2501664 du 1er juillet 2025, le juge des référés de ce tribunal a rejeté cette requête.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 16 et 31 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation " et ASPAS demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 21 février 2024 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Léo André, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de l'associations " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation " et autre ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 29 avril 2025, le préfet des Hautes-Pyrénées a autorisé M. A... B..., président du groupement pastoral de Saint-Pé-de-Bigorre, à mettre en oeuvre, jusqu'au 31 décembre 2025, des tirs de défense simple en vue de la défense de son troupeau contre la prédation du loup. Par une ordonnance du 1er juillet 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté la demande de l'association " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation " et de l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) tendant à la suspension, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de l'exécution de cet arrêté. Ces associations se pourvoient en cassation contre cette ordonnance.
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 du même code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit contenir l'exposé au moins sommaire des faits et moyens et justifier de l'urgence de l'affaire. "
3. Il résulte de ces dispositions que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'il n'était pas contesté devant lui que la population de loups dans le département des Hautes-Pyrénées est très réduite, un unique spécimen mâle ayant été identifié à ce jour, de même que dans le département voisin des Pyrénées-Atlantiques, regardé par l'Office français de la biodiversité comme une zone de présence permanente " non meute ", c'est à dire un territoire fréquenté par un ou deux loups sans reproduction avérée. En jugeant, dans ces conditions, qu'il n'était pas établi que la mise en oeuvre de l'arrêté attaqué, qui risquait d'avoir pour effet la destruction de cet unique loup présent dans le département, était susceptible d'avoir des conséquences graves et irréversibles pour la protection de cette espèce, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de leur pourvoi, que les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elles attaquent.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur l'urgence :
7. Ainsi qu'il a été dit au point 4, un seul spécimen de loup a été identifié dans le département des Hautes-Pyrénées. Eu égard, d'une part, au nombre très réduit de loups présents dans les départements limitrophes et donc à la très faible densité ainsi qu'à la grande fragilité démographique de la population lupine dans la région des Pyrénées occidentales et, d'autre part, aux conséquences susceptibles de résulter de la destruction de ce spécimen sur l'aire de répartition naturelle de cette espèce, la condition d'urgence énoncée à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, dans les circonstances particulières de l'espèce, être regardée comme satisfaite.
Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
8. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits: / 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 de ce code : " La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / (...) b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété (...) ". Aux termes de l'article R. 161-3 du code de l'environnement, qui transpose sur ce point l'article 1er de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats " : " (...) II. - L'état de conservation d'une espèce s'apprécie en tenant compte de l'ensemble des influences qui, agissant sur l'espèce concernée, peuvent affecter à long terme la répartition et l'importance de ses populations dans leur aire de répartition naturelle. Il est considéré comme favorable lorsque sont réunis les critères suivants : / 1° Les données relatives à la dynamique des populations de cette espèce indiquent qu'elle se maintient à long terme comme élément viable de son habitat naturel ; / 2° L'aire de répartition naturelle de cette espèce ne diminue pas et n'est pas susceptible de diminuer dans un avenir prévisible ; / 3° Il existe et il continuera probablement d'exister un habitat suffisamment grand pour maintenir à long terme les populations de cette espèce qu'il abrite. / III. - Les détériorations s'apprécient par rapport à l'état de conservation des habitats ou des espèces au moment de la manifestation du risque ou de la réalisation du dommage en tenant compte de données mesurables telles que : / 1° Le nombre d'individus, leur densité ou la surface couverte ; / 2° Le rôle des individus ou de la zone concernés par rapport à la conservation générale de l'espèce ou de l'habitat ; / 3° La rareté de l'espèce ou de l'habitat appréciée, le cas échéant, au niveau régional, national ou communautaire ; / 4° La capacité de multiplication de l'espèce, sa viabilité ou la capacité de régénération naturelle de l'habitat ; / 5° La capacité de l'espèce ou de l'habitat à se rétablir, par sa seule dynamique naturelle, dans un état équivalent ou supérieur à l'état initial, dans une durée telle que les fonctionnements de l'écosystème ne soient pas remis en cause après la survenance d'un dommage, sans autre intervention que des mesures de protection renforcées ".
9. Il résulte des dispositions citées au point précédent, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses arrêts du 10 octobre 2019 Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola (C-674/17) et du 11 juillet 2024 Umweltverband WWF Österreich et autres c. Tiroler Landesregierung (C-601/22), que l'état de conservation de l'espèce s'apprécie notamment au regard de son aire de répartition naturelle. Par ailleurs, l'octroi d'une dérogation fondée sur l'article 16, paragraphe 1 de la directive Habitats, transposé par les dispositions précitées du code de l'environnement, doit reposer sur des critères permettant d'assurer la préservation à long terme de la dynamique et de la stabilité sociale de l'espèce visée. L'évaluation de l'incidence d'une telle dérogation doit être réalisée tant au niveau national qu'au niveau local pertinent.
10. S'il résulte de l'instruction que l'estimation moyenne de la population de loups en France s'établit à plus de 1000 spécimens en décembre 2024, soit un chiffre supérieur au seuil de viabilité démographique, et que cette population est caractérisée depuis 2019 par une démographie en croissance et une expansion territoriale, il en résulte également, comme il a été dit ci-dessus, que le département des Hautes-Pyrénées ne compterait qu'un seul spécimen de loup et que les départements limitrophes ne compteraient qu'une faible population de loups. Il suit de là qu'en l'état de l'instruction, et dans les circonstances particulières de l'espèce, le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux est susceptible de porter atteinte à l'état de conservation de l'espèce au niveau local est de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité.
11. Il résulte de ce qui précède que les associations requérantes sont fondées à demander la suspension de l'arrêté contesté. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à celles-ci au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Pau du 1er juillet 2025 est annulée.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 29 avril 2025 du préfet des Hautes-Pyrénées est suspendue.
Article 3 : L'Etat versera à l'association " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation " et autre une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation ", à l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature et à Monsieur A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 17 novembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Laurence Helmlinger, M. Jérôme Marchand-Arvier, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, Mme Cécile Isidoro, conseillers d'Etat et M. Léo André, auditeur-rapporteur.
Rendu le 12 décembre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Léo André
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
N° 506263
ECLI:FR:CECHR:2025:506263.20251212
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Léo André, rapporteur
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats
Lecture du vendredi 12 décembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
L'association " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation " et l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) ont demandé au juge des référés tribunal administratif de Pau, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 29 avril 2025 par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées a autorisé M. A... B..., président du groupement pastoral de Saint-Pé-de-Bigorre, à effectuer des tirs de défense simple en vue de la défense de son troupeau contre la prédation du loup. Par une ordonnance n° 2501664 du 1er juillet 2025, le juge des référés de ce tribunal a rejeté cette requête.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 16 et 31 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation " et ASPAS demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 21 février 2024 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Léo André, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de l'associations " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation " et autre ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 29 avril 2025, le préfet des Hautes-Pyrénées a autorisé M. A... B..., président du groupement pastoral de Saint-Pé-de-Bigorre, à mettre en oeuvre, jusqu'au 31 décembre 2025, des tirs de défense simple en vue de la défense de son troupeau contre la prédation du loup. Par une ordonnance du 1er juillet 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté la demande de l'association " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation " et de l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) tendant à la suspension, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de l'exécution de cet arrêté. Ces associations se pourvoient en cassation contre cette ordonnance.
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 du même code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit contenir l'exposé au moins sommaire des faits et moyens et justifier de l'urgence de l'affaire. "
3. Il résulte de ces dispositions que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'il n'était pas contesté devant lui que la population de loups dans le département des Hautes-Pyrénées est très réduite, un unique spécimen mâle ayant été identifié à ce jour, de même que dans le département voisin des Pyrénées-Atlantiques, regardé par l'Office français de la biodiversité comme une zone de présence permanente " non meute ", c'est à dire un territoire fréquenté par un ou deux loups sans reproduction avérée. En jugeant, dans ces conditions, qu'il n'était pas établi que la mise en oeuvre de l'arrêté attaqué, qui risquait d'avoir pour effet la destruction de cet unique loup présent dans le département, était susceptible d'avoir des conséquences graves et irréversibles pour la protection de cette espèce, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de leur pourvoi, que les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elles attaquent.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur l'urgence :
7. Ainsi qu'il a été dit au point 4, un seul spécimen de loup a été identifié dans le département des Hautes-Pyrénées. Eu égard, d'une part, au nombre très réduit de loups présents dans les départements limitrophes et donc à la très faible densité ainsi qu'à la grande fragilité démographique de la population lupine dans la région des Pyrénées occidentales et, d'autre part, aux conséquences susceptibles de résulter de la destruction de ce spécimen sur l'aire de répartition naturelle de cette espèce, la condition d'urgence énoncée à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, dans les circonstances particulières de l'espèce, être regardée comme satisfaite.
Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
8. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits: / 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 de ce code : " La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / (...) b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété (...) ". Aux termes de l'article R. 161-3 du code de l'environnement, qui transpose sur ce point l'article 1er de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats " : " (...) II. - L'état de conservation d'une espèce s'apprécie en tenant compte de l'ensemble des influences qui, agissant sur l'espèce concernée, peuvent affecter à long terme la répartition et l'importance de ses populations dans leur aire de répartition naturelle. Il est considéré comme favorable lorsque sont réunis les critères suivants : / 1° Les données relatives à la dynamique des populations de cette espèce indiquent qu'elle se maintient à long terme comme élément viable de son habitat naturel ; / 2° L'aire de répartition naturelle de cette espèce ne diminue pas et n'est pas susceptible de diminuer dans un avenir prévisible ; / 3° Il existe et il continuera probablement d'exister un habitat suffisamment grand pour maintenir à long terme les populations de cette espèce qu'il abrite. / III. - Les détériorations s'apprécient par rapport à l'état de conservation des habitats ou des espèces au moment de la manifestation du risque ou de la réalisation du dommage en tenant compte de données mesurables telles que : / 1° Le nombre d'individus, leur densité ou la surface couverte ; / 2° Le rôle des individus ou de la zone concernés par rapport à la conservation générale de l'espèce ou de l'habitat ; / 3° La rareté de l'espèce ou de l'habitat appréciée, le cas échéant, au niveau régional, national ou communautaire ; / 4° La capacité de multiplication de l'espèce, sa viabilité ou la capacité de régénération naturelle de l'habitat ; / 5° La capacité de l'espèce ou de l'habitat à se rétablir, par sa seule dynamique naturelle, dans un état équivalent ou supérieur à l'état initial, dans une durée telle que les fonctionnements de l'écosystème ne soient pas remis en cause après la survenance d'un dommage, sans autre intervention que des mesures de protection renforcées ".
9. Il résulte des dispositions citées au point précédent, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses arrêts du 10 octobre 2019 Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola (C-674/17) et du 11 juillet 2024 Umweltverband WWF Österreich et autres c. Tiroler Landesregierung (C-601/22), que l'état de conservation de l'espèce s'apprécie notamment au regard de son aire de répartition naturelle. Par ailleurs, l'octroi d'une dérogation fondée sur l'article 16, paragraphe 1 de la directive Habitats, transposé par les dispositions précitées du code de l'environnement, doit reposer sur des critères permettant d'assurer la préservation à long terme de la dynamique et de la stabilité sociale de l'espèce visée. L'évaluation de l'incidence d'une telle dérogation doit être réalisée tant au niveau national qu'au niveau local pertinent.
10. S'il résulte de l'instruction que l'estimation moyenne de la population de loups en France s'établit à plus de 1000 spécimens en décembre 2024, soit un chiffre supérieur au seuil de viabilité démographique, et que cette population est caractérisée depuis 2019 par une démographie en croissance et une expansion territoriale, il en résulte également, comme il a été dit ci-dessus, que le département des Hautes-Pyrénées ne compterait qu'un seul spécimen de loup et que les départements limitrophes ne compteraient qu'une faible population de loups. Il suit de là qu'en l'état de l'instruction, et dans les circonstances particulières de l'espèce, le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux est susceptible de porter atteinte à l'état de conservation de l'espèce au niveau local est de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité.
11. Il résulte de ce qui précède que les associations requérantes sont fondées à demander la suspension de l'arrêté contesté. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à celles-ci au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Pau du 1er juillet 2025 est annulée.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 29 avril 2025 du préfet des Hautes-Pyrénées est suspendue.
Article 3 : L'Etat versera à l'association " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation " et autre une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association " Ferus Ours.Loup.Lynx.Conservation ", à l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature et à Monsieur A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 17 novembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Laurence Helmlinger, M. Jérôme Marchand-Arvier, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, Mme Cécile Isidoro, conseillers d'Etat et M. Léo André, auditeur-rapporteur.
Rendu le 12 décembre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Léo André
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain