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Ariane Web: Conseil d'État 507500, lecture du 23 décembre 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:507500.20251223

Décision n° 507500
23 décembre 2025
Conseil d'État

N° 507500
ECLI:FR:CECHS:2025:507500.20251223
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Didier Ribes, rapporteur
CABINET MUNIER-APAIRE, avocats


Lecture du mardi 23 décembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Ricard TP a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, en premier lieu, d'annuler la procédure de passation du lot n° 3 du marché public de services relatif à l'entretien des espaces extérieurs du centre de formation initiale des militaires de la 11ème brigade parachutiste du 6ème régiment parachutiste et d'infanterie de la marine situés à Caylus (Tarn-et-Garonne), et de la délégation militaire de la Défense 46 situés à Cahors (Lot), en deuxième lieu, d'annuler la décision du 11 juillet 2025 par laquelle le directeur de la plate-forme commissariat Sud a rejeté son offre et toutes décisions concernant cette procédure, en troisième lieu, d'enjoindre au service du commissariat des armées de lui fournir le détail du calcul de la note correspondant au critère " Responsabilité sociétale des entreprises " et, en dernier lieu, d'enjoindre à ce service d'organiser une nouvelle procédure d'appel d'offres en vue de la passation du marché.

Par une ordonnance n° 2502846 du 7 août 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a annulé la procédure de passation du marché.

Par un pourvoi, enregistré le 21 août 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des armées demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande présentée par la société Ricard TP devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Ricard TP ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulon que par un avis d'appel public à la concurrence publié le 14 avril 2025, le ministère des armées a engagé une procédure de passation d'un marché de services comprenant, dans son lot n° 3, des prestations d'entretien des espaces extérieurs du centre de formation initiale des militaires de la 11ème brigade parachutiste du 6ème régiment parachutiste et d'infanterie de la marine situés à Caylus (Tarn-et-Garonne) et de la délégation militaire de la Défense 46 situés à Cahors (Lot). Par une décision du 11 juillet 2025, le directeur de la plate-forme commissariat Sud a rejeté l'offre de la société Ricard TP et l'a informée que le lot n° 3 du marché avait été attribué à la société YMCA Services Occitanie. Par une ordonnance du 7 août 2025, contre laquelle le ministre des armées se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a, à la demande de la société Ricard TP, annulé cette procédure de passation.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / (...) Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

3. Les décisions prises par le juge des référés sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative sont rendues à la suite d'une procédure particulière qui, tout en étant adaptée à la nature des demandes et à la nécessité d'assurer une décision rapide, doit garantir le caractère contradictoire de l'instruction. Si les parties peuvent présenter en cours d'audience des observations orales à l'appui de leurs écrits, elles doivent, si elles entendent soulever des moyens nouveaux, les consigner dans un mémoire écrit. Le juge, qui ne saurait accueillir de tels moyens sans avoir mis le défendeur à même de prendre connaissance du mémoire qui les invoque, peut, compte tenu de ces nouveaux éléments, décider que la clôture de l'instruction n'interviendra pas à l'issue de l'audience mais la différer à une date dont il avise les parties par tous moyens. S'il décide de tenir une nouvelle audience, l'instruction est prolongée jusqu'à l'issue de cette dernière.

4. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, pour annuler la procédure de passation attaquée en litige, s'est fondé sur un moyen soulevé à l'audience tiré de ce que le sous-critère " Mesures sociales " a institué une discrimination entre les candidats au marché et a été susceptible de léser la société requérante. En se fondant sur ce moyen qui n'a pas été consigné dans un mémoire écrit, il a entaché son ordonnance d'une irrégularité.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre des armées est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. En premier lieu, d'une part, il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient la société Ricard TP, les catégories de prestations désignées au devis quantitatif estimatif (DQE) correspondent à celles mentionnées dans le bordereau des prix unitaires. Par ailleurs, si la société Ricard TP soutient que le pouvoir adjudicateur aurait faussé la détermination du prix du marché en comptant certaines prestations à la fois dans le bordereau des prix forfaitaires et le DQE, il résulte de l'instruction que ce moyen manque en fait.

8. D'autre part, le moyen tiré de ce que le pouvoir adjudicateur aurait commis une erreur dans le calcul du prix du marché résultant de l'offre de la société Ricard TP manque en fait. Celle-ci n'est, dès lors et en tout état de cause, pas fondée à soutenir qu'une telle erreur affecterait la régularité de la méthode de notation des offres retenue par le ministre des armées.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base du critère du prix ou du coût. L'offre économiquement la plus avantageuse peut également être déterminée sur le fondement d'une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux ". L'article R. 2152-7 du même code précise : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : / 1° Soit sur un critère unique qui peut être : / a) Le prix, (...) / b) Le coût, (...) / 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : / a) (...) les performances (...) d'insertion professionnelle des publics en difficulté (...) ".

10. Il résulte de l'instruction que le sous-critère " Mesures sociales " prévu par le règlement de consultation et compris dans le critère " Responsabilité sociétale des entreprises " est destiné à apprécier les différentes actions sociales menées dans le cadre de l'exécution du marché, tenant notamment au nombre de demandeurs d'emploi éloignés de l'emploi qui sont spécialement recrutés pour l'exécution du marché. Un tel sous-critère peut être regardé comme étant en lien direct avec les conditions de l'offre économiquement la plus avantageuse. Il est par ailleurs pondéré à hauteur de 4 % seulement. Ce sous-critère ne peut ainsi être regardé comme ayant un effet discriminatoire à l'égard de la société Ricard TP. Par suite, le moyen tiré de ce que le sous-critère " Mesures sociales " n'est pas au nombre de ceux susceptibles d'être retenus pour sélectionner les offres doit être écarté.

11. En troisième lieu, le moyen tiré de l'imprécision de la méthode de détermination du critère " Responsabilité sociétale des entreprises " n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ".

13. La société Ricard TP, pour soutenir que le ministère des armées a commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant l'offre de la société YMCA Services Occitanie dont elle estime qu'elle était anormalement basse, indique que cette offre est inférieure de 11,71 % à la valeur estimée du marché et de 13,6 % à la moyenne des autres offres et qu'elle serait inférieure au seuil de rentabilité du marché. Cependant, il ne résulte pas de l'instruction que le montant de l'offre de la société YMCA Services Occitanie était en lui-même manifestement sous-évalué et susceptible de compromettre la bonne exécution du marché en cause. La société Ricard TP n'est dès lors pas fondée à soutenir qu'en ne rejetant pas l'offre retenue comme anormalement basse et susceptible de rendre difficile l'exécution du marché, le pouvoir adjudicateur aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

14. En dernier lieu, si la société Ricard TP allègue que la société attributaire ne disposerait pas des capacités nécessaires à l'exécution du marché, lequel implique l'utilisation d'engins de travaux publics, elle se borne à faire valoir que l'objet social de cette société est limité à la réalisation de " tout aménagement et entretien des espaces verts et des décors végétaux d'intérieur ou d'extérieur permettant l'insertion professionnelle de personnes en situation de handicap ". La société Ricard TP n'est dès lors pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne rejetant pas la candidature de la société YMCA Services Occitanie comme irrecevable.

15. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par la société Ricard TP devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon doit être rejetée.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le ministre des armées au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 7 août 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Ricard TP devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Ricard TP et par le ministre des armées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.