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Ariane Web: Tribunal des conflits C4190, lecture du 8 juin 2020

Décision n° C4190
8 juin 2020
Tribunal des conflits

N° C4190
Publié au recueil Lebon

M. Ménéménis, président
Mme Christine Maugüé, rapporteur
Mme Berriat, commissaire du gouvernement


Lecture du lundi 8 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu, enregistrée à son secrétariat le 13 février 2020, l'expédition de l'arrêt du 5 février 2020 par lequel la Cour de cassation, saisie du pourvoi formé par M. A... contre l'arrêt du 11 décembre 2018 par lequel la cour d'appel de Grenoble s'est déclarée incompétente pour connaître de sa demande tendant notamment à ce qu'il soit jugé que des droits d'eau fondés en titre sont attachés aux parcelles dont il est propriétaire à Chateaudouble (Drôme), a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;
Vu, enregistré le 27 mars 2020, le mémoire produit par le syndicat d'irrigation départemental drômois, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, par les motifs que les droits fondés en titre relèvent du régime juridique de la police administrative de l'eau, que le juge administratif a dès lors une compétence exclusive pour connaître d'une action en déclaration d'un droit fondé en titre et qu'en toute hypothèse le présent litige oppose M. A... à un établissement public et vise à la reconnaissance d'un droit fondé en titre par l'administration ;
Vu, enregistré le 4 mai 2020, le mémoire produit pour M. A..., tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente et à ce qu'une somme de 3000 euros soit mise à la charge du syndicat d'irrigation départemental drômois au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991, par les motifs que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître d'une action en reconnaissance d'un droit fondé en titre, a fortiori lorsque ce droit porte sur un cours d'eau non domanial ;
Vu, enregistrées le 9 mai 2020, les observations produites par le ministre de la transition écologique et solidaire, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n°2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme C... B..., membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret pour le syndicat départemental d'irrigation drômois ;
- les conclusions de Mme Anne Berriat, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., exploitant agricole, est propriétaire de parcelles à Châteaudouble, situées à proximité du canal de la Martinette, lequel est notamment alimenté par la rivière Lierne. Il est membre d'une association syndicale autorisée (ASA) ayant pour objet la gestion du canal de la Martinette. Au cours de l'année 2013, le syndicat d'irrigation départemental drômois a procédé à des sondages dans l'une de ces parcelles, sur laquelle se trouve une prise d'eau reliée au canal, destinée à l'irrigation pour les besoins de l'exploitation agricole. Par un arrêté du 25 mars 2014, le préfet de la Drôme a mis en demeure l'ASA de déposer une demande d'autorisation de prélèvement dans la rivière Lierne. Soutenant être titulaire de droits d'eau fondés en titre, l'ASA a saisi, aux fins d'annulation de l'arrêté, le tribunal administratif de Grenoble, qui, par un jugement du 21 juin 2016, a rejeté sa requête. L'exploitant a alors assigné le syndicat d'irrigation départemental drômois devant la juridiction judiciaire en vue de faire reconnaître l'existence de droits d'eau fondés en titre attachés aux parcelles dont il est propriétaire. Cette action a été rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent, successivement par une ordonnance du 15 février 2018 du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Valence et par un arrêt du 15 décembre 2018 de la cour d'appel de Grenoble. Estimant que le litige présentait à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse, la Cour de cassation a, par un arrêt du 5 février 2020, renvoyé au Tribunal le soin de décider sur cette question par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015.

2. Sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux. Sont également dans ce cas les prises d'eau sur des cours d'eau domaniaux fondées sur des droits acquis antérieurement à l'édit de Moulins ainsi que, quel que soit le régime des cours d'eau, les prises d'eau exploitées en vertu de droits acquis dans le cadre de la vente de biens nationaux.

3. Les droits fondés en titre constituent des droits d'usage de l'eau. Ils ont le caractère de droits réels immobiliers. Toutefois, tout en confirmant le régime des droits acquis, les dispositions législatives du code de l'environnement relatives à la police de l'eau les ont inclus dans leur champ d'application. En particulier, le II de l'article L. 214-6 du code de l'environnement dispose que les installations et ouvrages fondés en titre " sont réputés déclarés ou autorisés " pour l'application des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code et les droits fondés en titre sont soumis aux conditions générales d'abrogation, de révocation et de modification des autorisations définies par les articles L 214-4 et L 215-10 du même code. En outre, l'autorité administrative exerçant ses pouvoirs de police de l'eau peut modifier la portée d'un droit fondé en titre en imposant le respect de prescriptions.

4. Il appartient dès lors à la juridiction administrative de se prononcer sur l'existence ou la consistance d'un droit d'usage de l'eau fondé en titre et de statuer sur toute contestation sur l'un ou l'autre de ces points. Il appartient en revanche au juge judiciaire de connaître de toute contestation relative à la personne titulaire d'un tel droit. Lorsque, dans le cadre d'un litige porté devant lui, l'existence ou la consistance du droit est contestée, le juge judiciaire reste compétent pour connaître du litige, sauf si cette contestation soulève une difficulté sérieuse, notamment parce qu'elle porte sur une décision affectant l'existence ou la consistance du droit que l'administration a prise ou qu'il pourrait lui être demandé de prendre dans l'exercice de ses pouvoirs de police de l'eau. Dans un tel cas, il appartient au juge judiciaire de saisir de cette question, par voie préjudicielle, le juge administratif.

5. Il résulte de ce qui précède que le présent litige ressortit à la compétence de la juridiction administrative.

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du syndicat d'irrigation départemental drômois la somme que demande M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


D E C I D E:
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Article 1er : La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant M. A... au syndicat d'irrigation départemental drômois.
Article 2 : Les conclusions de M. A... tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. D... A... et au syndicat d'irrigation départemental drômois.


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