Administrations au service des usagers

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En France, l’action de l’administration s’exerce dans un cadre qui garantit à tous les citoyens un égal accès aux services publics et qui les protège des erreurs ou des abus. En 2024, par plusieurs décisions, le Conseil d’État a vérifié que les services rendus aux usagers étaient effectivement accessibles et que les droits des citoyens et des fonctionnaires dans leur relation avec l’administration étaient pleinement respectés.

Accessibilité des services publics : des alternatives au numérique sont nécessaires

Pour obtenir un premier passeport, pour gérer une succession ou pour postuler à certains emplois dans la fonction publique, un certificat de nationalité française est souvent demandé. Mais en juin 2022, les règles pour obtenir ce certificat changent : un décret du Gouvernement impose aux demandeurs de fournir une adresse électronique. Toutes les communications liées à la demande sont envoyées par voie numérique, y compris le récépissé constatant la réception de toutes les pièces du dossier ou la notification du refus de délivrance du certificat. Pour plusieurs syndicats d’avocats, cette obligation va à l’encontre du principe d’accessibilité des services publics. Ils saisissent le Conseil d’État.

Prévoir une solution de substitution au numérique

Comme le Conseil d’État l’a précisé dans une décision de juin 2022, rien ne s’oppose à ce que ces échanges se déroulent par voie électronique. Mais l’administration aurait dû prévoir une solution de substitution pour les citoyens qui n’ont pas accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés dans leur utilisation. En l’état, cette disposition « fait obstacle à l’accès normal des usagers au service public et à l’exercice effectif de leurs droits par les personnes concernées ».

Informer les demandeurs du statut de leur demande

Par ailleurs, le Conseil d’État relève une ambiguïté dans l’information sur le traitement des demandes. Le récépissé remis aux demandeurs mentionne un délai de six mois pour obtenir une réponse, mais ne précise pas ce qu’implique une absence de réponse de l’administration à l’issue de ce délai. En ne répondant pas clairement à ces questions, le décret méconnaît l’objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme comme le principe de sécurité juridique. Le Conseil d’État annule le texte sur ces différents points.

 

Stationnement payant et géolocalisation : le droit au recours

Depuis 2018, ne pas payer un stationnement payant ne donne plus lieu à une contravention, mais à un « forfait de post-stationnement » (FPS). Gérés par les communes et les intercommunalités, les FPS sont parfois établis sur la base de dispositifs de géolocalisation utilisés pour détecter les véhicules. Mais en cas d’erreur dans la localisation, quels sont les recours des automobilistes ? Dans une décision de novembre 2024, le Conseil d’État précise le cadre.

Garantir les droits des automobilistes

Parce que les dispositifs de contrôle par géolocalisation comportent un risque d’erreur non négligeable, le Conseil d’État insiste sur le rôle essentiel des agents assermentés, des collectivités locales et des sociétés à qui sont délégués les services de stationnement. Avant toute émission de FPS, un agent assermenté doit vérifier l’exactitude des données transmises par le système de géolocalisation ainsi que les photographies montrant que le véhicule était bien stationné sur une place payante. En cas de contestation, l’automobiliste doit d’abord déposer un recours auprès de la commune ou de l’intercommunalité. Et ce recours doit faire l’objet d’un examen minutieux : si les photographies de contrôle ne permettent pas de localiser avec certitude l’emplacement du véhicule et si la contestation de l’automobiliste est suffisamment étayée, le FPS doit être retiré. Si la commune ou l’intercommunalité rejette la contestation du FPS et que l’automobiliste saisit le tribunal du stationnement payant, le juge estime que celui-ci ne pourra pas demander à l’automobiliste des photographies de preuve que seule la commune détient. Pour le Conseil d’État, le droit au recours des automobilistes doit être effectivement garanti à chaque étape.

 

Un « droit de se taire » pour les fonctionnaires en procédure disciplinaire

En 2023, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel juge qu’il résulte de l’article 9 de

la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, un « droit de se taire » qui ne s’applique pas qu’aux procédures pénales, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Cela implique notamment qu’un agent public faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés, qu’à condition qu’il soit informé en amont du droit qu’il a de se taire. Mais comment s’applique ce droit concrètement ? Saisi par un magistrat du parquet qui a fait l’objet de poursuites disciplinaires, le Conseil d’État précise les règles en 2024 après avoir à nouveau interrogé le Conseil constitutionnel.

Un droit applicable dès l’ouverture d’une procédure disciplinaire

Tout d’abord, le Conseil d’État indique que l’agent qui fait l’objet d’une procédure disciplinaire doit être avisé, avant d’être entendu la première fois, qu’il dispose du droit de se taire durant la totalité de la procédure. Ce droit ne s’applique pas aux échanges ordinaires avec la hiérarchie, ni aux enquêtes ou inspections menées avant le début de la procédure… sauf si l’employeur détourne les règles, en tardant par exemple à ouvrir une procédure disciplinaire pour ne pas avoir à informer l’agent de son droit de se taire. Et dans le cas où une enquête administrative est engagée alors qu’une procédure disciplinaire est déjà ouverte, l’agent doit être à nouveau informé qu’il peut exercer son droit au silence.

Quelles conséquences si le droit n’est pas appliqué ?

Et que se passe-t-il concrètement si l’agent n’a pas été informé de son droit de se taire ? Pour le Conseil d’État, il s’agit d’un vice de procédure. Toutefois, cette omission ne suffit pas à invalider la sanction disciplinaire sauf s’il est démontré qu’elle s’appuie de manière déterminante sur les propos tenus par l’agent alors qu’il ignorait son droit au silence.

 

La lenteur d’une administration à rectifier une erreur peut justifier réparation

Le système national des permis de conduire (SNPC) est un fichier qui centralise les informations sur le nombre de points et la validité des permis des automobilistes français. En août 2017, une personne est contrôlée sur la route par des policiers. Le SNPC indique, à tort, que son permis a été annulé par la justice. Elle est emmenée au commissariat puis entendue dans une enquête pour conduite sans permis.

Avant d’obtenir la rectification de cette erreur, la requérante effectue pendant un an des démarches nombreuses et répétées auprès du ministère de l’Intérieur, puis dépose un recours auprès de la justice administrative. La requérante estime qu’avoir eu à mener toutes ces démarches lui a causé un préjudice. En juin 2024, le Conseil d’État lui donne raison : elle a subi, de fait, « des troubles dans ses conditions d’existence » que l’État doit indemniser.