La biodiversité : un bien commun protégé par le droit

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Plus de 180 000 espèces animales et végétales sont recensées en France. En 2016, le Parlement a fait de la biodiversité une composante du « patrimoine commun de la Nation ». Pour maintenir la richesse des écosystèmes, le droit français et européen impose des règles strictes de conservation. En 2024, lorsqu’il a été saisi, le Conseil d’État a veillé à leur application en tenant compte de l’activité des professionnels qui en vivent.

Des mesurer à prendre pour protéger les dauphins et les marsouins

Chaque année, près de 9 000 dauphins communs périssent dans les filets de pêche sur la façade atlantique. Un chiffre qui dépasse largement le seuil de 4 900 décès, au-delà duquel la conservation de l’espèce est menacée. Pourtant, le dauphin commun, le grand dauphin et le marsouin commun sont protégés par le droit européen. La directive « Habitat » impose aux États membres de limiter les captures accidentelles, tout en tenant compte des intérêts économiques des pêcheurs. En mars 2023, saisi par plusieurs associations de défense de l’environnement, le Conseil d’État ordonne au Gouvernement de prendre des mesures appropriées.

Une première suspension en urgence

Six mois plus tard, le secrétaire d’État chargé de la Mer publie un arrêté pour interdire aux navires de huit mètres de long ou plus de pêcher dans le golfe de Gascogne du 22 janvier au 20 février des années 2024, 2025 et 2026. Mais, pour les associations, la période d’interdiction est trop courte et largement atténuée par le grand nombre de dérogations prévues par le texte. Saisi à nouveau, le juge des référés du Conseil d’État suspend en urgence ces dérogations en décembre 2023. La pêche est finalement fermée pour l’essentiel des bateaux entre janvier et février 2024.

Des résultats encourageants pour les petits cétacés

Après son jugement en référé, le Conseil d’État se prononce « au fond » en décembre 2024. Sur la base des dernières données scientifiques, il observe que la mort des petits cétacés par capture accidentelle a nettement diminué au cours de l’hiver 2024. Pour le juge, cela confirme qu’interdire la pêche pendant quatre semaines aux bateaux de plus de huit mètres de long est suffisant et adapté à l’objectif de conservation de ces espèces. Mais pour être pleinement efficace, cette mesure doit s’appliquer à l’ensemble des actions de pêche à risque.

Une interdiction trop permissive

Or l’arrêté de 2023 n’inclut pas certains dispositifs pourtant responsables d’un grand nombre de captures accidentelles, comme les sennes pélagiques – des filets utilisés pour encercler les bancs de poissons en surface. Une technique qui, rappelle le Conseil d’État, a été expressément interdite par la Commission européenne pour l’année 2025. Par ailleurs, le texte met fin à l’expérimentation des dispositifs de dissuasion acoustique sur certains navires, sans proposer de mesure alternative. Le Conseil d’État annule l’arrêté sur ces différents points.

 

Pêche aux anguilles : les périodes de migration doivent être prises en compte

En quarante ans, la population d’anguilles en Europe a chuté de 95 %. C’est pourquoi l’Union européenne impose depuis 2007 aux États membres de se doter d’un plan de gestion de l’anguille. L’objectif est de réduire la mortalité causée par l’activité humaine et d’atteindre un niveau de 40 % de migration vers l’océan au stade adulte. Parmi les mesures mises en œuvre, le Gouvernement fixe chaque année la quantité maximale de civelles – les jeunes anguilles de moins de douze centimètres – pouvant être pêchée, tout en réservant 60 % des captures au repeuplement.

Les quotas de pêche sont légaux…

Mais des associations de protection de la faune aquatique contestent les quotas choisis et saisissent le Conseil d’État. Selon elles, le volume de pêche autorisé pour les années 2021-2022 et 2023-2024 (65 tonnes) est trop élevé pour une espèce classée « en danger critique ». Dans deux décisions de 2024, le Conseil d’État relève toutefois que le Gouvernement s’est appuyé sur l’avis d’un comité scientifique dédié et a retenu les quotas les plus exigeants parmi ceux proposés.

"Les ministres compétents ne peuvent […] déterminer des périodes de pêche qui correspondraient pour l’essentiel aux périodes de migration" (Décision)

Il rappelle aussi que reconstituer la population d’anguilles est un objectif européen de long terme, qui repose sur un ensemble de mesures, comprenant les quotas mais aussi la limitation des zones et périodes de pêche. Il constate qu’à ce jour, aucune donnée ne permet de dire que les mesures prises sont insuffisantes pour atteindre cet objectif

.… mais pas les périodes de pêche

En revanche, dans une troisième décision, le Conseil d’État juge que les périodes de pêche de la civelle pour 2023- 2024 contreviennent à l’objectif européen de reconstitution des populations d’anguilles. Les dates retenues coïncident, en grande partie, avec les périodes où les jeunes anguilles quittent l’océan pour rejoindre les estuaires et fleuves d’Europe. Or, afin de laisser un maximum de civelles gagner les eaux douces, le droit européen impose aux États membres de tenir compte des cycles de migration. Le Conseil d’État juge qu’en autorisant la pêche essentiellement durant ces périodes, le Gouvernement n’a pas respecté cette obligation.

 

Chasse des grands cormorans : un équilibre écologique à trouver

Le grand cormoran est un oiseau aquatique qui se nourrit essentiellement de poissons. Cet excellent plongeur traque ses proies en mer comme en eau douce. L’espèce est protégée depuis 2009 mais sa chasse peut être autorisée par les préfets quand sa présence menace la faune piscicole. Ces autorisations doivent respecter des quotas départementaux fixés par le Gouvernement.

100 000 grands cormorans recensés en France et 300 à 500 g de poissons consommés par cormoran et par jour ( Source : 16e recensement national des grands cormorans hivernant en France)

En 2022, un arrêté des ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique prévoit pour la période 2022-2025 des plafonds de destruction des grands cormorans pour les piscicultures mais – contrairement aux années précédentes – pas pour les rivières et les lacs. Des fédérations de pêche saisissent le juge.

Un risque sérieux pour les poissons protégés

Ces fédérations s’inquiètent de l’impact des grands cormorans sur la conservation de plusieurs espèces de poissons. En décembre 2024, le Conseil d’État leur donne raison. D’abord, il rappelle que si la population des cormorans reste stable, celles des saumons atlantiques, des brochets, des ombres communs ou des anguilles sont en net déclin. L’incidence de l’oiseau piscivore varie selon les lieux, mais les données de terrain montrent que sa prédation accentue la pression sur les espèces vulnérables. Or, sans plafond applicable en eau libre, le préfet perd sa capacité d’agir : il ne peut plus autoriser de tirs contre les grands cormorans dans les rivières et lacs pour rétablir l’équilibre écologique. Pour le Conseil d’État, le Gouvernement aurait dû mieux évaluer les risques. Il lui donne quatre mois pour prendre un nouvel arrêté fixant des plafonds en eaux libres.