Logement : un droit sous tension

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La possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle. Dans ses décisions et avis, le Conseil d’État veille à ce que ce droit soit garanti et à concilier concrètement les différents intérêts qui peuvent s’opposer.

Immeubles en péril : la sécurité des habitants doit être garantie

Comment protéger les riverains lorsqu’un immeuble risque de tomber en ruine et que le propriétaire ne prend pas ses responsabilités ? Dans une décision de juillet 2024, le Conseil d’État précise les moyens dont disposent les maires pour garantir la sécurité de tous, en fonction du niveau de danger et de l’urgence de la situation.

Une procédure pour la démolition des logements menaçant ruine

Lorsque l’état d’un logement ne permet pas d’assurer la sécurité de ses occupants ou des visiteurs, on dit qu’il « menace ruine ». Le Conseil d’État juge que le propriétaire qui n’agirait pas peut alors être mis en demeure, par le maire de la commune, de réaliser les réparations nécessaires ou de faire démolir le bâtiment. Le tout dans un délai fixé par le maire, grâce à une procédure prévue par le code de la construction et de l’habitation. Si le propriétaire persiste à ne rien faire, le maire peut procéder à ces travaux ou à la démolition, après avoir obtenu l’autorisation du juge administratif, et faire payer les frais engagés au propriétaire.

Et en cas de danger grave et imminent ?

Mais en cas d’extrême urgence, faute de temps, impossible de suivre les différentes étapes de cette procédure. Le Conseil d’État rappelle que le maire peut agir immédiatement, en vertu des pouvoirs dont il dispose pour assurer la sécurité de la population : il peut faire démolir l’immeuble aux frais de la commune. Toutefois, comme il agit alors en dehors de la procédure prévue par le code de la construction et de l’habitat, le maire ne peut pas obliger lui-même le propriétaire à rembourser le coût de la démolition. En effet, il ne peut s’appuyer que sur la responsabilité civile du propriétaire ou sur le fait que celui-ci est « gagnant » puisqu’il n’aura pas eu à procéder lui-même à cette démolition. S’agissant de procédures civiles classiques, le maire doit donc saisir le juge judiciaire pour demander le remboursement.

 

Encadrement des loyers à Paris : un calcul à parfaire

Pour freiner la hausse des prix des locations dans les grandes villes, la loi du 23 novembre 2018 permet à certaines collectivités de mettre en place un dispositif d’encadrement des loyers. En 2019, Paris a été la première à l’appliquer sur l’intégralité de son territoire : un arrêté du préfet y fixe les loyers de référence par catégorie de bien, pour les différents secteurs de la ville. Des associations du secteur de l’immobilier saisissent la justice administrative pour faire annuler cet arrêté : elles estiment notamment que les secteurs retenus ne sont pas assez homogènes pour ce qui est des niveaux de loyers, ce qui fausse le calcul des loyers de référence. Après le rejet de leur recours par la cour administrative d’appel de Paris, elles saisissent le Conseil d’État.

L’homogénéité des secteurs dépend des loyers réellement pratiqués

Dans sa décision, le Conseil d’État ne remet pas en cause la légalité du dispositif d’encadrement des loyers en lui-même. Il rappelle que, dans les communes concernées, il revient bien au représentant de l’État de fixer les loyers de référence applicables, par catégorie de logement et par secteur géographique. Et les secteurs géographiques doivent être homogènes en termes de niveaux de loyer constatés sur le marché locatif, c’est- à-dire qu’un même secteur doit réunir des logements aux loyers comparables.

48 communes en France où l’encadrement des loyers est mis en place (Source : rapport n°363 (2024-2025) sur la proposition de loi expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer, Sénat)

Toutefois, pour vérifier que les secteurs avaient été correctement délimités par le préfet, la cour administrative d’appel s’est limitée à regarder si la dispersion des loyers n’était pas trop forte au sein de ces secteurs en comparant des logements construits à des dates similaires.

Le Conseil d’État juge que cela ne permet pas de confirmer que les secteurs sont homogènes comme le prévoit la loi. Il renvoie donc l’affaire à la cour pour qu’elle procède à un nouvel examen. Il précise cependant que le juge administratif ne doit annuler un arrêté du préfet fixant les loyers de référence que s’il est entaché d’erreur manifeste.

 

Contre la crise du logement, des règles à sécuriser

Difficultés d’accès au crédit, pénurie de logements abordables, manque de logements sociaux… Depuis quelques années, la France fait face à une grave crise du logement.

4,2 M de personnes mal logées en France (Source : Fondation pour le logement)
 

Pour y répondre, le Gouvernement prépare un projet de loi relatif au développement de logements abordables, qu’il soumet à l’avis du Conseil d’État en mai 2024.

Garantir le respect des règles d’attribution des logements sociaux

Le texte entend notamment renforcer les pouvoirs des maires au sein des commissions d’attribution de logements et d’examen de l’occupation des logements (CALEOL). Désormais, dans les situations de première attribution de logements sociaux, le maire pourra proposer un classement des candidats pour chaque logement. Il pourra aussi s’opposer au choix d’un candidat par la CALEOL, dans la limite d’un refus par logement.

Le Conseil d’État relève que ce pouvoir d’appréciation du maire ne pourra s’exercer que dans le respect des règles encadrant la prise de décision au sein des commissions. Définies par la loi, ces règles prévoient que le choix d’attribution doit satisfaire les besoins des personnes aux revenus modestes, tout en prenant en compte la diversité de la demande locale, l’égalité des chances des demandeurs et la mixité sociale des villes et des quartiers.

Ne pas négliger les droits des propriétaires

Pour lutter contre la spéculation foncière dans les zones tendues, le Gouvernement souhaite autoriser les communes à préempter les terrains vendus à des prix excessifs, pendant une période de sept ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi. Pour le Conseil d’État, cette facilitation du droit de préemption doit être strictement encadrée au regard du droit de propriété. La mesure doit être réservée aux biens aux prix réellement excessifs et s’appliquer dans des secteurs bien délimités, où l’évolution du marché compromet les objectifs d’accès au logement et de mixité sociale. Le Conseil d’État préconise de mentionner les critères de délimitation des secteurs dans le texte. Il invite aussi le Gouvernement à compléter l’étude d’impact d’exemples concrets de situations dans lesquelles cette procédure pourrait être enclenchée pour expliquer plus précisément ce qu’elle apporte par rapport aux mesures existantes.

Éviter des dérogations inutiles

Dans son avis, le Conseil d’État émet enfin des réserves sur la multiplication des règles contentieuses particulières prévues pour accélérer la réalisation de nouvelles constructions. Au motif de réduire les délais de jugement, ces règles introduisent des dérogations complexes que le Conseil d’État estime peu justifiées et dont il n’est pas certain qu’elles atteindront leur objectif.