Pour préserver le débat public de toute ingérence et de toute instrumentalisation, la loi impose aux médias de respecter le pluralisme des opinions, l’honnêteté et l’indépendance de l’information. En 2024, le Conseil d’État s’est assuré que ces principes ont été respectés sans porter atteinte à la liberté éditoriale des médias audiovisuels.
Les chaînes de télévision doivent respecter le pluralisme et l’indépendance de l’information
En France, la loi impose aux chaînes de télévision et stations de radio d’assurer l’indépendance de l’information et la diversité des points de vue sur leurs antennes. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) veille au respect de ces principes. Pour contrôler le pluralisme, elle tient notamment compte du temps de parole accordé aux différentes personnalités politiques sur chaque média. Et pour évaluer l’indépendance, elle analyse des séquences précises d’émissions diffusées sur les chaînes. Mais est-ce suffisant ?
Le cadre légal précisé
En 2024, une association demande à l’Arcom de mettre en demeure une chaîne d’information en continu car elle ne respecterait pas ses obligations. Elle lui reproche de ne pas assurer la représentation de la diversité des points de vue dans ses programmes et de ne pas respecter son devoir d’indépendance de l’information. Après avoir essuyé un refus de l’Arcom, l’association saisit le Conseil d’État. En février 2024, le juge rappelle le cadre légal et les critères à prendre en compte pour contrôler le pluralisme et l’indépendance des programmes de télévision.
Le Conseil d’État rappelle que la loi du 30 septembre 1986, modifiée par la loi du 14 novembre 2016, ne limite pas le pluralisme de l’information sur les chaînes de télévision au seul temps de parole des personnalités politiques. L’Arcom doit prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des intervenants.
L’Arcom a pour mission de garantir le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes audiovisuels, notamment dans les programmes consacrés à l’information (Décision du 13 février 2024).
Il ne s’agit pas de « ficher » ces derniers selon leurs idées ni de décompter leurs interventions comme celles des personnalités politiques, mais de réaliser une appréciation globale du pluralisme des opinions exprimées à l’antenne. Cinq mois plus tard, l’Arcom revoit donc ses règles de contrôle. Désormais, l’autorité s’appuiera sur un faisceau d’indices (diversité des intervenants, des thématiques et des points de vue exprimés) pour vérifier qu’il n’existe pas de déséquilibre manifeste et durable sur les chaînes.
Examiner les conditions de fonctionnement de la chaîne
S’agissant de l’indépendance de l’information, le Conseil d’État juge que l’Arcom ne peut se contenter d’étudier les extraits d’une émission pour vérifier le respect de cette obligation. Dans l’intérêt du public, l’autorité de régulation doit aussi tenir compte de « l’ensemble des conditions de fonctionnement de la chaîne et des caractéristiques de sa programmation ».
Une obligation d’honnêteté et de rigueur de l’information
Les Français sont 77 % à penser que la diffusion de fausses informations a des conséquences sur le fonctionnement de la vie démocratique.* Pour empêcher leur propagation dans le débat public, la loi du 30 septembre 1986 contraint les éditeurs audiovisuels à faire preuve de rigueur dans la manière de présenter et de traiter l’information. Le texte prévoit que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) garantit notamment « l’honnêteté , l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent ». Comment contrôler cette obligation ? En décembre 2024, saisi par une chaîne de la TNT mise en demeure par l’Arcom pour deux séquences, le Conseil d’État précise les critères.
Manque de rigueur ou source institutionnelle erronée ?
Dans la première séquence, une journaliste affirmait à tort qu’une manifestation à Paris contre les sanctions internationales visant la Russie n’avait pas eu lieu. Si la chaîne a rectifié son erreur le lendemain, le Conseil d’État estime comme l’Arcom qu’elle était en mesure de vérifier cette information le jour même et a agi sans précaution. Pour le juge, il y a bien eu manquement à l’obligation d’honnêteté et de rigueur de l’information.
62 % des Français ne font pas confiance aux médias sur les sujets d’actualité (Source : étude Verian pour La Croix et La Poste, 2024)
Dans la seconde séquence, une infographie diffusée laissait croire qu’un couple au chômage avec deux enfants pouvait gagner plus qu’un couple de travailleurs en cumulant allocations chômage et RSA. Un cumul pourtant impossible selon la loi. Ici, le Conseil d’État note que la chaîne a été induite en erreur par un simulateur officiel de la Caisse d’allocations familiales. Les journalistes ont également cherché à vérifier l’information auprès de France Travail, sans succès. L’erreur provient donc de la source institutionnelle elle-même et non de la chaîne.
Quelles règles les chaînes de télévision doivent-elles respecter ?
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme » Article 11, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
« La loi garantit les expressions pluralistes des opinions » Article 4, Constitution française
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. » Article 10, Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
« La communication au public par voie électronique est libre. L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect (...) du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion » Article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
« L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale. » Article 13 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
L’équité de traitement des candidats lors des élections : un principe à respecter
En période électorale, les chaînes de télévision doivent répartir le temps de parole de manière équitable entre les candidats, en fonction des résultats obtenus lors des précédents scrutins. C’est le principe d’équité de traitement. En juin 2024, après la dissolution de l’Assemblée nationale et à quelques jours du premier tour des élections législatives, un débat entre les principales forces politiques est organisé par une chaîne de télé- vision. Mécontent de ne pas avoir été convié, un parti politique saisit l’Arcom pour qu’un de ses représentants soit invité. L’autorité de régulation refuse. Le parti dépose alors un recours en urgence devant le Conseil d’État.
Pour le Conseil d’État, l’Arcom n’a porté aucune atteinte « grave ni manifestement illégale au caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion ». Le juge des référés rappelle que chaque média peut exercer sa liberté éditoriale dans le choix de ses invités, y compris en période électorale. Ce choix est contrôlé par l’Arcom mais l’autorité n’a pas le pouvoir d’imposer des invités aux chaînes. Ensuite, le Conseil d’État rappelle que pour contrôler qu’un média respecte le principe d’équité, l’Arcom tient compte des temps de parole entre forces politiques sur toute la période électorale, et non lors d’un événement particulier. En l’occurrence, le parti requérant a été invité à s’exprimer au journal de 20 heures deux jours après le débat. En considérant l’ensemble de la séquence électorale, le juge constate que l’équité de traitement a été respectée