Sécurité et respect des libertés : un équilibre à garantir

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En 2024, entre la montée des cybermenaces et l’organisation des Jeux olympiques, la France a dû relever des défis sécuritaires d’une ampleur inédite. En tant que juge et conseiller juridique, le Conseil d’État a veillé à ce qu’aucune atteinte excessive ne soit portée aux libertés au nom de la sécurité publique.

Cyberattaques : des acteurs publics à protéger et accompagner

Face à l’intensification des cybermenaces, comment protéger les infrastructures essentielles à la vie de la Nation ? Depuis 2013, les entreprises et les administrations dont l’activité est indispensable au fonctionnement et à la sécurité du pays – accès aux soins, fourniture d’énergie, transports, télécommunications… – sont désignées comme opérateurs d’importance vitale (OIV) par l’État. En 2024, le Gouvernement prépare un projet de loi qui transpose trois directives européennes pour mieux préparer les OIV aux risques de cyberattaque. Il sollicite l’avis du Conseil d’État.

Pas d’exception pour les collectivités locales

Le texte prévoit d’attribuer le statut d’OIV à 15 000 acteurs, contre 600 aujourd’hui, répartis en « entités essentielles » et « entités importantes ». Ce nouveau périmètre inclut notamment plusieurs collectivités locales comme les départements, les groupements de communes et les collectivités d’outre-mer. L’objectif est de leur imposer un certain nombre d’obligations en matière de cybersécurité. Par exemple, chaque OIV devra se doter d’un plan de résilience visant à permettre la poursuite de son activité en cas d’attaque. Des amendes sont prévues pour sanctionner les manquements, sauf pour les collectivités locales et les administrations de l’État.

"200 communes françaises victimes d’attaques par rançongiciel en 2024" (France Info)

Le Conseil d’État recommande de supprimer cette exception pour les collectivités : elle est contraire au principe d’égalité et à l’objectif même du projet de loi – garantir la sécurité des activités vitales pour le pays, quel que soit le statut de l’opérateur qui les exerce. En revanche, l’exemption peut être maintenue pour les administrations de l’État dans la mesure où elles sont sous l’autorité du Gouvernement et que celui-ci dispose d’autres moyens pour s’assurer qu’elles respectent leurs obligations.

Aider les OIV à respecter leurs obligations

Plus globalement, le Conseil d’État s’inquiète du défi technique que représente l’intégration de ces obligations pour les OIV nouvellement désignés. Pour certaines entités, la tâche sera d’autant plus complexe qu’elles devront déterminer elles-mêmes si elles relèvent de ce statut au regard de la loi, sans désignation préalable par l’État. S’il admet la nécessité d’agir rapidement face à la cybermenace, le Conseil d’État invite le Gouvernement à prévoir un accompagnement « soutenu et réactif » pour bien informer les OIV et les aider à appliquer les nouvelles règles dans les temps.

 

Les policiers et gendarmes ne peuvent pas filmer l’entrée des domiciles

En France, les policiers et les gendarmes peuvent utiliser des caméras mobiles quand un incident est susceptible de survenir pendant une intervention. La technique a un double objectif : dissuader les débordements et fournir des preuves en cas d’infraction. Pour garantir les droits des personnes filmées et protéger leurs données personnelles, l’usage de ces caméras est strictement réglementé.

Pas de plan serré des entrées de domicile

En 2024, un projet de décret entend préciser les conditions de captation des images de domiciles privés depuis un véhicule en mouvement. Le texte prévoit qu’en contexte d’intervention, si des forces de sécurité véhiculées ne peuvent pas interrompre l’enregistrement et qu’une caméra embarquée filme l’entrée d’une habitation, les images doivent être supprimées dans les 48 heures. Saisi pour avis, le Conseil d’État invite le Gouvernement à durcir les règles. Pour le Conseil d’État, filmer un domicile depuis un véhicule en mouvement n’est acceptable que s’il apparaît de manière périphérique, dans un plan d’ensemble. En revanche, filmer délibérément l’entrée d’une habitation doit rester interdit pour préserver le droit au respect de la vie privée. Si une intervention conduit, à un moment, à filmer une entrée, l’enregistrement doit être immédiatement interrompu.

 

Maintien de l’ordre : à quelles conditions la responsabilité de l’État peut-elle être engagée ?

Dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre, les forces de sécurité peuvent être amenées à utiliser des armes. Le code de la sécurité intérieure encadre strictement cet usage : il doit être proportionné à la menace et n’intervenir « qu’en cas d’absolue nécessité ». Mais quand une personne est blessée, à quelles conditions l’État peut-il être tenu responsable ? Saisi en 2024, le Conseil d’État explicite les règles.

L’arme présente-t-elle un danger exceptionnel ?

Dans cette affaire, une personne blessée pendant une manifestation du mouvement des « gilets jaunes » en 2019 demande réparation. Sa blessure aurait été infligée par une grenade lacrymogène MP7, tirée par les forces de l’ordre. En premier lieu, le juge regarde si l’arme incriminée présente un danger exceptionnel. Si c’est le cas, la responsabilité de l’État peut être engagée : pour faute simple quand la personne blessée était directement visée par l’opération de maintien de l’ordre, ou même sans faute lorsqu’elle est une victime collatérale. En l’occurrence, le Conseil d’État estime que la grenade lacrymogène ne présente pas un danger exceptionnel. Il s’agit d’une arme de « force intermédiaire » qui produit un nuage lacrymogène persistant pour disperser les manifestants. La responsabilité pour faute simple ou sans faute est donc écartée.

Une faute lourde a-t-elle été commise ?

En second lieu, même si l’arme incriminée n’est pas jugée spécialement dangereuse, la responsabilité de l’État peut être engagée si une faute lourde a été commise au cours de l’opération. Cela suppose que l’usage de la force ait été particulièrement inadapté ou disproportionné.

Ici, le Conseil d’État constate que les forces de l’ordre ont fait face à une situation de grande violence, marquée notamment par de nombreux jets de projectiles. Conformément à la loi, elles ont procédé à plusieurs sommations avant d’utiliser le lanceur d’eau et les gaz lacrymogènes en vue de rétablir l’ordre. Aucun élément ne démontre que l’usage des grenades ait été irrégulier ou disproportionné. De plus, le Conseil d’État juge que le requérant a fait preuve d’imprudence en se rendant de son propre chef dans une zone en proie à de violents affrontements depuis plusieurs heures. Il conclut donc à l’absence de faute de l’État et rejette la demande d’indemnisation.

 

Cérémonie d’ouverture des JO 2024 : un « grand événement »

Le 26 juillet 2024, près de 360 000 personnes assistent à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris sur les berges de la Seine. Ce grand rendez-vous planétaire est classé « grand événement » au sens du code de la sécurité intérieure. Cette désignation permet de restreindre l’accès au périmètre de la cérémonie aux spectateurs et aux personnes munies d’une autorisation spécifique.

Celle-ci est accordée après qu’une enquête administrative a établi que la personne ne présente pas de risque pour la sécurité publique. Le 1er juillet 2024, le Conseil d’État juge que la restriction ponctuelle de la liberté d’aller et venir, en vigueur du 18 au 27 juillet, est justifiée par la nécessité d’assurer la sécurité de l’événement.

Toutefois, il précise que les personnes qui résident ou travaillent habituellement dans la zone doivent avoir automatiquement le droit d’obtenir une autorisation. Si l’enquête administrative conclut qu’un individu menace la sécurité publique, des mesures de police administrative ou une procédure judiciaire peuvent être engagées.