Avis consultatif

Avis sur un projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure

Passer la navigation de l'article pour arriver après Passer la navigation de l'article pour arriver avant
Passer le partage de l'article pour arriver après
Passer le partage de l'article pour arriver avant

Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

CONSEIL D’ETAT    
Assemblée générale
Séance du jeudi 8 juillet 2021
N° 402975
EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS

1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 26 mai 2021 d’un projet de loi limitant l’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental résultant d’une intoxication volontaire. Il a reçu six saisines rectificatives les 11, 25 juin, 1er, 2, 5 et 7 juillet 2021 portant sur le texte du projet, la première modifiant également son intitulé, devenu « projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure », et deux saisines rectificatives portant sur l’étude d’impact, les 22 juin et 8 juillet 2021.

2. Ce projet de loi comporte 20 articles répartis dans six titres :

- un titre Ier : « Dispositif limitant l’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental résultant d’une intoxication volontaire » ;
- un titre II : « Dispositions renforçant la répression des atteintes commises contre les forces de sécurité intérieure et créant la réserve opérationnelle de la police nationale » ;
- un titre III : « Dispositions relatives à la captation d’images » ;
- un titre IV : « Dispositions relatives au renforcement du contrôle des armes et des explosifs » ;
- un titre V : « Améliorer les procédures de jugement des mineurs et autres dispositions pénales » ;
- un titre VI : « Dispositions diverses et dispositions relatives à l’outre-mer ».

Initialement consacré à l’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental résultant d’une intoxication volontaire, le projet de loi comporte à la suite de la première saisine rectificative des mesures de nature diverse intéressant la justice et la sécurité intérieure.

Certaines des dispositions du projet de loi – celles relatives à l’irresponsabilité pénale ou à la création d’un délit nouveau réprimant certaines violences commises à l’encontre notamment de militaires de la gendarmerie et d’agents de police – ont été décidées par le Gouvernement à la suite d’événements ayant suscité une grande émotion dans l’opinion publique.

D’autres, qui sont la reprise de mesures contenues dans la loi pour une sécurité globale préservant les libertés et déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel, s’attachent à se conformer aux exigences résultant de sa décision n° 2021 817 DC du 20 mai 2021. C’est le cas des dispositions relatives au placement sous vidéosurveillance des personnes en garde à vue et de celles concernant l’usage par certains services de l’Etat de caméras aéroportées et de drones.

Figurent dans le projet deux mesures qui avaient initialement été inscrites dans le projet de loi relatif à l’enfance examiné par le Conseil d’Etat le 19 juin 2021 (Avis n° 402958). Elles sont relatives à la détention provisoire d’une personne présentée devant une juridiction incompétente pour statuer sur son cas en raison de son âge et au prélèvement sous contrainte des empreintes digitales et palmaires et à la prise d’une photographie d’une personne refusant de s’identifier dans le cadre d’une procédure pénale. Figurent également dans le projet la reprise textuelle de dispositions relatives à la création d’une procédure allégée de sanctions pour Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ayant fait l’objet d’un examen par le Conseil d’Etat dans le cadre du projet de loi relatif à la décentralisation, à la différenciation, à la déconcentration et portant diverses mesures de simplification (avis n°402412 du 6 mai 2021).

Enfin, une série de mesures se rattachant à la sécurité routière et au contrôle des armes a trouvé dans ce projet un vecteur législatif.    

3. Le Conseil d’Etat estime que l’étude d’impact du projet de loi répond de manière satisfaisante aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009 403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, sous réserve des observations faites dans les développements qui suivent.
 
4. Le Conseil d’Etat a vérifié que le projet de loi avait été soumis à l’avis préalable de l’ensemble des instances dont la consultation était obligatoire, comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés et le comité interministériel de la sécurité routière.

Dispositions relatives à l’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental résultant d’une intoxication volontaire

Considérations générales

5. Aux termes du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi n° 92 684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal : « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Ce principe est inscrit dans le droit pénal moderne depuis le code pénal issu de la loi du 23 février 1810 dont l’article 64 disposait : « Il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l’action (…) ».

6. Le projet de loi entend, comme l’indique l’étude d’impact, « clarifier » l’état du droit et tirer les conséquences de la décision du 14 avril 2021, par laquelle la chambre criminelle de la Cour de cassation a constaté que : « les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement » et a, en conséquence, confirmé une décision de la chambre de l’instruction de Paris concluant à l’irresponsabilité pénale d’une personne ayant commis un meurtre dans un état de « bouffée délirante » ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits, alors que ce trouble semblait résulter, au moins en partie, d’une consommation antérieure volontaire de stupéfiants.

7. Bien que le Conseil constitutionnel ne se soit pas prononcé explicitement sur la nature du principe aujourd’hui énoncé au premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, le Conseil d’Etat estime qu’il revêt une valeur constitutionnelle. Corollaire des principes de légalité des délits et des peines, de nécessité et de proportionnalité des peines, il renvoie à l’un des fondements anciens et constants du droit pénal, selon lequel il ne peut y avoir de responsabilité sans libre arbitre. Par suite, le législateur ne saurait ni écarter ce principe, ni l’altérer dans une mesure qui le dénaturerait. Le Conseil d’Etat observe d’ailleurs qu’il est commun aux législations des Etats membres de l’Union Européenne.

8. Sans remettre en cause le principe de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ayant aboli le discernement ou le contrôle des actes, le projet de loi lui apporte deux tempéraments, ayant l’un et l’autre pour objet de tirer les conséquences sur la responsabilité pénale d’une faute antérieure ayant consisté dans une intoxication volontaire :

- d’une part, il écarte l’application du premier alinéa de l’article 122-1 dans l’hypothèse où l’abolition du discernement de la personne au moment des faits résulte de ce qu’elle s’est antérieurement volontairement intoxiquée dans le dessein de commettre l’infraction ou d’en faciliter la commission ;
- d’autre part, il crée des infractions autonomes visant à réprimer la consommation antérieure de substances psychoactives, en connaissance de cause de leurs effets potentiels, ayant eu pour conséquence une période d’abolition du discernement sous l’empire de laquelle l’auteur, déclaré pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l’article 122-1, a commis des faits qualifiés d’homicide volontaire ou de violences sur autrui.

Le Conseil d’Etat examine ces dispositions à la lumière des observations faites au point 7 et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle, d’une part, « conformément aux dispositions combinées de l'article 9 (de la Déclaration de 1789) et du principe de légalité des délits et des peines affirmé par l'article 8 de la même Déclaration, la définition d'une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l'élément matériel de l'infraction, l'élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci » (Décisions n° 99 411 DC, 16 juin 1999, cons. 16 et n° 2003 467 DC du 13 mars 2003, relative à la loi sur la sécurité intérieure, cons. 64 et 65) et, d’autre part, « l’irresponsabilité pénale d'une personne à raison de son état mental ou psychique s'apprécie au moment des faits » (Décision n° 2008 562 DC du 21 février 2008, cons. 27). Les dispositions examinées doivent également répondre aux exigences constitutionnelles résultant des mêmes articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui imposent notamment au législateur de : « fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis » (Décision n° 80 127 DC des 19 et 20 janvier 1981).

Exclusion de l’irresponsabilité en cas d’intoxication volontaire antérieure dans le dessein de commettre l’infraction

9. Le projet de loi, par un nouvel article 122-1-1 inséré dans le code pénal, exclut l’irresponsabilité pénale dans le cas où une infraction a été commise par une personne qui avait consommé une substance psychoactive, licite ou non, « dans le dessein de commettre cette infraction ou une infraction de même nature, ou d’en faciliter la commission ». Cette personne sera regardée comme coupable de l’infraction alors même qu’au moment où elle l’a commise son discernement ou le contrôle de ses actes s’étaient trouvés abolis par l’effet de la substance consommée.

10. En premier lieu, le Conseil d’Etat considère que la référence générale aux « substances psychoactives », présente tant en droit international (lignes directrices de l’OMS, Convention unique des Nations Unies sur les stupéfiants de 1961, Convention des Nations Unies de 1971 sur les substances psychotropes et la Convention de 1988 sur le contrôle des drogues, règlement UE 2018/395 de la Commission du 13 mars 2018, directive (UE) 2017/2103 du Parlement européen et du Conseil du 15 novembre 2017) qu’en droit interne (par exemple aux articles L. 3411-8 et suivants du code de la santé publique), permet de définir avec une précision suffisante la condition matérielle de l’exclusion de l’irresponsabilité pénale, sans qu’il soit nécessaire que le législateur précise la quantité de produits devant être consommée pour que joue cette exclusion (Décision n° 2011 204 QPC, 9 décembre 2011, cons. 5).

11. En second lieu, le Conseil d’Etat relève que l’exclusion de l’irresponsabilité repose sur une intention criminelle puisque l’auteur doit s’être intoxiqué volontairement dans le dessein de commettre l’infraction, commettant un dol spécial. L’exclusion résulte ainsi de l’intention de l’auteur, par la consommation de substances psychoactives, d’altérer ses processus mentaux, ses fonctions cognitives ou son affect dans le but de favoriser le passage à l’acte, sans qu’il soit exigé qu’il ait souhaité provoquer une abolition de son discernement. La consommation antérieure n’est que le moyen de réaliser le dessein criminel. L’acte et ses conséquences sont compris et voulus dès cet instant. Si le discernement est aboli au moment de l’acte lui-même, le projet est forgé dans son intention et entre en phase d’exécution avec l’intoxication volontaire.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime que le projet de loi qui, à l’instar de la législation de nombreux pays comparables à la France, apporte au principe d’irresponsabilité pénale une exception précise et limitée, ne méconnait pas l'exigence d'un élément moral pour engager la responsabilité pénale et ne se heurte à aucun obstacle conventionnel ou constitutionnel. Il complète la rédaction pour prévoir que la consommation des substances psychoactives doit intervenir dans un temps très voisin de l’action. Il souligne toutefois que l’exception introduite par le projet de loi, qui entend répondre à l’émotion suscitée dans l’opinion par des faits divers tragiques, a une portée plus que limitée la réunion des conditions de l’exclusion de l’irresponsabilité pénale paraissant très théorique et la preuve de l’élément intentionnel extrêmement difficile à apporter en pratique.

Création d’infractions autonomes d’intoxication volontaire

12. Le projet de loi crée, par de nouveaux articles 221-5-6 et 221-18-1 insérés dans le code pénal, des incriminations autonomes visant à réprimer le fait pour une personne d’avoir consommé volontairement, de façon illicite ou manifestement excessive, des substances psychoactives en ayant connaissance du fait que cette consommation était susceptible de la conduire à attenter à la vie ou à l’intégrité d’autrui, lorsque cette consommation a entrainé un trouble psychique ou neuropsychique sous l'empire duquel elle a commis des actes qualifiés soit d’homicide volontaire, soit de violences sur autrui ayant entraîné la mort, une invalidité permanente ou une incapacité totale de travail de plus de huit jours, dont elle est déclarée pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l'article 122-1.

S’agissant des éléments constitutifs de l’infraction

13. Le Conseil d’Etat relève le caractère inédit de l’incrimination qui réprime, lorsque l’auteur est déclaré pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l’article 122-1, la faute antérieure de consommation volontaire de substances psychoactives qui est à l’origine de la période d’abolition du discernement sous l’empire de laquelle les violences ont été commises.

14. L’infraction suppose la consommation volontaire de substances psychoactives, soit illicites, soit licites mais dans ce cas de façon « manifestement excessive ». Elle n’est cependant constituée dans tous ses éléments matériels et légaux qu’à la double condition de la survenance ultérieure du dommage et de la déclaration d’irresponsabilité pénale de son auteur.

15. Le texte d’incrimination, tel qu’il résulte de la saisine rectificative, implique, conformément à la recommandation du Conseil d’Etat, que la personne ait connaissance que cette consommation était susceptible de la conduire à commettre des atteintes à la vie ou à l’intégrité d’autrui. Le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil constitutionnel a rangé parmi « les principes généraux du droit pénal » celui énoncé au premier alinéa de l’article 121-3 du code pénal selon lequel « il n’y a point de délit sans intention de le commettre » (Décision n° 2016 745 DC, 26 janvier 2017). Ce principe n’interdit pas au législateur, comme le rappellent les deuxième et troisième alinéas du même article, d’incriminer des fautes « de mise en danger délibérée de la personne d’autrui », « d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». Toutefois le fait de consommer une substance psychoactive ne peut revêtir le caractère d’une mise en danger délibérée de la personne d’autrui ou d’une faute d’imprudence que dans le cas où l’intéressé avait ou devait avoir connaissance du risque que cette consommation entraîne un comportement violent. L’incrimination serait trop indéterminée dans son élément moral si cette condition n’était pas remplie.

Le Conseil d’Etat souscrit en conséquence à la nouvelle rédaction proposée pour cette infraction autonome. La connaissance des risques par l’auteur des violences pourra résulter soit de la nature de la substance en cause et de ses effets connus, soit des conséquences que sa consommation par l’intéressé a entraînées par le passé. Par ailleurs, tant cette condition que l’exigence que la consommation ait été volontaire conduira à exclure du champ d’application de la disposition les situations résultant d’un acte malveillant (empoisonnement), de l’erreur d’un tiers (prescription médicale erronée) ou d’une ingestion accidentelle. L’arrêt d’un traitement psychoactif ne pourra pas davantage être incriminé.   

S’agissant de la nécessité et de la proportionnalité des peines

16. Le Conseil d’Etat observe qu’aucune disposition du code pénal ne permet d’atteindre, avec le degré de sévérité voulu par le Gouvernement, l’objectif de répression du trouble grave à l’ordre social que les incriminations d’intoxication volontaire suivies d’abolition du discernement ayant entrainé des violences sur autrui ont vocation à punir. Il constate que la peine de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende encourue au titre de l’infraction d’intoxication volontaire par une personne ayant commis une infraction qualifiée d’homicide volontaire s’insère dans l’échelle de la répression des infractions existantes entre la peine de sept ans pour incendie involontaire entraînant la mort d’autrui (art. 322-5 du code pénal) et celle d’une durée identique pour les violences aggravées entraînant infirmité permanente ou mutilation (article 222 9 du code pénal). S’agissant de l’infraction qualifiée de violences sur autrui, les peines encourues (sept ans et 100 000 euros d’amende si les violences ont entrainé la mort, cinq ans et 75 000 euros d’amende si les violences ont entrainé une mutilation ou une infirmité permanente, deux ans et 30 000 euros d’amende si les violences ont entrainé une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours) sont proches de celles réprimant des infractions comparables. Le Conseil d’Etat estime que le quantum des peines n’est pas manifestement disproportionné au regard de la gravité des faits que les incriminations entendent réprimer.

S’agissant des circonstances aggravantes

17. La saisine rectificative prévoit des circonstances aggravantes lorsqu’une des nouvelles infractions d’intoxication volontaire est commise par une personne qui a antérieurement été déclarée pénalement irresponsable de faits d’homicide volontaire en application du premier alinéa de l'article 122-1 en raison d’une abolition de son discernement ou du contrôle de ses actes résultant d’un trouble psychique ou neuropsychique provoqué par la consommation volontaire des mêmes substances psychoactives. Pour les faits qualifiés d’homicide volontaire, la peine de dix ans d’emprisonnement est portée à quinze ans de réclusion criminelle. Pour les faits qualifiés de violences sur autrui les peines de deux, cinq et sept ans sont portées respectivement à trois, sept et dix ans. Le Conseil d’Etat estime que cette circonstance aggravante – qui sera constituée que la déclaration d’irresponsabilité pénale ait ou non été suivie d’une condamnation à raison de l’infraction autonome créée par le projet – est justifiée par la réitération de faits graves dont l’auteur ne peut ignorer ni les causes ni les conséquences.

18. Le Conseil d’Etat rappelle par ailleurs que si une loi qui a pour effet d’aggraver la répression pénale ne peut s’appliquer qu’à des faits commis après son entrée en vigueur, à l’exclusion des instances en cours, ni le principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère ni l’exigence de prévisibilité  de la loi pénale résultant de l’article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne font obstacle à ce que les faits constitutifs du premier terme d’une circonstance aggravante aient été commis par la personne avant l’entrée en vigueur de la loi dès lors qu’ils ont été renouvelés par des faits commis après son entrée en vigueur en connaissance de cause des peines alors applicables, la personne étant alors en mesure de prévoir les conséquences légales de ses actes et d’adapter son comportement. De même, s’agissant des infractions de récidive, « lorsqu’une loi institue un nouveau régime de récidive, il suffit, pour entraîner son application immédiate, que l’infraction constitutive du second terme, qu’il dépend de l’agent de ne pas commettre, soit postérieur à son entrée en vigueur. » (Cass. Crim. 11 février et 23 mars 1981, B. n° 56 et 103 ; 27 mars 1996, B. n° 140, 20 février 2000 B. n° 95 et CEDH, 29 mars 2006, Achour c. France). Dans ces conditions, la circonstance aggravante prévue par le projet, tenant à une déclaration d’irresponsabilité pénale antérieure, pourra être appliquée y compris en cas de déclaration d’irresponsabilité antérieure à l’entrée en vigueur de la loi ou relative à des faits antérieurs à cette entrée en vigueur.

Création d’un délit autonome réprimant certaines violences commises sur des gendarmes, des policiers et des agents de l'administration pénitentiaire

19. Le projet de loi crée dans le code pénal un article 222-14-5 nouveau qui érige en délit autonome certaines violences commises sur un militaire de la gendarmerie nationale – c’est-à-dire également un réserviste de la gendarmerie nationale - un fonctionnaire de la police nationale, un agent de la police municipale ou un agent de l'administration pénitentiaire dans l'exercice ou du fait de ses fonctions et que la qualité de la victime est apparente ou connue de l'auteur.

La commission de ces violences sur ces mêmes militaires et agents est aujourd’hui une circonstance aggravante du délit de violences commises sur la personne d’autrui en application des articles 222-12 (violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours) et 222-13 du code pénal (violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail).

Les peines prévues par l’article 222-14-5 nouveau sont plus lourdes que celles qui résultent de la législation en vigueur :

- sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende si les violences ont entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours contre, respectivement, cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (art. 222-12) ;
- cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende si elles ont entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou si elles n’ont pas entraîné d’incapacité de travail, contre, respectivement, trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (art. 222-13).

Le projet prévoit une aggravation des peines lorsque le délit s’accompagne de certaines des circonstances aggravantes prévues à l’article 222-12, par exemple lorsqu’il est commis par plusieurs personnes, ou dans des établissements d'enseignement, ou encore dans un moyen de transport collectif de voyageurs. Les peines applicables sont plus lourdes en présence d’au moins deux de ces circonstances aggravantes.


20. Le Conseil d’Etat rappelle d’abord l’observation faite dans son avis n° 401549 du 3 décembre 2020 selon laquelle le code pénal comporte de nombreuses incriminations relatives aux menaces, intimidations ou violences contre des personnes chargées de certaines missions de service public, sans que celles-ci soient toujours claires et bien articulées entre elles. L’incrimination nouvelle créée par le projet, rajoute à la parcellisation des infractions d’atteintes aux personnes suivant la qualité des personnes qui en sont les victimes et à la complexité du dispositif d’ensemble, cette complexité résultant notamment, comme c’est le cas en l’espèce, de réponses législatives à des événements particuliers. Aussi le Conseil d’Etat réitère-t-il la suggestion faite au Gouvernement dans cet avis d’engager une réflexion afin de leur donner plus de lisibilité et de cohérence.

Toutefois, il ne voit pas d’objection d’ordre constitutionnel à la création de ce délit autonome, ni à l’aggravation des peines réprimant ces violences. Outre la gravité toute particulière de la transgression en cause, en ce qu’elle résulte de violences commises à l’encontre d’agents spécialement chargés de la protection de la population, ceux-ci sont directement exposés à des violences du fait de leurs fonctions et des lieux où celles-ci s’exercent, ce qui les différencie objectivement des autres agents et personnes dépositaires de l'autorité publique mentionnées aux articles 222 12 et 222 13 du code pénal, par fonction moins fréquemment en contact avec des personnes susceptibles de présenter un danger pour leur intégrité physique.

21. Le Conseil d’Etat propose d’apporter deux modifications aux dispositions du projet.

En premier lieu, il recommande de supprimer parmi les composantes possibles de l’élément matériel de l’infraction le fait que l’auteur « pense que la victime exerce de telles fonctions », d’application difficile, alors que les circonstances objectives et pertinentes prévues dans le projet selon lesquelles « la qualité de la victime est apparente ou connue de l'auteur » suffisent.

En second lieu, il propose d’ajouter au projet les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l'article L. 1321 1 du code de la défense car ces militaires sont exposés aux mêmes risques et exercent la même mission que les militaires de la gendarmerie et les policiers.

22. Le projet comporte ensuite une disposition selon laquelle les agents publics et contractuels de droit privé affectés dans les services de police ou de gendarmerie nationale, et qui exercent leur mission sous l’autorité des militaires de la gendarmerie et des fonctionnaires de police, sont assimilés à ces derniers pour l’application de ce projet d’article 222 14 5. Le Conseil d’Etat n’émet pas d’objection à cette assimilation dès lors qu’elle est circonscrite au cas où les violences sont commises dans l’exercice ou du fait des fonctions de la victime et où la qualité de celle-ci est apparente ou connue de l’auteur.

Il propose toutefois de modifier la rédaction de la disposition pour que, au-delà des cas qu’elle vise, elle s’applique à toutes les personnes affectées dans les services de police ou de gendarmerie nationale qui exercent leur mission sous l’autorité des militaires de la gendarmerie et des fonctionnaires de la police nationale, ne voyant pas de raison objective, comme le fait le projet, d’exclure de cette assimilation, par la limitation aux « agents publics et aux agents contractuel de droit privé », les réservistes de la police nationale, ou encore les personnes y effectuant leur service civique, par exemple.

Création de la réserve opérationnelle de la police nationale

Le projet de loi transforme en réserve opérationnelle la réserve civile de la police nationale, régie par les articles L. 411 1 à L. 411 17 du code de la sécurité intérieure (CSI), pour renforcer l’attractivité, l’utilité et l’efficacité de la réserve et son apport à l’action des fonctionnaires de la police nationale.

Le Conseil d’Etat n’émet pas d’objection aux dispositions de cet article, sous réserve des observations suivantes.

23. Le projet de loi modifie l’article L. 411 10 du CSI afin de permettre que les policiers réservistes puissent être autorisés à porter une arme lorsqu’ils participent à des missions qui les exposent à un risque d’agression. Cette possibilité concernant tous les réservistes, qu’il s’agisse de policiers retraités ou de réservistes volontaires issus de la société civile, le Conseil d’Etat complète le projet pour prévoir qu’un décret en Conseil d’Etat précise l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation, les types d’armes pouvant être autorisées, et les conditions de qualification exigées des réservistes.  

24. En faisant référence à l’article L. 114 1 du CSI, le projet élargit le périmètre des traitements de données pouvant être consultés lors des enquêtes administratives préalables à l’admission des volontaires dans la réserve opérationnelle de la police nationale d’une part, à l’acceptation des candidats dans la réserve citoyenne de la police nationale, régie par les articles L. 411 18 et L. 411 19 du CSI, d’autre part.

Compte tenu des missions qu’ils peuvent exercer, cette disposition paraît opportune pour les membres de la réserve opérationnelle et n’appelle pas de remarque du Conseil d’Etat.

Il propose, en revanche, de ne pas la retenir pour les volontaires de la « réserve citoyenne », dont les missions ne justifient pas le recours aux enquêtes réalisées dans les conditions prévues par l’article L. 114 1 du CSI, conçues pour les missions de sécurité. Pour ces volontaires la consultation du TAJ (traitement des antécédents judiciaires) et du FPR (fichier des personnes recherchées) prévue par le droit en vigueur lui paraît appropriée et suffisante.

25. Le projet de loi prévoit que des fonctionnaires retraités de la police nationale et des militaires retraités de la gendarmerie nationale qui avaient la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ) lorsqu’ils étaient en fonction, peuvent, à certaines conditions, conserver cette qualité lorsqu’ils s’engagent dans la réserve opérationnelle. A la suite de la saisine rectificative portant sur ces dispositions, qui introduit un article 16-1 A dans le code de procédure pénale pour en préciser les modalités d’application, le Conseil d’Etat estime que les garanties exigées par le Conseil constitutionnel pour l’exercice de prérogatives de police judiciaire sont apportées par le projet.

Dispositions relatives à la captation d’images

26. Le projet de loi comporte des dispositions relatives à l’usage par certains services de l’Etat, dans l’exercice de leurs missions de police administrative, de caméras dans les cellules de garde à vue, de caméras aéroportées et de caméras embarquées sur des véhicules terrestres et des embarcations.

Le projet s’attache à tirer toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2021 817 DC du 20 mai 2021, qui a déclaré contraires à la Constitution des mesures ayant cet objet qui figuraient dans la proposition de loi devenue la loi n° 2021 646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, au motif notamment que le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d'une part, les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, et d'autre part, le droit au respect de la vie privée.

En tant qu’opérations de captation d’images portant sur des données à caractère personnel (visage des personnes notamment), ces dispositifs relèvent également du cadre juridique relatif à la protection de données à caractère personnel, tel que défini par le règlement européen du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et la directive européenne du 27 avril 2016 concernant les traitements à des fins pénales ou de sécurité publique, transposée au titre III de la loi n° 78 17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Le Conseil d’Etat examine ces dispositions du projet au regard des exigences constitutionnelles sur le droit au respect de la vie privée, de celles du droit de l’Union et de celles résultant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment son article 8§1 sur le droit au respect de la vie privée.

Règlementation de la vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue des services de la police nationale et de la gendarmerie nationale

27. Un cadre juridique permettant d’exploiter des dispositifs de vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue des services de la police nationale et de la gendarmerie nationale, est créé par le projet de loi, étant précisé que les quelque 3000 cellules de la police nationale sont d’ores et déjà équipées de caméras.

28. Le Conseil d’Etat observe que le projet comporte plusieurs garanties:

- s’agissant de sa finalité, la décision de placement sous vidéosurveillance de la personne gardée à vue ne peut intervenir que lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que cette personne pourrait tenter de s’évader ou représenter une menace pour elle-même ou pour autrui ;
- le placement est décidé pour une durée maximale de vingt-quatre heures par le chef du service, responsable de la sécurité des lieux (ou son représentant) ;
- l’autorité judiciaire est informée sans délai de la mesure et peut y mettre fin à tout moment ;
- le renouvellement de la mesure au-delà de la durée de vingt-quatre heures est conditionné à la permanence du risque qu’il s’agit de prévenir, et à l’accord préalable de l’autorité judiciaire ;
- la décision est notifiée à la personne concernée.

Les modalités de mise en œuvre des traitements résultant de cette vidéosurveillance sont également encadrées :

- à l’instar de l’article 58-1 de la loi n° 2009 1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire relatif aux systèmes de vidéosurveillance de cellules de détention au sein des établissements pénitentiaires, issu de la loi n° 2016 987 du 21 juillet 2016, le projet de loi prévoit que les cellules de garde à vue sont équipées d’un pare-vue afin de préserver l’intimité de la personne tout en permettant la restitution d’images opacifiées et que l’emplacement des caméras est visible ;
- les enregistrements sont effacés à l’issue d’une durée de vingt-quatre heures suivant la levée de la garde à vue, hors procédures judiciaires, administratives ou disciplinaires ;
- seuls les agents individuellement désignés et spécialement habilités par le chef de service peuvent consulter les enregistrements ;
- le projet prévoit la tenue d’un registre des traitements précisant la durée des enregistrements réalisés et l’identité des personnes ayant accès aux images.

29. Le Conseil d’Etat propose de codifier les dispositions du projet dans le code de la sécurité intérieure, dans un titre V bis intitulé « Vidéosurveillance dans les lieux de privation de liberté » dans le livre II du code de la sécurité intérieure comprenant quatre articles, L. 256 1 à L. 256 4, en y apportant les garanties supplémentaires suivantes.

En premier lieu, il propose que des règles particulières soient prévues lorsque la personne est mineure : que ses représentants légaux, ainsi que l’avocat qui l’assiste en application de l’article L. 413 9 du code de la justice pénale des mineurs, soient informés sans délai de la décision de placement sous vidéosurveillance et que le médecin désigné en application de l’article L. 413 8 du même code indique si le placement sous vidéosurveillance du mineur est compatible avec son état de santé.

En deuxième lieu, il propose deux modifications au régime de conservation des enregistrements de 24 heures prévu par le projet :

- d’abord que, pendant le délai de conservation des enregistrements ceux-ci soient conservés sous la responsabilité du chef du service ayant prononcé le placement de la personne sous vidéosurveillance, sans que nul ne puisse y avoir accès, sauf pour les besoins d’un signalement à l’autorité judiciaire dans ce délai, dans les conditions prévues à l’article 40 du code de procédure pénale ;
- ensuite, que ce délai de conservation soit porté à sept jours lorsque la personne ayant fait l’objet de la mesure demande la conservation des enregistrements la concernant, la personne devant être préalablement informée de ce droit.

En troisième lieu, le Conseil d’Etat propose que la personne puisse à tout moment demander à l’autorité judiciaire compétente de mettre fin à la vidéosurveillance, et que son identité soit mentionnée dans le registre des systèmes de vidéosurveillance mis en œuvre.

Règlementation de l’usage par certains services de l’Etat de caméras aéroportées

30. Tirant les conséquences de la décision n° 2021 817 DC du 20 mai 2021 du Conseil constitutionnel, le projet de loi procède à une modification des dispositions encadrant l’usage par certains services de l’Etat des dispositifs aéroportés de captation d’images (« caméras aéroportées »), qu’il s’agisse d’outils conventionnels – avions ou hélicoptères dotés de caméras – ou de dispositifs innovants comme les aéronefs circulant sans personne à bord (« drones ») et les ballons captifs.

Le Conseil d’Etat souligne que la législation en cause aurait gagné en cohérence et en lisibilité avec la création d’un régime unifié pour l’ensemble des caméras utilisées par les services de l’Etat ou, à tout le moins, en cas d’harmonisation des règles applicables aux services de police et de gendarmerie, d’une part, et de sécurité civile d’autre part, et de reconnaissance explicite d’un régime légal d’encadrement du recours aux caméras aéroportées dans le cadre des missions de police judiciaire. Il regrette que le projet, il est vrai rédigé dans de brefs délais, ne retienne aucune de ces deux options.

31. Les dispositions prévues renforcent l’encadrement de l’utilisation des caméras aéroportées.

La mise en œuvre du dispositif est d’abord limitée, dans sa portée, à la poursuite de sept finalités à savoir :

- la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, qui ne peut concerner que des lieux particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic d’êtres humains, d’armes ou de stupéfiants, le Conseil d’Etat proposant de préciser que l’exposition de ces lieux est appréciée en fonction de leurs caractéristiques ou des faits qui s’y sont déjà déroulés ;
- la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public ainsi que l’appui des personnels au sol en vue de maintenir ou rétablir l’ordre public, lorsque ces rassemblements sont susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ;
- la prévention du terrorisme ;
- la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, uniquement lorsque ces locaux sont particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation ;
- la régulation des flux de transport, le Conseil d’Etat suggérant qu’elle ne puisse être mise en œuvre qu’aux seules fins de maintien de l’ordre et de la sécurité publics ;
- la surveillance des littoraux, des eaux intérieures et des zones frontalières ;
- le secours aux personnes.

Les dispositions du nouvel article L. 242 5 du CSI comportent ensuite de nouvelles garanties qui reposent sur un mécanisme d’autorisation préalable délivrée par l’autorité préfectorale. L’autorisation préfectorale, qui comprend désormais une durée maximale, que le Conseil d’Etat propose de ramener de six à trois mois, et porte sur un périmètre géographique réduit, ne peut être obtenue qu’après présentation d’une demande motivée justifiant notamment la finalité poursuivie, la nécessité de recourir au dispositif et l’impossibilité d’obtenir les mêmes résultats par d’autres moyens. Un mécanisme d’urgence permet la mise en œuvre des traitements après information du préfet, qui peut y mettre fin à tout moment. Le projet introduit un double mécanisme de contingentement des caméras aéroportées : chaque autorisation préfectorale fixe le nombre maximal de caméras pouvant procéder simultanément aux enregistrements et un arrêté du ministre de l’intérieur fixe un contingentement national décliné par département.

Le Conseil d’Etat précise le régime de conservation des images enregistrées en prévoyant que ces enregistrements sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant mis en œuvre le dispositif aéroporté, pendant une durée maximale de sept jours sans que nul ne puisse y avoir accès, sauf pour les besoins d’un signalement, dans ce délai à l’autorité judiciaire dans les conditions prévues par l’article 40 du code de procédure pénale.

Les dispositions prévoient le principe d’une information du public, sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis. Le Conseil d’Etat recommande que les exceptions permettant de déroger à l’obligation d’information des personnes filmées soient précisées par voie réglementaire.

32. Le Conseil d’Etat suggère, s’agissant du mécanisme d’urgence, d’ajouter qu’au-delà d’une durée de quatre heures, la poursuite de la mise en œuvre du traitement est subordonnée à une autorisation expresse et ne peut excéder une durée de vingt-quatre heures. S’agissant de la demande d’autorisation de mettre en œuvre le traitement, il est proposé de préciser qu’elle doit permettre d’apprécier la proportionnalité de l’usage des dispositifs au regard de la finalité poursuivie.

Enfin, le Conseil d’Etat estime nécessaire de donner leur pleine portée aux dispositions aux termes desquelles les dispositifs sont employés de telle sorte qu’ils ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles. Il propose à cette fin de préciser que les dispositifs aéroportés sont employés de telle sorte qu’ils ne visent pas à recueillir les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées et que, lorsque l’emploi de ces dispositifs conduit à visualiser ces lieux, l’enregistrement est immédiatement interrompu. Toutefois, lorsqu’une telle interruption n’a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l’intervention, les images sont supprimées dans un délai de quarante-huit heures, sauf transmission dans ce délai dans le cadre d’un signalement à l’autorité judiciaire sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.

Règlementation de l’usage par certains services de l’Etat de caméras embarquées sur des véhicules terrestres et des embarcations

33. Le projet de loi réintroduit, avec d’importantes différences, le dispositif censuré par le Conseil constitutionnel dans la loi pour une sécurité globale préservant les libertés concernant les caméras embarquées.

Il ne concerne plus les caméras embarquées sur des aéronefs et se concentre sur celles équipant les véhicules, embarcations et autres moyens de transport fournis par le service, c’est-à-dire principalement des véhicules automobiles, des embarcations équipées (brigades fluviales et maritimes) ainsi que d’autres moyens de transport pouvant justifier de tels usages (par exemple les motos).

Le recours aux caméras embarquées n’est possible qu’afin d’assurer la sécurité des interventions et lorsqu’un incident se produit ou est susceptible de se produire. Ces finalités sont non seulement beaucoup plus limitées que celles qui étaient prévues à l’article 48 de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés mais aussi plus restreintes que celles qui existent pour les caméras individuelles. Seront donc exclues, pour les caméras embarquées, contrairement aux caméras individuelles, les finalités touchant au constat des infractions et à la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ainsi qu’à la formation et à la pédagogie des agents. Les caméras embarquées ont ainsi vocation à être complémentaires et subsidiaires, en raison de leurs finalités restreintes, par rapport aux caméras individuelles. Le texte précise par ailleurs que les enregistrements ne concernent que les interventions dans un lieu public.

Le régime applicable aux caméras embarquées est inspiré de celui des caméras individuelles dites « caméras piétons » dont l’emploi est régi par les dispositions de l’article L. 241 1 du CSI. Des mesures spécifiques sont prévues s’agissant de l’information des personnes concernées.

Les autres garanties, déjà présentes dans le régime prévu par la proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés ont été maintenues. Ainsi, l’enregistrement ne peut être permanent. L’autorité responsable des traitements tient un registre des enregistrements réalisés pour chaque véhicule, embarcation ou autre moyen de transports équipé d’une caméra. Le Conseil d’Etat s’est interrogé sur la nécessité d’intégrer, à l’instar du régime prévu pour les caméras aéroportées, un contingentement du nombre de caméras embarquées mais il lui a semblé qu’un tel dispositif n’était pas transposable à ces dernières. De même, il s’est demandé si l’exception prévue pour les véhicules banalisés à l’obligation d’apposer une signalétique indiquant la présence d’une caméra était justifiée et il l’a admise, en estimant qu’une telle signalétique réduirait l’intérêt opérationnel de ces véhicules.

Le Conseil d’Etat propose d’énumérer les services pouvant recourir aux caméras embarquées : les agents de la police nationale, les militaires de la gendarmerie nationale, les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires des services d’incendie et de secours, les personnels des services de l’État et les militaires des unités investis à titre permanent de missions de sécurité civile. Il suggère par ailleurs d’ajouter que les caméras sont fournies par le service, afin d’éviter le recours à des caméras appartenant aux agents.

Il propose enfin des garanties similaires à celles ajoutées au régime des caméras aéroportées en précisant que les enregistrements sont conservés sous la responsabilité du chef du service dont relève le dispositif embarqué, pendant une durée maximale de sept jours sans que nul ne puisse y avoir accès, sauf pour les besoins d’un signalement dans ce délai à l’autorité judiciaire sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. Il recommande également de préciser que les caméras embarquées sont employées de telle sorte qu’elles ne visent pas à recueillir les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées et que, lorsque l’emploi de ces caméras conduit à visualiser de tels lieux, l’enregistrement est immédiatement interrompu. Toutefois, lorsqu’une telle interruption n’a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l’intervention, les images enregistrées sont supprimées dans un délai de quarante-huit heures, sauf transmission dans ce délai dans le cadre d’un signalement à l’autorité judiciaire.

Règlementation des armes, interconnexion entre le casier judiciaire national automatisé et le fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes

34. Selon l’article L. 312 16 du CSI, le fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA) « …recense …Les personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes, de munitions et de leurs éléments des catégories A, B et C en application de l'article L. 312 3… ». Le projet de loi prévoit, dans un article. L. 312 16 nouveau du même code, de déroger à l’article 777 3 du code de procédure pénale - qui interdit toute interconnexion entre le casier judiciaire national automatisé et tout autre fichier ou traitement de données à caractère personnel détenu par une personne quelconque ou par un service de l'Etat ne dépendant pas du ministère de la justice - afin que le casier judiciaire national automatisé puisse transmettre automatiquement au FINIADA, qui relève du ministère de l’intérieur, les données des personnes dont le bulletin n°2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation pour l’une des infractions relevant d’une des 48 catégories d’infractions énoncées au 1° de l’article L. 312 3. Techniquement c’est la saisie dans le casier judiciaire qui alimentera automatiquement le FINIADA.

L’étude d’impact justifie la mesure par l’important retard dans la transcription dans le fichier national de ces personnes, le nombre très élevé de ces condamnations excédant la capacité du service du casier judiciaire à assurer l’information des préfectures dans les délais nécessaires. Cette situation est susceptible d’avoir des conséquences graves pour la sécurité publique et contrevient à la règle prévue à l’article L. 312 16 du CSI rappelée ci-dessus.

Le Conseil d’Etat considère que la mise en relation de ces deux traitements telle que prévue par le projet est justifiée et ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel.

Dès lors qu’elle présente le caractère d’une interconnexion au sens de la loi n° 78 17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, la mesure implique qu’il soit dérogé à l’article 777 3 du code de procédure pénale.

35. Les autres dispositions du projet qui visent à renforcer le contrôle des détenteurs d’armes :

- en actualisant et complétant la liste des infractions mentionnées à l’article L. 312 3 du code de la sécurité intérieure ;
- en supprimant la possibilité pour le représentant de l’État dans le département de limiter l’interdiction d’acquisition et de détention des armes des munitions et de leurs éléments à certaines catégories ou à certains types d’armes ;
- en supprimant l’exigence d’une procédure contradictoire en matière de dessaisissement d’armes de munitions et de leurs éléments, lorsque le représentant de l’État dans le département se trouve en situation de compétence liée ;

n’appellent pas d’observation du Conseil d’Etat, sous réserve, pour cette dernière, qu’elle se limite aux articles L. 312 3 et L. 312 3 2, la compétence du préfet n’étant pas liée lorsqu’il applique l’article L. 312 3 1. N’appelle pas non plus d’observations la disposition qui limite la durée d’inscription au fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes lorsque celle-ci résulte d’une condamnation à la confiscation de matériels de guerre, d'armes, de munitions et de leurs éléments, ni celle qui modifie l’article 515 11 du code civil afin de mieux distinguer l’interdiction de détenir ou porter une arme, d’une part, et l’obligation de remise des armes, d’autre part.

Règlementation des précurseurs d’explosifs

36. Le projet abroge l’article L. 2351 1 du code de la défense relatif à l’enregistrement d’une transaction relative à un précurseur d’explosifs, devenu incompatible avec le règlement (UE) 2019/1148 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la commercialisation et l'utilisation de précurseurs d’explosifs, entré en vigueur le 1er février 2021. Il crée par ailleurs trois délits en cas de méconnaissance des règles relatives à l’encadrement et au contrôle du commerce de substances susceptibles d’être détournées de leur usage normal pour entrer dans la composition d’explosifs.

Le Conseil d’Etat constate qu’il est saisi simultanément par le Gouvernement d’un projet de décret instaurant dix contraventions, dont sept contraventions de 5ème classe, pour sanctionner des manquements aux règles fixées par ce même règlement, dont certains sont les mêmes que ceux réprimés par le projet de loi. En raison de la préparation insuffisante du dispositif de sanctions pénales des manquements au règlement du 20 juin 2019 et d’explications sur les arbitrages retenus dans le choix des niveaux de répression, le Conseil d’Etat ne s’estime pas en mesure de donner un avis sur ces dispositions. En conséquence, il ne les retient pas.

Par ailleurs le Conseil d’Etat rappelle qu’un règlement UE n’est directement applicable outre-mer que dans les collectivités ayant le statut de régions ultrapériphériques (RUP) au sens du droit de l’Union européenne. Compte tenu des enjeux importants de sécurité publique que représentent les précurseurs d’explosifs, le Conseil d’Etat suggère au Gouvernement d’étudier l’adoption dans l’ensemble de ces collectivités de règles analogues, dans le respect des dispositions organiques relatives à leurs compétences.

Détention provisoire d’une personne présentée devant une juridiction incompétente pour statuer sur son cas en raison de son âge

37. Le projet vise à permettre le maintien à disposition de la justice d’une personne déférée devant une juridiction qui se déclare incompétente pour la juger à raison de son âge, afin d’éviter son élargissement et de garantir sa comparution devant la juridiction compétente. En l'état du droit en effet, dans de telles situations, la personne est remise en liberté après que la juridiction s’est déclarée incompétente pour connaître de son cas.   

A cette fin, le projet insère dans un nouvel article 397 2 1 du code de procédure pénale ainsi que dans un nouvel article L. 423 14 du code de justice pénale des mineurs, des dispositions prévoyant que, dans l'hypothèse où il apparaît qu'une personne poursuivie en tant que majeure devant le tribunal correctionnel est en réalité mineure, ou qu'une personne poursuivie en tant que mineure devant la juridiction pour enfants est en réalité majeure, la juridiction peut, après débat contradictoire, ordonner le placement ou le maintien en détention de l’intéressé jusqu'à sa comparution devant la juridiction compétente.

Le texte, dans sa version résultant d’une saisine rectificative consécutive à son examen par le Conseil d’Etat, distingue ensuite deux hypothèses :

- s’agissant d’un mineur âgé d’au moins treize ans, la décision de maintien ou de placement en détention doit être spécialement motivée sur la nécessité de garantir son maintien à disposition de la justice. La comparution devant le juge compétent doit avoir lieu au plus tard dans un délai de vingt-quatre heures suivant cette décision, à défaut de quoi le mineur est remis en liberté d’office ;
- s’agissant d’un majeur, la personne doit comparaître devant la juridiction compétente dans les mêmes délais sauf dans l’hypothèse où les faits relèvent de la compétence d’un pôle de l’instruction et qu’il n’existe pas de pôle au sein du tribunal judiciaire, auquel cas la comparution devant le juge d’instruction du pôle territorialement compétent doit intervenir dans un délai de quarante-huit-heures au plus.  

Le Conseil d’Etat observe que la situation à laquelle le projet entend remédier est préjudiciable autant à l'ordre public, qu’à l'effectivité de la réponse pénale et aux droits des victimes. Les dispositions envisagées, qui encadrent, dans les hypothèses visées, le maintien à disposition de la justice des personnes poursuivies afin de les traduire à très bref délai devant la juridiction compétente pour les juger après un débat judiciaire contradictoire sur leur placement ou leur maintien en détention et distinguent, notamment en ce qui concerne la durée et les conditions du maintien à disposition de la justice selon que la personne est majeure ou mineure, ne contreviennent, dans leur principe, ni aux exigences constitutionnelles, notamment à celles de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (Décision n° 2018 768 QPC du 21 mars 2019), ni aux stipulations conventionnelles, notamment celles de l'article 5 c et d de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. S’agissant de la détention des mineurs le Conseil d’Etat rappelle qu’elle doit satisfaire à des conditions particulières en application du code de la justice pénale des mineurs.

Application du dispositif de l’amende forfaitaire délictuelle à certains vols

38. L’article 311 3 du code pénal prévoit que le vol est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Le projet de loi étend le dispositif de l’amende forfaitaire délictuelle, déjà prévu pour plusieurs délits, dont la conduite sans permis ou sans assurance ou l’usage de stupéfiants, aux vols portant sur une chose d’une valeur inférieure ou égale à 300 euros. L'action publique peut être éteinte, y compris en cas de récidive, dans les conditions prévues aux articles 495-17 à 495-25 du code de procédure pénale, par le versement d’une amende forfaitaire de 300 euros. Le montant de l'amende forfaitaire minorée est de 250 euros et le montant de l'amende forfaitaire majorée est de 600 euros.

39. En premier lieu le Conseil d’Etat constate que la mesure, s’applique au délit de vol le moins grave :

- d’une part, elle porte sur le vol dit « vol simple », réprimé par l’article 311 3, sans s’étendre aux vols réprimés par les articles 311-4 et suivants, tels par exemple les vols commis par plusieurs personnes, accompagnés ou suivis de violences, ou commis dans un local d'habitation ou dans un lieu utilisé ou destiné à l'entrepôt de matériels, ou commis dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs, ou précédés d'un acte de dégradation, ou encore commis dans les établissements d'enseignement, qui sont punis de cinq ans d’emprisonnement (art. 311-4), d’autres vols étant encore plus sévèrement réprimés comme par exemple ceux commis par un majeur avec l'aide de mineurs (art. 311-4-1), ou encore ceux facilités par l'état de vulnérabilité de la victime (art. 311-5) ;
- d’autre part, outre la condition tenant à la valeur de l’objet, qui doit être inférieure ou égale à 300 euros, le projet ne permet l’extinction de l’action publique par le versement d’une amende forfaitaire que lorsqu’il apparaît, au moment de la constatation de l’infraction, que la chose a été restituée à la victime ou que celle-ci a été indemnisée de son préjudice.

Pour ces raisons, malgré la gravité de l’atteinte à l’ordre social que constitue en soi le vol, le Conseil d’Etat considère que la mesure, qui s’applique à un délit qui est puni d'une peine d'emprisonnement qui n’est pas supérieure à trois ans, ne se heurte à aucun un obstacle constitutionnel, notamment au principe d'égalité devant la justice (Conseil constitutionnel, décision n° 2019 778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, cons. 245 à 265).

40. En second lieu, le dispositif créé par le projet ne devrait, de fait, concerner que les vols dits à l’étalage et les vols d’objets se trouvant dans un véhicule non fermé ou encore d’objets dans un lieu public. Eu égard au nombre de ces délits et à leur nature, le Conseil d’Etat estime que les exigences d'une bonne administration de la justice et d'une répression effective des infractions peuvent justifier le recours à ce mode particulier d'extinction de l'action publique en dehors de toute décision juridictionnelle.

Relevé sous contrainte des empreintes digitales et palmaires et prise d’une photographie d’une personne refusant de s’identifier dans le cadre d’une procédure pénale  

41. Le projet autorise le recours à la contrainte pour procéder au relevé des empreintes digitales et palmaires et à la prise d’une photographie d’une personne entendue lors d’une enquête en flagrance ou d’une enquête préliminaire en audition libre ou dans le cadre d’une garde à vue, ou lors d’une information judiciaire pour un crime ou un délit puni d’une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement et qui refuse de s’identifier ou fournit des éléments d’identité manifestement inexacts.

Le texte pose plusieurs conditions pour qu’il puisse être procédé à cette opération : les relevés doivent constituer l’unique moyen d’identifier la personne ; ils ne peuvent être effectués que sur autorisation écrite du procureur de la République saisi d’une demande motivée de l’officier de police judiciaire. Le recours à la contrainte doit être strictement proportionné, et tenir compte le cas échéant de la vulnérabilité de la personne. L’opération fait l’objet d’un procès-verbal dressé par l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire agissant sous son contrôle qui mentionne les raisons pour lesquelles elle constitue l’unique moyen d’identifier la personne ainsi que le jour et l’heure auxquels il y est procédé, ce procès-verbal étant transmis au procureur et copie remise à l’intéressé.

Un article ayant la même portée est introduit dans le code de la justice pénale des mineurs et adapté à la situation particulière des mineurs. Il prévoit que l’officier de police judiciaire qui envisage de procéder à la prise d’empreintes ou de photographie d’un mineur entendu en audition libre ou dans le cadre d’une garde à vue doit d’abord s’efforcer d’obtenir son consentement et l’informer, en présence de son avocat, des peines qu’il encourt s’il refuse de s’y prêter. Dans le cas où le mineur refuse l’opération, il peut y être procédé sous la contrainte dans les conditions décrites ci-avant, s’il apparaît âgé d’au moins treize ans et si l’infraction qui lui est reprochée constitue un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. L'avocat du mineur et, sauf impossibilité, ses représentants légaux sont préalablement informés de l’opération.

42. En l’état actuel de la législation, la prise d’empreintes ou la prise de photographie sont prévues dans le cadre d’une enquête en flagrance, d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire mais à la condition que la personne y consente, son refus étant pénalement sanctionné d’une peine d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 euros (quatrième alinéa de l’article 55 1 du code de procédure pénale). Le prélèvement sous contrainte n’est autorisé par la législation qu’à l’égard de deux catégories de personnes : celles à l’égard desquelles il existe des indices graves d’avoir commis un viol ou une agression ou une atteinte sexuelle, afin de déterminer, par une prise de sang, si elles sont atteintes d’une maladie sexuellement transmissible (art. 706 47 2 du même code) et celles condamnées pour crimes ou délits punis de dix ans d’emprisonnement qui peuvent être soumises à des prélèvements biologiques en vue de l’identification de leur ADN (art. 706 56 du même code).

43. Le Conseil constitutionnel a admis que des prélèvements qui n’impliquent aucune intervention corporelle interne, ne comportent aucun procédé douloureux ou attentatoire à la dignité de la personne, rendus nécessaires par l’enquête, placés sous le contrôle d’un magistrat, et faisant l’objet d’un accord de la personne concernée ne sont pas contraires aux principes d’inviolabilité du corps humain, de présomption d’innocence, au droit de ne pas s’auto-accuser et à la prohibition des mesures dont la rigueur ne serait pas nécessaire (Décision n° 2003 467 DC du 13 mars 2003, Loi sur la sécurité intérieure, Décision n° 2010 25 QPC du 16 septembre 2010, Fichier des empreintes génétiques). Il a jugé conforme le prélèvement interne forcé prévu par l’article 706-47-2 du code de procédure pénale en relevant que la contrainte à laquelle est soumise la personne n’entraine aucune rigueur qui ne serait pas nécessaire au regard notamment de l’exigence constitutionnelle de protection de la santé de la victime (Décision n° 2003 467 DC précitée). Pour sa part, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) juge que les articles 3 et 8 de la Convention n’interdisent pas par eux-mêmes le recours à un prélèvement interne contre la volonté d’un suspect en vue de l’obtention de la preuve de sa participation à une infraction, en précisant que la nécessité de toute intervention médicale de force en vue de l’obtention de la preuve doit se trouver justifiée de manière convaincante au vu des circonstances de l’affaire et de la gravité de l’infraction en cause (Jalloh c/Allemagne, 11 juillet 2006, 54810/00).

Il paraît se déduire de ces jurisprudences que le recours à la contrainte pour identifier l’auteur d’une infraction par le relevé de ses empreintes palmaires et digitales et la prise d’une photographie, qui constituent des procédés  non douloureux et non attentatoires à la dignité de la personne, justifiés par les circonstances et la nature de l’infraction en cause et effectués dans le respect des conditions de nécessité et de proportionnalité et sous le contrôle d’un magistrat ne sont pas, par principe, prohibés par les normes supérieures.

44. Le Conseil d’Etat prend acte de ce que le dispositif projeté répond à un besoin réel au vu du nombre de personnes, spécialement de mineurs non accompagnés qui refusent de s’identifier ou donnent de fausses identités, refusent que leurs empreintes soient prélevées, et qui, sans préjudice des poursuites pénales auxquelles elles s’exposent dans ce cas, ne peuvent être contraintes actuellement de se soumettre à cette opération, rendant leur prise en charge sur le plan pénal, social ou éducatif illusoire et accréditant l’idée de l’impuissance de la réponse pénale dans ces cas.

Il relève que le texte qui lui est soumis à la suite d’une saisine rectificative consécutive à son examen en section reprend l’ensemble des modifications qu’il avait suggérées pour mieux encadrer la procédure et garantir le respect des droits de la personne mise en cause dont il observe, s’agissant d’une personne majeure, que dans le cadre procédural dans lequel elle est interrogée, elle peut être assistée d’un avocat.

S’agissant des mineurs, le Conseil d’Etat considère que le texte dans sa nouvelle rédaction répond, dans l’organisation de la procédure et les garanties mises en œuvre à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant qui impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale renforcée attachée à leur âge.

Le Conseil d’Etat prend acte de ce que les données collectées auront vocation à être enregistrées dans le fichier automatisé des empreintes digitales(FAED), pour les empreintes digitales et palmaires, et dans le traitement des antécédents judiciaires (TAJ) pour ce qui est des photographies. Il observe que ces catégories de données sont déjà enregistrées dans ces fichiers.

Renforcement de la répression du refus d’obtempérer à une sommation de s’arrêter

45. Le projet de loi comporte plusieurs dispositions destinées à rendre plus effective la répression du délit de refus « d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou d’un agent chargé de constater les infractions et muni des signes extérieurs et apparents de sa qualité », actuellement puni, par l’article L. 233-1 du code de la route, d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende et de sa  circonstance aggravante, prévue à l‘article L. 233-1-1 du même code, lorsqu’il est commis « dans des circonstances exposant directement autrui à un risque de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente », actuellement punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
    
46. Le projet de loi modifie, en premier lieu, le second alinéa de l’article 132 16-2 du code pénal, qui assimile, au regard de la récidive, les délits prévus par les articles L. 221 1, L. 234 1, L. 235 1 et L. 413 1 du code de la route, pour y ajouter le délit de refus d’obtempérer, simple ou aggravé.
 
Le Conseil d’Etat observe que la justification des assimilations opérées par le législateur au second alinéa de cet article du code pénal repose sur l’identité des intérêts sociaux à la protection desquels contribue la répression de chacun des délits qui y sont énumérés. Il ne voit pas d’obstacle à l’adjonction faite par le projet de loi, dans la mesure où la répression du refus d’obtempérer à une sommation de s’arrêter participe à la protection de la vie et de l’intégrité physique des personnes contre les atteintes les plus graves qui puissent leur être portées, lors de la conduite d’un véhicule.

47. Le projet de loi prévoit, en deuxième lieu, d’introduire aux articles L. 224 1 et L. 224 2 du code de la route des mesures conservatoires nouvelles, consistant en la rétention d’urgence, à titre conservatoire, par les officiers et agents de police judiciaire et la suspension par le préfet du permis de conduire du conducteur ayant commis le délit de refus d’obtempérer, simple ou aggravé. Seul le refus d’obtempérer aggravé est ajouté aux cas dans lesquels la durée maximale de la suspension, qui est, en principe, de six mois, peut être portée à un an. Par cohérence, le projet de loi ajoute ce même délit aggravé à la liste des cas dans lesquels la mesure de suspension, prise à titre provisoire par le préfet en application de l’article L. 224 7 du code de la route, peut être portée de six mois à un an, conformément à l’article L. 224 8 du même code.

Ces mesures de police nouvelles, qui, pour les plus sévères d’entre elles, ne concernent que le délit de refus d’obtempérer sous sa forme aggravée, ne caractérisent pas une rigueur non nécessaire, au sens de l'article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et n’appellent pas d’autres observations de la part du Conseil d’Etat.

48. Le projet de loi prévoit, en troisième lieu, de rehausser les peines principales encourues pour la commission du refus d’obtempérer simple, qui sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 15 000 euros d’amende. Le Conseil d’Etat relève que ce doublement des peines principales aligne la répression du refus d’obtempérer sur celle des infractions routières les plus graves, qu’il a, dans de nombreux cas, pour objet de dissimuler, ainsi que le relève l’étude d’impact. L’échelle de sanctions qui en résulte ne lui paraît pas entachée d’une disproportion manifeste au regard du principe de nécessité des peines prévu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Concourt aux mêmes fins la règle nouvelle, introduite par le projet de loi à l’article L. 233 1 du code de la route, imposant le cumul de la peine encourue pour le refus d’obtempérer avec celle prononcée pour les autres infractions commises à l’occasion de la conduite du véhicule, sans possibilité de confusion. Ces dispositions entendent déroger à la règle selon laquelle, en cas de procédures distinctes, la confusion totale ou partielle des peines de même nature peut être ordonnée. Le Conseil d’Etat n’émet pas d’objection à cette dérogation, destinée à assurer l’efficacité de l’exécution des peines, en prenant en compte la volonté d’échapper aux sanctions encourues pour des infractions routières d’une particulière gravité, qui caractérise le refus d’obtempérer.

49. Le projet de loi prévoit, en quatrième lieu, une nouvelle peine complémentaire, facultative, de confiscation du véhicule dont le condamné s’est servi pour commettre l’infraction, s’il en est le propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, s’il en a la libre disposition. Dans la mesure où ni ces dispositions nouvelles, ni aucune autre disposition actuelle du code de la route ne prévoient que le propriétaire du véhicule, dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure, est obligatoirement mis en situation de présenter ses observations avant que la mesure de confiscation soit prononcée par la juridiction de jugement, ces dispositions ne peuvent être regardées comme conformes à l’article 16 de la Déclaration de 1789 et aux droits qu’il protège, en particulier, le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense (voir, notamment, Conseil constitutionnel, Décision n° 2021 899 QPC du 23 avril 2021, M. Henrik K. et autres (droits des propriétaires en cas de confiscation de patrimoine prévue à titre de peine complémentaire des infractions de proxénétisme et de traite des êtres humains).

50. Le Conseil d’Etat propose, en conséquence, d’apporter à la rédaction du projet de loi les amendements qui s’imposent, comme en convient le Gouvernement, afin de subordonner la confiscation du véhicule à la condition que le propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure ait été mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'il revendique et sa bonne foi.

Le Conseil d’Etat suggère également de procéder à la mise en conformité de toutes les autres dispositions du projet de loi créant une peine de confiscation d’un véhicule ou reprenant des peines existantes entachées du même défaut.

51. Le projet de loi prévoit, en cinquième lieu, de durcir le régime répressif actuel du refus d’obtempérer sous sa forme aggravée, prévu à l’article L. 233 1 1 du code de la route. A cette fin, est créée une nouvelle circonstance aggravante lorsque le refus d’obtempérer est commis dans des circonstances exposant directement les agents et fonctionnaires habilités à constater les infractions routières à un risque de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente, assortie de peines de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.

Le Conseil d’Etat, s’il émet des doutes sur l’efficacité de cette nouvelle circonstance aggravante dès lors que cette dernière pourra se révéler difficile à établir matériellement et à distinguer de la circonstance aggravante actuelle, ne voit pas d’obstacle constitutionnel ou conventionnel s’opposant à son inscription dans le projet de loi. Ces dernières dispositions appellent, en outre, la même observation que celle faite au paragraphe 20 ci-dessus par le Conseil d’Etat à propos des modifications apportées à l’article 222-14-5 du code pénal, étant observé que dans ce dernier cas le parti retenu consiste en la transformation d’une circonstance aggravante en un délit autonome, alors que dans le code de la route est créée une deuxième circonstance aggravante, ce qui ne peut qu’ajouter à la complexité du droit applicable.  

52. Enfin, les nouvelles peines complémentaires, autres que la confiscation du véhicule dont l’auteur du délit n’est pas le propriétaire, introduites par le projet de loi aux articles L. 233 1 1 et L. 233 1 2 du code de la route préservent le principe d’individualisation des peines et n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.

Pouvoirs de constatation des gardes particuliers

53. Le projet de loi introduit, à l’article L. 130 4 du code de la route, une disposition habilitant les gardes particuliers assermentés à constater, par procès-verbal, certaines contraventions en matière de police de la circulation et de sécurité routière, dans les limites des propriétés dont ils ont la garde. Le Conseil d’Etat procède à deux modifications du projet qui lui est soumis afin, d’une part, de réserver les compétences de verbalisation dont disposent déjà certains gardes particuliers assermentés en vertu de l’article L. 116 2 du code de la voirie routière et, d’autre part, de laisser au décret en Conseil d’Etat, auquel renvoie le dernier alinéa de l’article L. 130 4 du code de la route, le soin de fixer la liste de ces contraventions. Le Conseil d’Etat attire, en outre, l’attention du Gouvernement sur le nombre et la disparité des dispositions d’habilitation de ce type, assorties de pouvoirs d’enquête et de constatation variables. Il ne peut qu’inciter à nouveau le Gouvernement à engager une réflexion d’ensemble, pour laquelle il pourrait utilement s’inspirer des propositions faites dans l’étude réalisée par le Conseil d’Etat à la demande du Premier ministre sur « Les pouvoirs d’enquête de l’administration », qui vient d’être rendue publique.

Renforcement de la répression des « rodéos motorisés »

54. Enfin, le projet de loi rassemble, dans un même article, plusieurs dispositions distinctes poursuivant une même finalité de renforcement de la répression des pratiques communément dénommées « rodéos motorisés », punies, par l’article L. 236 1 du code de la route, d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
    
Ce délit étant, dans de nombreux cas, commis en utilisant des véhicules à moteur destinés à des activités de loisirs ou sportives et qui, en raison de cette destination, ne sont pas soumis à réception en vue de leur immatriculation mais à une procédure d’identification du véhicule après déclaration par son propriétaire, le projet de loi modifie, tout d’abord, l’article L. 321 1 1 du code de la route afin d’imposer, lorsque ces véhicules font l’objet d’un contrat de location, que soient mentionnés dans ce contrat le numéro d’identification du véhicule ainsi que le numéro d’immatriculation du véhicule servant à son transport. Aux mêmes fins, est modifié l’article L. 321 1 2 du même code, pour faire peser sur le vendeur d’un de ces véhicules, lorsqu’il est neuf, l’obligation d’effectuer la déclaration pour le compte de son acquéreur, la déclaration d’un véhicule d’occasion incombant, quant à elle, à son acquéreur.

55. Afin d’assurer la sécurité juridique des contrats en cours, d’une part, et de faire coïncider ces nouvelles modalités de déclaration avec l’achèvement de l’informatisation du fichier national des véhicules immatriculés et identifiés (le déploiement de la nouvelle application « DICEM »), que l’étude d’impact annonce pour « l’automne 2021 », d’autre part, le Conseil d’Etat estime nécessaire d’introduire, dans le projet de loi, des dispositions différant de quelques mois après la publication de la loi la date d’entrée en vigueur de ces dispositions nouvelles et précisant qu’elles ne s’appliqueront qu’aux contrats conclus postérieurement à cette date.

56. Le projet procède, ensuite, à un important raccourcissement des délais à l’expiration desquels, faute d’avoir été réclamé par son propriétaire, un véhicule placé en fourrière est regardé comme abandonné et peut être livré à la destruction. Ces dispositions s’appliquent à tout véhicule terrestre à moteur, soumis à immatriculation ou à identification, dès lors qu’il a servi à commettre le délit réprimé à l’article L. 236 1 du code de la route. Le délai de droit commun, de quinze jours actuellement, figurant à l’article L. 325 7 du code de la route, au terme duquel est constaté l’état d’abandon, est ainsi ramené à sept jours pour les véhicules utilisés pour la commission de ce délit. Le Conseil d’Etat estime que ce délai, bien que d’une grande brièveté, peut être accepté dans la mesure où le même article L. 325 7 prévoit, notamment, qu’il se décompte à partir de la notification faite au propriétaire, ce qui permet à ce dernier de revendiquer ses droits et d’en demander la restitution.

57. Le projet entendait également introduire, à ce même article L. 325 7, une règle nouvelle prévoyant qu’un véhicule non immatriculé ou non identifié, dès lors qu’il avait été utilisé pour commettre ce délit, devait, dès son entrée en fourrière, être livré à la destruction.  

Le Conseil d’Etat estime que cette nouvelle règle qui, dans la rédaction qui lui a été soumise, s’appliquerait alors même que le propriétaire du véhicule aurait pu être identifié au cours de la procédure et aurait revendiqué des droits, ne remplirait pas les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le Conseil d’Etat estime, par suite, qu’elle ne peut être maintenue dans le projet de loi que si elle est assortie d’une disposition excluant son application dans le cas où un tiers aurait, au cours de la procédure préalable à la mise en fourrière, revendiqué la qualité de propriétaire du véhicule afin de faire valoir des droits.

Dispositions n’appelant pas d’observations du Conseil d’Etat

58. Le projet de loi comporte enfin d’autres dispositions qui n’appellent pas d’observation particulière de la part du Conseil d’Etat, les modifications qu’il propose pour certaines d’entre elles s’expliquant d’elles-mêmes. Elles ont pour objet :

- de modifier les articles L. 423 13 et L. 531 4 du code de la justice pénale des mineurs pour permettre au procureur de la République de faire appel de la décision de refus de placement d’un mineur en détention provisoire ;
- de modifier l’article L. 251 3 du code de l’organisation judiciaire afin que le juge des enfants ne puisse présider la juridiction de jugement dans une affaire dans laquelle il a effectué des actes d'instruction préparatoire ;
- de créer une procédure allégée de sanctions pour la CNIL (cf. point 57 de l’avis n° 402412 du 6 mai 2021) ;
- de prévoir l’application outre‑mer des dispositions du projet, d’une part en modifiant les articles 711‑1 du code pénal, 804 du code de procédure pénale, 721-1, 722-1 et 723-1 du code de la justice pénale des mineurs, et les articles L. 532 25, L. 552 19 et L. 562 35 du code de l’organisation judiciaire et, d’autre part, en habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour l’application outre-mer des autres dispositions du projet de loi.

 Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 8 juillet 2021.