CAA de NANTES
N° 20NT03004
4eme chambre
M. LAINE, président
M. Christian RIVAS, rapporteur
M. BESSE, rapporteur public
SELARL JURIADIS, avocats
Lecture du vendredi 18 juin 2021
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Action Développement Loisir a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler le contrat de délégation de service public, conclu entre la communauté de communes Granville Terre et Mer et la société Vert Marine, relatif à l'exploitation du centre aquatique de Grandville.
Par un jugement n° 1800066 du 21 juillet 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 septembre 2020, 17 février 2021 et 16 mars 2021, la société Action Développement Loisir, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 juillet 2020 du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler ou résilier le contrat de délégation de service public relatif à l'exploitation du centre aquatique de Granville conclu entre la communauté de communes Granville Terre et Mer et la société Vert Marine ;
3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Granville Terre et Mer la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son offre ne peut être qualifiée d'inacceptable dès lors que les dispositions du code de la commande publique ne prévoient pas cette possibilité pour les autorités concédantes ; son offre n'était pas inacceptable alors même qu'elle appliquait la convention collective des espaces de loisirs, d'attractions et culturels et dès lors que l'équipement objet de la concession est un parc aquatique ; en tout état de cause à la date de dépôt de son offre, et de son examen par la communauté de communes, l'application de cette convention collective avait été jugée légale par un jugement du tribunal judiciaire de Caen du 10 mars 2017 ; eu égard à l'activité principale du groupe Recrea, auquel appartient la société exposante, celle-ci se doit d'appliquer la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels ; son offre ne pouvait être écartée alors que le règlement de consultation n'imposait pas de mentionner la convention collective appliquée et le pouvoir concédant ne pouvait ni ne devait vérifier ce point ; son offre ne peut être regardée comme inacceptable ou irrégulière au regard de la réglementation propre aux délégations de service public ; en tout état de cause elle reste recevable à contester la recevabilité de l'offre présentée par la société attributaire ;
- la procédure de passation est irrégulière en ce qu'elle porte atteinte au principe d'égalité de traitement des candidats du fait de l'absence d'indication de la pondération ou de la hiérarchisation des sous-critères mis en oeuvre, de la modification des critères postérieurement au dépôt des offres en ajoutant des critères ou sous critères relatifs à la valeur économique, à la sécurité et à la communication, de l'imprécision du critère de sélection lié aux éléments de développement durable ;
- la méthode de notation des offres est irrégulière, au regard des principes de transparence des procédures et d'égalité de traitement des candidats faute pour la communauté de communes d'avoir fait application de notes en privilégiant des appréciations ; les critères de sélection et la pondération ont été neutralisés en laissant une marge d'appréciation discrétionnaire au pouvoir adjudicateur ;
- l'attribution de la délégation n'a pas été faite à l'offre présentant le meilleur avantage économique global et la mieux classée ;
- l'offre de la société Vert marine était irrégulière et irrecevable eu égard à la condamnation de deux de ses dirigeants pour délit de favoritisme et recel de favoritisme.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 janvier et 16 mars 2021, la communauté de communes Granville Terre et Mer, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la société Action Développement Loisir ;
2°) subsidiairement, si l'annulation du contrat devait être décidée, de différer l'effet d'une telle décision à un an minimum ;
3°) de mettre à la charge de la société Action Développement Loisir une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'attribution les moyens soulevés par la société Action Développement Loisir ne sont pas fondés ;
- subsidiairement, si l'annulation du contrat devait être décidée, eu égard aux conséquences d'une telle décision, son effet devrait être différé à au moins un an.
Par un mémoire enregistré le 15 mars 2021, ainsi que par un mémoire enregistré le 17 mars 2021, qui n'a pas été communiqué, la société Vert marine, représentée par Me A..., demande à la cour de rejeter la requête de la société Action Développement Loisir et de mettre à la charge de cette société une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Action Développement Loisir ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la société Action Développement Loisir, et de Me D..., représentant la communauté de communes Granville Terre et Mer.
Une note en délibéré présentée pour la société Action Développement Loisir a été enregistrée le 1er juin 2021.
Une note en délibéré présentée pour la société Vert marine a été enregistrée le 4 juin 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis publié le 2 août 2016 la communauté de communes Grandville Terre et Mer a engagé une consultation en vue de l'attribution de la délégation de service public afférente à l'exploitation de son centre aquatique situé à Granville. Quatre candidats, dont la société Action Développement Loisir, répondant au nom commercial d'Espace Récréa, et la société Vert Marine, ont été admis à présenter une offre et, à l'issue de cette procédure, la société Vert Marine a été déclarée attributaire par une délibération du conseil communautaire du 26 septembre 2017. Par une ordonnance du 10 novembre 2017, devenue définitive, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la société Action Développement Loisir tendant à l'annulation de la procédure de passation de cette délégation et de la décision d'attribution de cette délégation. Puis, par un jugement du 21 juillet 2020, dont la société Action Développement Loisir relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande d'annulation, présentée par cette société, du contrat de délégation de service public conclu entre la communauté de communes Granville Terre et Mer et la société Vert Marine afin d'exploiter le centre aquatique de Grandville.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
3. Un candidat dont la candidature ou l'offre est irrégulière n'est pas susceptible d'être lésé par les manquements qu'il invoque, sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu'il dénonce. Il en va ainsi alors même que son offre a été analysée, notée et classée par le pouvoir adjudicateur. Un candidat dont l'offre a été à bon droit écartée comme irrégulière ou inacceptable ne saurait soulever un moyen critiquant l'appréciation des autres offres. Il ne saurait notamment soutenir que ces offres auraient dû être écartées comme irrégulières ou inacceptables, un tel moyen n'étant pas de ceux que le juge devrait relever d'office.
4. Le jugement attaqué rejette la demande de la société ADL au motif que son offre était inacceptable dès lors que, eu égard à l'objet du contrat de délégation portant essentiellement sur la gestion d'installations sportives, le titulaire de la délégation de service public ne pouvait faire application que de la convention collective nationale du sport et non, comme le prévoyait la société ADL, de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels (ELAC). Les premiers juges en ont déduit que les manquements qu'elle invoquait n'avaient pu la léser.
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales applicable aux délégations de service public : " I.- Une commission ouvre les plis contenant les candidatures ou les offres et dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 et L. 5212-4 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. (...) ". Par ailleurs, il résulte respectivement des articles L. 2261-2 et L. 2261-15 du code du travail que : " La convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur. (...) " et que : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective. (...) ".
6. Par arrêté du ministre en charge du travail du 21 novembre 2006 la convention collective nationale du sport a été étendue et son champ d'application est ainsi défini : " La convention collective du sport règle, sur l'ensemble du territoire y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises exerçant leur activité principale dans l'un des domaines suivants : organisation, gestion et encadrement d'activités sportives ; gestion d'installations et d'équipements sportifs. (...) A titre indicatif, les activités concernées par le champ d'application de la convention collective nationale du sport relèvent notamment des codes NAF : 93. 11Z (gestion d'installations sportives) (...) ". Le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels, étendue par un arrêté ministériel du 25 juillet 1994, est ainsi défini : " La convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels règle, sur l'ensemble des départements français, y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises de droit privé à but lucratif : (...) - qui gèrent des installations et / ou exploitent à titre principal des activités à vocation récréative et / ou culturelle, dans un espace clos et aménagé avec des installations fixes et permanentes comportant des attractions de diverse nature : manèges secs et / ou aquatiques ; spectacles culturels ou de divertissements avec présentation ou non d'animaux ; décors naturels ou non ; expositions ; actions continues ou ponctuelles d'animation pédagogiques ou non. (...). Les entreprises concernées exercent, d'une manière générale, une ou plusieurs activités ludiques et / ou culturelles, en y associant : restauration, attractions, boutiques, destinées, dans le cadre urbain et / ou rural, et / ou commercial, à un marché familial. / Sont notamment, comprises dans le champ d'application, les activités suivantes, étant précisé que bien entendu l'ensemble des codes NAF cités le sont à titre indicatif. Les entreprises répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92. 3F " manèges forains et parcs d'attractions ", remplacée par la codification suivante : - 93. 21Z : " activités des parcs d'attractions et parcs à thème " ; -93. 29Zp : " autres activités récréatives et de loisirs NCA " : parc d'attractions ; parc à thème ou non ; parc aquatique ; aquarium ; transport d'agrément. (...) Sont exclues du champ d'application les entreprises de droit privé, à but lucratif, répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92.6 " gestion d'installations sportives " et " autres activités sportives ", remplacée par la codification suivante : 93. 11Z : " gestion d'installations sportives " ; (...) Et, plus précisément, les installations et les centres des activités suivantes : les piscines (...) ".
7. D'une part, il résulte des dispositions citées au point 5 qu'alors même que ni la législation alors applicable en matière de passation de délégations de service public, dont l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, ni le règlement de consultation de la délégation de service public en litige ne prévoyait un examen des candidatures au regard de la convention collective appliquée par l'entreprise candidate, une offre qui méconnaît les stipulations d'une convention collective doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur et revêt, dès lors, un caractère irrégulier.
8. D'autre part, il résulte des articles L. 2261-2 et L. 2261-15 cités du code du travail que l'application d'une convention collective étendue se fait au regard de l'activité principale de l'employeur, et résulte donc d'une appréciation faite au cas d'espèce, pour chaque entreprise, au regard des champs d'application des conventions collectives susceptibles d'être appliquées. Il est constant ici que la société Vert Marine, attributaire de la délégation de service public destinée à exploiter le centre aquatique de Grandville, fait application de la convention collective nationale du sport alors que la société ADL entendait faire application de celle des espaces de loisirs, d'attractions et culturels. La société requérante ne présente cependant pas d'éléments de nature à établir qu'elle pouvait en l'espèce faire application de cette dernière convention collective. En effet, ainsi qu'il résulte de l'article L. 2261-2 cité du code du travail, cette société ne peut utilement se prévaloir de l'activité principale du groupe Récréa auquel elle appartiendrait. De même elle ne peut utilement se référer à un jugement du tribunal d'instance de Caen du 17 avril 2014 statuant en matière de contentieux électoral sur une demande d'un syndicat sollicitant l'annulation d'élections professionnelles et applicable au sein d'une unité économique et sociale (UES) Récréa, à laquelle il n'est pas établi que la société ADL appartenait, et surtout qui n'a statué que de manière incidente sur la convention collective applicable à la seule UES Récréa. Inversement, il résulte de l'instruction que l'activité confiée à l'attributaire de la délégation de service public en litige a principalement pour objet la gestion d'installations et d'équipements sportifs, organisée au sein d'un centre aquatique comprenant un bassin de 25 mètres sur 8, un second bassin de 250 m² ainsi qu'une fosse de plongée de 6 mètres de profondeur. Un tel équipement a donc principalement une vocation sportive alors même qu'il comporte accessoirement des espaces ludiques et de détente. Une telle activité ne se confond pas avec celle des parcs aquatiques entrant dans le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels. Enfin, si la société ADL soutient que l'application de la convention collective des espaces de loisirs, d'attractions et culturels ne serait pas moins couteuse pour l'employeur que celle du sport une telle appréciation reste indifférente au regard des règles régissant l'application des conventions collectives. En tout état de cause, une telle appréciation est impossible à vérifier dès lors que les conventions collectives comportent des stipulations distinctes, portant sur nombre d'aspects des relations individuelles et collectives de travail et qui pour certaines permettent de déroger à la loi. Elles constituent par ailleurs, s'agissant de conventions étendues, un élément d'organisation et de régulation sociale et économique destiné à être opposé à toutes les entreprises d'une même branche d'activité, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'égalité des candidats à l'attribution d'une délégation de service public.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'offre de la société ADL, méconnaissant les stipulations de la convention collective nationale du sport, doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur. Son offre était ainsi irrégulière, et non inacceptable ainsi qu'il a été jugé en première instance, et aurait pu pour ce motif être éliminée. Cette société n'est alors pas susceptible d'avoir été lésée par les différents manquements qu'elle invoque, alors même que son offre a été classée à l'issue de la procédure de passation du marché et rejetée pour un autre motif. Elle n'est pas davantage fondée à soutenir utilement que l'offre retenue aurait dû être écartée comme irrégulière ou inacceptable.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société ADL n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la société Action Développement Loisir. En revanche, il convient, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière société, sur le fondement des mêmes dispositions, la somme de 1 500 euros chacune au titre des frais exposés respectivement par la communauté de communes Granville Terre et Mer et la société Vert Marine.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Action Développement Loisir est rejetée.
Article 2 : la société Action Développement Loisir versera respectivement tant à la communauté de communes Granville Terre et Mer qu'à la société Vert Marine la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Action Développement Loisir, à la communauté de communes Granville Terre et Mer et à la société Vert Marine.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- Mme F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2021.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
S. Levant
La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
3
N° 20NT03004
N° 20NT03004
4eme chambre
M. LAINE, président
M. Christian RIVAS, rapporteur
M. BESSE, rapporteur public
SELARL JURIADIS, avocats
Lecture du vendredi 18 juin 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Action Développement Loisir a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler le contrat de délégation de service public, conclu entre la communauté de communes Granville Terre et Mer et la société Vert Marine, relatif à l'exploitation du centre aquatique de Grandville.
Par un jugement n° 1800066 du 21 juillet 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 septembre 2020, 17 février 2021 et 16 mars 2021, la société Action Développement Loisir, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 juillet 2020 du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler ou résilier le contrat de délégation de service public relatif à l'exploitation du centre aquatique de Granville conclu entre la communauté de communes Granville Terre et Mer et la société Vert Marine ;
3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Granville Terre et Mer la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son offre ne peut être qualifiée d'inacceptable dès lors que les dispositions du code de la commande publique ne prévoient pas cette possibilité pour les autorités concédantes ; son offre n'était pas inacceptable alors même qu'elle appliquait la convention collective des espaces de loisirs, d'attractions et culturels et dès lors que l'équipement objet de la concession est un parc aquatique ; en tout état de cause à la date de dépôt de son offre, et de son examen par la communauté de communes, l'application de cette convention collective avait été jugée légale par un jugement du tribunal judiciaire de Caen du 10 mars 2017 ; eu égard à l'activité principale du groupe Recrea, auquel appartient la société exposante, celle-ci se doit d'appliquer la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels ; son offre ne pouvait être écartée alors que le règlement de consultation n'imposait pas de mentionner la convention collective appliquée et le pouvoir concédant ne pouvait ni ne devait vérifier ce point ; son offre ne peut être regardée comme inacceptable ou irrégulière au regard de la réglementation propre aux délégations de service public ; en tout état de cause elle reste recevable à contester la recevabilité de l'offre présentée par la société attributaire ;
- la procédure de passation est irrégulière en ce qu'elle porte atteinte au principe d'égalité de traitement des candidats du fait de l'absence d'indication de la pondération ou de la hiérarchisation des sous-critères mis en oeuvre, de la modification des critères postérieurement au dépôt des offres en ajoutant des critères ou sous critères relatifs à la valeur économique, à la sécurité et à la communication, de l'imprécision du critère de sélection lié aux éléments de développement durable ;
- la méthode de notation des offres est irrégulière, au regard des principes de transparence des procédures et d'égalité de traitement des candidats faute pour la communauté de communes d'avoir fait application de notes en privilégiant des appréciations ; les critères de sélection et la pondération ont été neutralisés en laissant une marge d'appréciation discrétionnaire au pouvoir adjudicateur ;
- l'attribution de la délégation n'a pas été faite à l'offre présentant le meilleur avantage économique global et la mieux classée ;
- l'offre de la société Vert marine était irrégulière et irrecevable eu égard à la condamnation de deux de ses dirigeants pour délit de favoritisme et recel de favoritisme.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 janvier et 16 mars 2021, la communauté de communes Granville Terre et Mer, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la société Action Développement Loisir ;
2°) subsidiairement, si l'annulation du contrat devait être décidée, de différer l'effet d'une telle décision à un an minimum ;
3°) de mettre à la charge de la société Action Développement Loisir une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'attribution les moyens soulevés par la société Action Développement Loisir ne sont pas fondés ;
- subsidiairement, si l'annulation du contrat devait être décidée, eu égard aux conséquences d'une telle décision, son effet devrait être différé à au moins un an.
Par un mémoire enregistré le 15 mars 2021, ainsi que par un mémoire enregistré le 17 mars 2021, qui n'a pas été communiqué, la société Vert marine, représentée par Me A..., demande à la cour de rejeter la requête de la société Action Développement Loisir et de mettre à la charge de cette société une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Action Développement Loisir ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la société Action Développement Loisir, et de Me D..., représentant la communauté de communes Granville Terre et Mer.
Une note en délibéré présentée pour la société Action Développement Loisir a été enregistrée le 1er juin 2021.
Une note en délibéré présentée pour la société Vert marine a été enregistrée le 4 juin 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis publié le 2 août 2016 la communauté de communes Grandville Terre et Mer a engagé une consultation en vue de l'attribution de la délégation de service public afférente à l'exploitation de son centre aquatique situé à Granville. Quatre candidats, dont la société Action Développement Loisir, répondant au nom commercial d'Espace Récréa, et la société Vert Marine, ont été admis à présenter une offre et, à l'issue de cette procédure, la société Vert Marine a été déclarée attributaire par une délibération du conseil communautaire du 26 septembre 2017. Par une ordonnance du 10 novembre 2017, devenue définitive, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la société Action Développement Loisir tendant à l'annulation de la procédure de passation de cette délégation et de la décision d'attribution de cette délégation. Puis, par un jugement du 21 juillet 2020, dont la société Action Développement Loisir relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande d'annulation, présentée par cette société, du contrat de délégation de service public conclu entre la communauté de communes Granville Terre et Mer et la société Vert Marine afin d'exploiter le centre aquatique de Grandville.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
3. Un candidat dont la candidature ou l'offre est irrégulière n'est pas susceptible d'être lésé par les manquements qu'il invoque, sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu'il dénonce. Il en va ainsi alors même que son offre a été analysée, notée et classée par le pouvoir adjudicateur. Un candidat dont l'offre a été à bon droit écartée comme irrégulière ou inacceptable ne saurait soulever un moyen critiquant l'appréciation des autres offres. Il ne saurait notamment soutenir que ces offres auraient dû être écartées comme irrégulières ou inacceptables, un tel moyen n'étant pas de ceux que le juge devrait relever d'office.
4. Le jugement attaqué rejette la demande de la société ADL au motif que son offre était inacceptable dès lors que, eu égard à l'objet du contrat de délégation portant essentiellement sur la gestion d'installations sportives, le titulaire de la délégation de service public ne pouvait faire application que de la convention collective nationale du sport et non, comme le prévoyait la société ADL, de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels (ELAC). Les premiers juges en ont déduit que les manquements qu'elle invoquait n'avaient pu la léser.
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales applicable aux délégations de service public : " I.- Une commission ouvre les plis contenant les candidatures ou les offres et dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 et L. 5212-4 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. (...) ". Par ailleurs, il résulte respectivement des articles L. 2261-2 et L. 2261-15 du code du travail que : " La convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur. (...) " et que : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective. (...) ".
6. Par arrêté du ministre en charge du travail du 21 novembre 2006 la convention collective nationale du sport a été étendue et son champ d'application est ainsi défini : " La convention collective du sport règle, sur l'ensemble du territoire y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises exerçant leur activité principale dans l'un des domaines suivants : organisation, gestion et encadrement d'activités sportives ; gestion d'installations et d'équipements sportifs. (...) A titre indicatif, les activités concernées par le champ d'application de la convention collective nationale du sport relèvent notamment des codes NAF : 93. 11Z (gestion d'installations sportives) (...) ". Le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels, étendue par un arrêté ministériel du 25 juillet 1994, est ainsi défini : " La convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels règle, sur l'ensemble des départements français, y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises de droit privé à but lucratif : (...) - qui gèrent des installations et / ou exploitent à titre principal des activités à vocation récréative et / ou culturelle, dans un espace clos et aménagé avec des installations fixes et permanentes comportant des attractions de diverse nature : manèges secs et / ou aquatiques ; spectacles culturels ou de divertissements avec présentation ou non d'animaux ; décors naturels ou non ; expositions ; actions continues ou ponctuelles d'animation pédagogiques ou non. (...). Les entreprises concernées exercent, d'une manière générale, une ou plusieurs activités ludiques et / ou culturelles, en y associant : restauration, attractions, boutiques, destinées, dans le cadre urbain et / ou rural, et / ou commercial, à un marché familial. / Sont notamment, comprises dans le champ d'application, les activités suivantes, étant précisé que bien entendu l'ensemble des codes NAF cités le sont à titre indicatif. Les entreprises répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92. 3F " manèges forains et parcs d'attractions ", remplacée par la codification suivante : - 93. 21Z : " activités des parcs d'attractions et parcs à thème " ; -93. 29Zp : " autres activités récréatives et de loisirs NCA " : parc d'attractions ; parc à thème ou non ; parc aquatique ; aquarium ; transport d'agrément. (...) Sont exclues du champ d'application les entreprises de droit privé, à but lucratif, répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92.6 " gestion d'installations sportives " et " autres activités sportives ", remplacée par la codification suivante : 93. 11Z : " gestion d'installations sportives " ; (...) Et, plus précisément, les installations et les centres des activités suivantes : les piscines (...) ".
7. D'une part, il résulte des dispositions citées au point 5 qu'alors même que ni la législation alors applicable en matière de passation de délégations de service public, dont l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, ni le règlement de consultation de la délégation de service public en litige ne prévoyait un examen des candidatures au regard de la convention collective appliquée par l'entreprise candidate, une offre qui méconnaît les stipulations d'une convention collective doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur et revêt, dès lors, un caractère irrégulier.
8. D'autre part, il résulte des articles L. 2261-2 et L. 2261-15 cités du code du travail que l'application d'une convention collective étendue se fait au regard de l'activité principale de l'employeur, et résulte donc d'une appréciation faite au cas d'espèce, pour chaque entreprise, au regard des champs d'application des conventions collectives susceptibles d'être appliquées. Il est constant ici que la société Vert Marine, attributaire de la délégation de service public destinée à exploiter le centre aquatique de Grandville, fait application de la convention collective nationale du sport alors que la société ADL entendait faire application de celle des espaces de loisirs, d'attractions et culturels. La société requérante ne présente cependant pas d'éléments de nature à établir qu'elle pouvait en l'espèce faire application de cette dernière convention collective. En effet, ainsi qu'il résulte de l'article L. 2261-2 cité du code du travail, cette société ne peut utilement se prévaloir de l'activité principale du groupe Récréa auquel elle appartiendrait. De même elle ne peut utilement se référer à un jugement du tribunal d'instance de Caen du 17 avril 2014 statuant en matière de contentieux électoral sur une demande d'un syndicat sollicitant l'annulation d'élections professionnelles et applicable au sein d'une unité économique et sociale (UES) Récréa, à laquelle il n'est pas établi que la société ADL appartenait, et surtout qui n'a statué que de manière incidente sur la convention collective applicable à la seule UES Récréa. Inversement, il résulte de l'instruction que l'activité confiée à l'attributaire de la délégation de service public en litige a principalement pour objet la gestion d'installations et d'équipements sportifs, organisée au sein d'un centre aquatique comprenant un bassin de 25 mètres sur 8, un second bassin de 250 m² ainsi qu'une fosse de plongée de 6 mètres de profondeur. Un tel équipement a donc principalement une vocation sportive alors même qu'il comporte accessoirement des espaces ludiques et de détente. Une telle activité ne se confond pas avec celle des parcs aquatiques entrant dans le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels. Enfin, si la société ADL soutient que l'application de la convention collective des espaces de loisirs, d'attractions et culturels ne serait pas moins couteuse pour l'employeur que celle du sport une telle appréciation reste indifférente au regard des règles régissant l'application des conventions collectives. En tout état de cause, une telle appréciation est impossible à vérifier dès lors que les conventions collectives comportent des stipulations distinctes, portant sur nombre d'aspects des relations individuelles et collectives de travail et qui pour certaines permettent de déroger à la loi. Elles constituent par ailleurs, s'agissant de conventions étendues, un élément d'organisation et de régulation sociale et économique destiné à être opposé à toutes les entreprises d'une même branche d'activité, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'égalité des candidats à l'attribution d'une délégation de service public.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'offre de la société ADL, méconnaissant les stipulations de la convention collective nationale du sport, doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur. Son offre était ainsi irrégulière, et non inacceptable ainsi qu'il a été jugé en première instance, et aurait pu pour ce motif être éliminée. Cette société n'est alors pas susceptible d'avoir été lésée par les différents manquements qu'elle invoque, alors même que son offre a été classée à l'issue de la procédure de passation du marché et rejetée pour un autre motif. Elle n'est pas davantage fondée à soutenir utilement que l'offre retenue aurait dû être écartée comme irrégulière ou inacceptable.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société ADL n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la société Action Développement Loisir. En revanche, il convient, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière société, sur le fondement des mêmes dispositions, la somme de 1 500 euros chacune au titre des frais exposés respectivement par la communauté de communes Granville Terre et Mer et la société Vert Marine.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Action Développement Loisir est rejetée.
Article 2 : la société Action Développement Loisir versera respectivement tant à la communauté de communes Granville Terre et Mer qu'à la société Vert Marine la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Action Développement Loisir, à la communauté de communes Granville Terre et Mer et à la société Vert Marine.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- Mme F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2021.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
S. Levant
La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03004