Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 177809, lecture du 1 octobre 1999, ECLI:FR:CESJS:1999:177809.19991001

Décision n° 177809
1 octobre 1999
Conseil d'État

N° 177809
ECLI:FR:CESJS:1999:177809.19991001
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Labetoulle, président
M. Fabre, rapporteur
M. Goulard, commissaire du gouvernement
SCP Lesourd, Avocat, avocats


Lecture du 1er octobre 1999
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 13 février 1996 ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 5 décembre 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a accordé à la S.A. "Franco-Suisse Gestion", dont le siège est ..., une réduction du supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1986 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Lesourd, avocat de la S.A. "Franco-Suisse Gestion",
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : "1°. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment :
...2°. Les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation" ; qu'aux termes de l'article 38 sexies de l'annexe III au même code : "La dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains, les fonds de commerce, les titres de participation, donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues aux articles 39-1-5° et 54 quinquies du code général des impôts" ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un élément d'actif incorporel identifiable, y compris un fonds de commerce, ne peut donner lieu à une dotation à un compte d'amortissement que s'il est normalement prévisible, lors de sa création ou de son acquisition par l'entreprise, que ses effets bénéfiques sur l'exploitation prendront fin à une date déterminée ; qu'en outre, cet élément d'actif incorporel, lorsqu'il fait partie des éléments constitutifs d'un fonds de commerce et qu'il est représentatif d'une certaine clientèle attachée à ce fonds, ne peut donner lieu à une dotation spécifique d'amortissement que si, en raison de ses caractéristiques, il est dissociable à la clôture de l'exercice des autres éléments représentatifs de la clientèle attachée au fonds ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que la S.A. "Franco-Suisse Gestion", qui exerçait l'activité d'administrateur de biens, a acquis, au cours d'une période de plusieurs années précédant l'exercice coïncidant avec l'année 1986, auprès de confrères cessant leur activité, des portefeuilles de mandats de gestion ; qu'elle a fait figurer les mandats ainsi obtenus, pour la valeur correspondant aux sommes versées à ses prédécesseurs, à l'actif immobilisé de son bilan ; qu'à la clôture de l'exercice coïncidant avec l'année 1986, elle a pratiqué sur ce poste un amortissement au taux de 20 % ; qu'à l'issue d'une vérification de sa comptabilité, l'administration a estimé que cet amortissement était irrégulier, et en a rapporté le montant aux bénéfices imposables de l'exercice ; que la cour administrative d'appel a, par l'arrêt attaqué, accordé à la S.A. "Franco-Suisse Gestion" une réduction du supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1986 correspondant aux droits qui résultaient de ce chef de redressement, au motif que les mandats de gestion acquis par la société constituaient des éléments incorporels de son fonds de commerce dont il était prévisible que les effets bénéfiques seraient limités dans le temps et qui pouvaient dès lors faire l'objet d'une dotation annuelle à un compte d'amortissement ;

Considérant que dans le cas d'une société exerçant l'activité d'administrateur de biens, le portefeuille de mandats de gestion, quelle que soit l'origine de ceux-ci, qu'elle détient à la clôture d'un exercice, est représentatif de la clientèle attachée à son fonds de commerce ; que la cour administrative d'appel de Paris, en admettant le caractère amortissable des mandats de gestion acquis par la société au cours de la période susmentionnée, sans avoir recherché si, à la clôture de l'exercice coïncidant avec l'année 1986, ces mandats étaient, en raison de l'ensemble de leurs caractéristiques, dissociables des autres mandats figurant dans son portefeuille, a fait une inexacte application des dispositions précitées ; que l'arrêt de la Cour doit être, par suite, annulé ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les mandats de gestion acquis ainsi qu'il a été dit précédemment par la S.A. "Franco-Suisse Gestion" ne différaient pas, de par leurs caractéristiques et, notamment, la faculté des propriétaires ou copropriétés mandants de les révoquer à tout moment, des autres mandats qu'elle exploitait, et se sont indissociablement intégrés dans un portefeuille qui, se renouvelant en permanence au fur et à mesure de la résiliation de certains mandats et de l'obtention de nouveaux, ne pouvait prévisiblement se déprécier de manière irréversible avec le temps ; qu'ils ne pouvaient dès lors faire l'objet d'une dotation distincte à un compte d'amortissement ;
Considérant, enfin, que les dispositions comptables de la 4ème directive du Conseil des communautés européennes du 25 juillet 1978, n° 78/660, relative aux comptes annuels de certaines sociétés, ne font pas obstacle à l'application des dispositions du code général des impôts qui prévoient des règles différentes d'amortissement des éléments d'actif incorporel et notamment des fonds de commerce ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société "Foncia Particimo", venant aux droits de la S.A. "Franco-Suisse Gestion", n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en réduction du complément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1986 ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 5 décembre 1995 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la société "Foncia Particimo" venant aux droits de la S.A. "Franco-Suisse Gestion" devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la société "Foncia Particimo".


Voir aussi