Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 375577, lecture du 14 octobre 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:375577.20151014

Décision n° 375577
14 octobre 2015
Conseil d'État

N° 375577
ECLI:FR:Code Inconnu:2015:375577.20151014
Publié au recueil Lebon
8ème - 3ème SSR
M. Mathieu Herondart, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats


Lecture du mercredi 14 octobre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. D...A...et Mme B...C...ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler pour excès de pouvoir diverses délibérations du conseil municipal de Châtillon-sur-Seine, notamment la délibération du 9 décembre 2011 n° 2011-106. Par l'article 1er de son jugement n° 1200312 du 5 mars 2013, le tribunal administratif a annulé la délibération n° 2011-106 prévoyant la cession des parcelles cadastrées ZK n° 298 à ZK n° 311, autorisant le maire à signer les actes nécessaires à son exécution et décidant l'imputation des recettes afférentes à son exécution à l'article 7015 " vente de terrains " du budget annexe " Lotissement d'habitations les Hauts de Cramonts " et rejeté le surplus de leurs conclusions.

Par un arrêt n° 13LY01144 du 19 décembre 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel de la commune de Châtillon-sur-Seine contre l'article 1er de ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 19 février et 19 mai 2014, la commune de Châtillon-sur-Seine demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de M. A...et de Mme C...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000, notamment son articler 1er ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Herondart, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la commune de Châtillon-sur-Seine ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 9 décembre 2011, la commune de Châtillon-sur-Seine (Côte-d'Or) a autorisé la vente de parcelles du lotissement " les Hauts de Cramont ", dont elle est propriétaire, à des gens du voyage installés sur ces terrains dans des conditions précaires, afin de permettre leur relogement ; que la délibération fixait à cinq euros hors taxes le mètre carré le prix de vente de ces parcelles, dont le service des domaines avait, par un avis du 4 novembre 2011, estimé la valeur vénale à trente euros hors taxes le mètre carré ; que, par un jugement du 5 mars 2013, le tribunal administratif de Dijon a annulé cette délibération, qui prévoyait la cession des parcelles cadastrées ZK n° 298 à ZK n° 311, autorisait le maire à signer les actes nécessaires à son exécution et décidait l'imputation des recettes afférentes à son exécution à l'article 7015 " vente de terrains " du budget annexe " Lotissement d'habitations les Hauts de Cramonts " ; que, sur appel de la commune, la cour administrative d'appel de Lyon a confirmé cette annulation par un arrêt du 19 décembre 2013, contre lequel la commune se pourvoit en cassation ;

2. Considérant que la cession par une commune d'un terrain à des particuliers pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes ;

3. Considérant que, pour déterminer si la décision par laquelle une collectivité publique cède à une personne privée un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur est, pour ce motif, entachée d'illégalité, il incombe au juge de vérifier si elle est justifiée par des motifs d'intérêt général ; que, si tel est le cas, il lui appartient ensuite d'identifier, au vu des éléments qui lui sont fournis, les contreparties que comporte la cession, c'est-à-dire les avantages que, eu égard à l'ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante a la charge, elle est susceptible de lui procurer, et de s'assurer, en tenant compte de la nature des contreparties et, le cas échéant, des obligations mises à la charge des cessionnaires, de leur effectivité ; qu'il doit, enfin, par une appréciation souveraine, estimer si ces contreparties sont suffisantes pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé ;

4. Considérant qu'après avoir relevé que la cession litigieuse, décidée en vue de permettre à des gens du voyage d'être logés décemment, était justifiée par un motif d'intérêt général, la cour a jugé que ni les avantages en matière d'hygiène et de sécurité publiques, ni la possibilité d'économiser le coût d'aménagement d'une aire d'accueil pour les gens du voyage et les coûts d'entretien de terrains irrégulièrement occupés, dont la commune se prévalait devant elle, ne pouvaient être comptés au nombre des contreparties de la cession ; qu'elle a seulement regardé comme des contreparties les obligations mises à la charge des acquéreurs, par les stipulations du cahier des charges de la cession qui prévoient notamment qu'ils ne pourront vendre les parcelles qu'au prix d'achat initial, majoré du coût des constructions édifiées, pendant un délai de dix ans ; qu'elle a ainsi méconnu les principes énoncés au point 3 ci-dessus et commis une erreur de droit ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'arrêt attaqué doit donc être annulé ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A...et de Mme C...la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 19 décembre 2013 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : M. A...et Mme C...verseront une somme globale de 3 000 euros à la commune de Châtillon-sur-Seine au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Châtillon-sur-Seine, à M. D... A...et à Mme B...C....


Voir aussi