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Ariane Web: Conseil d'État 368342, lecture du 17 février 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:368342.20160217

Décision n° 368342
17 février 2016
Conseil d'État

N° 368342
ECLI:FR:CESSR:2016:368342.20160217
Publié au recueil Lebon
3ème - 8ème SSR
Mme Célia Verot, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du mercredi 17 février 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. F...C...,A... D... et B...E...et l'association de libre pensée et d'action sociale du Rhône ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la délibération du conseil régional de la région Rhône-Alpes des 21 et 22 octobre 2012 approuvant la signature d'une convention entre la région Rhône-Alpes, la ville de Saint-Etienne, la wilaya d'Annaba, la commune d'Annaba et l'association diocésaine d'Algérie, ayant pour objet la restauration de la basilique Saint-Augustin d'Hippone à Annaba en Algérie et la participation des collectivités signataires à son financement.

Par quatre jugements n° 1007886, 10079903, 1007919 et 1007858 du 5 avril 2012, le tribunal administratif de Lyon a annulé la délibération attaquée.

Par quatre arrêts n° 12LY01491, 12LY01492, 12LY01489 et 12LY01494 du 7 mars 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté les appels de la région Rhône-Alpes tendant, d'une part, à l'annulation des jugements n°1007886, 1007903, 1007919 et 1007858 du 5 avril 2012 du tribunal administratif de Lyon, et, d'autre part, au rejet des demandes de MM. F... C...,A... D..., B...E...et de l'association de libre pensée et d'action sociale du Rhône devant le tribunal administratif.

Procédure devant le Conseil d'Etat :

1°, sous le n° 368342, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 mai et 6 août 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Rhône-Alpes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 12LY01491 du 7 mars 2013 de la cour administrative d'appel de Lyon ;

2°) de mettre à la charge de M. C...la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.



2°, sous le n° 368343, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 mai et 6 août 2013 et le 22 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Rhône-Alpes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 12LY01492 du 7 mars 2013 de la cour administrative d'appel de Lyon ;

2°) de mettre à la charge de M. D...la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

3°, sous le n° 368344, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 mai et 6 août 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Rhône-Alpes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 12LY01494 du 7 mars 2013 de la cour administrative d'appel de Lyon ;

2°) de mettre à la charge de l'association de libre pensée et d'action sociale du Rhône la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

4°, sous le n° 368352, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 mai et 6 août 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Rhône-Alpes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n°12LY01489 du 7 mars 2013 de la cour administrative d'appel de Lyon ;

2°) de mettre à la charge de M. E...la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la convention de partenariat entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, signée à Alger le 4 décembre 2007, approuvée par la loi n° 2010-162 du 22 février 2010, publiée au Journal officiel de la République française par décret n° 2010-730 du 28 juin 2010 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'Etat ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Célia Verot, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la région Rhône-Alpes et à Me Haas, avocat de M. A...D...;



1. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par une délibération des 21 et 22 octobre 2010, le conseil régional de la région Rhône-Alpes a approuvé un projet de convention entre la région Rhône-Alpes, la ville de Saint-Etienne, la wilaya d'Annaba, la commune d'Annaba et l'association diocésaine d'Algérie, ayant pour objet la restauration de la basilique Saint-Augustin d'Hippone à Annaba (Algérie) et prévoyant la participation de la région au financement des travaux ; que, à la demande de M.C..., de M.D..., de M. E... et de l'association de libre pensée et d'action sociale du Rhône, le tribunal administratif de Lyon a, par quatre jugements du 5 avril 2012, annulé pour excès de pouvoir cette délibération ; que la région Rhône-Alpes se pourvoit régulièrement en cassation contre les quatre arrêts du 7 mars 2013 par lesquels la cour administrative d'appel a rejeté ses appels dirigés contre les jugements du tribunal administratif de Lyon du 5 avril 2012 ; qu'il y a lieu de joindre ces quatre pourvois pour statuer par une seule décision :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi du 2 février 2007 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements : " Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, dans le respect des engagements internationaux de la France, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères pour mener des actions de coopération ou d'aide au développement. Ces conventions précisent l'objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers. Elles entrent en vigueur dès leur transmission au représentant de l'Etat dans les conditions fixées aux articles L. 2131-1, L. 2131-2, L. 3131-1, L. 3131-2, L. 4141-1 et L. 4141-2. Les articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 leur sont applicables./ En outre, si l'urgence le justifie, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en oeuvre ou financer des actions à caractère humanitaire " ; qu'aux termes de l'article L. 1115-5 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 16 avril 2008 visant à renforcer la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale par la mise en conformité du code général des collectivités territoriales avec le règlement communautaire relatif à un groupement européen de coopération territoriale : " Aucune convention, de quelque nature que ce soit, ne peut être passée entre une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales et un Etat étranger, sauf si elle a vocation à permettre la création d'un groupement européen de coopération territoriale " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, en vigueur à la date de la délibération attaquée, que le législateur a autorisé les collectivités territoriales à conduire des actions de coopération ou d'aide au développement ; que s'il a prévu qu'elles devaient, à cette fin, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères précisant l'objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers et s'il a exclu qu'elles puissent, sauf pour créer un groupement européen de coopération territoriale, contracter avec un Etat étranger, aucune disposition ni aucun principe n'interdisent qu'une convention de coopération conclue avec une autorité locale étrangère soit également signée par d'autres personnes, françaises ou étrangères, de droit public ou de droit privé, y compris par la ou les personnes qui seront chargées de la réalisation du projet qui fait l'objet de l'accord ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la convention approuvée par la délibération attaquée ne pouvait constituer une convention de coopération décentralisée au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, au motif qu'elle devait être signée non seulement par une autorité locale algérienne, mais aussi par l'association diocésaine d'Algérie, qui assurerait la maîtrise d'ouvrage du projet de restauration, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, la région Rhône-Alpes est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation des arrêts attaqués ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les dispositions de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales n'interdisent pas qu'une convention de coopération décentralisée associe à une collectivité territoriale française, outre une ou plusieurs autorités locales étrangères, d'autres partenaires, y compris des personnes de droit privé françaises ou étrangères ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que la convention que la délibération attaquée approuve méconnaissait ces dispositions au seul motif qu'elle devait également être signée par l'association diocésaine d'Algérie ;

7. Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les requérants devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Lyon ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la basilique Saint-Augustin d'Hippone d'Annaba (Algérie) a été construite en 1881 sur les plans de l'architecte français Joseph Pougnet ; que, tout en constituant un lieu de culte pour un certain nombre de fidèles de la région, elle est aussi un important lieu de rendez-vous pour la population de la ville et un monument historique qui reçoit chaque année de très nombreux visiteurs ; qu'elle abrite une bibliothèque ouverte à tous et accueille de nombreuses manifestations culturelles ; que le projet de restauration de ce monument très endommagé, engagé à l'initiative et sous la maîtrise d'ouvrage de l'association diocésaine d'Algérie, propriétaire du bâtiment, et autofinancé à hauteur de 20 %, a recueilli le soutien de nombreuses collectivités publiques algériennes et étrangères, qui assurent 40 % du financement des travaux, notamment de la wilaya d'Annaba, de la commune d'Annaba, de la République française, de la République fédérale d'Allemagne, de la région Rhône-Alpes et de la ville de Saint-Etienne, qui est jumelée avec la ville d'Annaba ; que de nombreuses entreprises, algériennes et européennes, notamment d'importantes entreprises françaises, contribuent au financement du projet, sous forme de mécénat, à hauteur de 40 % du montant des travaux également ; que des entreprises françaises, notamment des entreprises installées dans la région Rhône-Alpes, ont été sollicitées pour la réalisation de certains travaux de restauration ainsi que pour des actions de formation ;

9. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que le délai de douze jours prévu à l'article L. 4132-18 du code général des collectivités territoriales pour l'envoi d'un rapport aux membres du conseil régional n'aurait pas été respecté manque en fait ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la convention litigieuse a été signée par le wali non pas en tant que représentant de l'Etat algérien mais au nom de la wilaya d'Annaba qui constitue, en vertu de la constitution algérienne, une collectivité territoriale algérienne ;

11. Considérant, en troisième lieu, que la convention dont la signature a été approuvée par la délibération attaquée a pour objet la participation financière de la région au projet de restauration de la basilique Saint-Augustin d'Hippone et non la définition des modalités de réalisation des travaux ; que le moyen tiré de ce que, en approuvant cette convention, la délibération attaquée méconnaîtrait la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée et le code des marchés publics ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

12. Considérant, en quatrième lieu, que le projet de convention approuvé par la délibération attaquée prévoit, à son article 3, paragraphe 6, que " les financements de chacune des parties seront mis en oeuvre conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur et selon les procédures administratives propres à chacune des parties concernées " ; que le moyen tiré de ce que la convention serait insuffisamment précise faute de garantir le contrôle de l'utilisation des fonds publics ne peut ainsi, en tout état de cause, qu'être écarté ; que, par ailleurs, aucune disposition ni aucun principe n'imposaient que la convention précise le juge compétent en cas de litige ;

13. Considérant, en cinquième lieu, que, eu égard à l'objet et aux modalités, décrits au point 8 ci-dessus, du partenariat que la région Rhône-Alpes a entendu nouer avec les autorités locales d'Annaba, en vue de contribuer à la restauration d'un monument qui s'inscrit dans le patrimoine culturel du bassin méditerranéen, la convention approuvée par la délibération attaquée entre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, dans le champ des conventions de coopération décentralisée que les dispositions de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales autorisent une région à conclure ; que, par ailleurs, si l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'Etat dispose que " la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ", ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'une telle action de coopération, qui ne peut être regardée comme ayant pour objet de salarier ou de subventionner un culte, soit menée ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées devant le tribunal administratif de Lyon par la région Rhône-Alpes, celle-ci est fondée à demander l'annulation des jugements attaqués et le rejet des demandes présentées devant le tribunal ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la région Rhône-Alpes, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M.C..., de M. D..., de M. E...et de l'association de libre pensée et d'action sociale du Rhône une somme de 1 000 euros à verser chacun à la région Rhône-Alpes au même titre ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les arrêts du 7 mars 2013 n° 12LY01489, 12LY01491, 12LY01492 et 12LY01494 de la cour administrative de Lyon et les jugements n° 1007858, 1007886, 1007903, et 1007919 du 5 avril 2012 du tribunal administratif de Lyon sont annulés.
Article 2 : Les demandes présentées par M.C..., M.D..., M. E...et l'association de libre pensée et d'action sociale du Rhône devant le tribunal administratif de Lyon sont rejetées.
Article 3 : M.C..., M.D..., M. E...et l'association de libre pensée et d'action sociale du Rhône verseront chacun à la région Rhône-Alpes une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de M. D...présentées au même titre sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la région Rhône-Alpes, à M. C..., M. D..., à M. E...et à l'association de libre pensée et d'action sociale du Rhône.
Copie en sera adressée pour information au ministre des affaires étrangères et du développement international et au ministre de l'intérieur.


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