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Ariane Web: Conseil d'État 387960, lecture du 10 février 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:387960.20170210

Décision n° 387960
10 février 2017
Conseil d'État

N° 387960
ECLI:FR:CECHR:2017:387960.20170210
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Séverine Larere, rapporteur
Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du vendredi 10 février 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. et Mme A...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2003. Par un jugement n° 0902724 du 6 juin 2013, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 13LY02119 du 16 décembre 2014, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et a déchargé M. et Mme A...des impositions et pénalités en litige.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistré les 13 février 2015 et 17 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. et Mme A...;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de M. et Mme A...;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A... détenaient respectivement 4 600 et 400 parts de la société Tellif. M.A..., par acte notarié en date du 15 janvier 2003, a fait donation aux trois enfants issus de leur mariage de la nue-propriété de 4 599 titres de cette société. MmeA..., par acte notarié en date du même jour, leur a fait donation de la pleine propriété de 399 titres. L'ensemble des titres initialement détenus par M. et Mme A...ont fait l'objet, le 17 janvier 2003, d'une cession en pleine propriété à la société SICAE VS pour un prix de 5 200 000 euros, la valeur unitaire des titres étant la même pour les deux donations et pour la cession à cette société. A l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de M. et Mme A...au titre de l'année 2003, l'administration fiscale a toutefois, sur le fondement de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, écarté les actes de donation-partage du 15 janvier 2003, et a imposé en conséquence la plus-value de cession des titres de la société Tellif. En cours de procédure, l'administration a abandonné le rehaussement portant sur la plus-value afférente aux titres donnés par Mme A...mais a maintenu celui portant sur la plus-value afférente aux titres donnés en nue-propriété par M.A.... M. et Mme A...ont contesté les impositions supplémentaires et les pénalités mis à leur charge du fait de ce rehaussement. Par un jugement du 6 juin 2013, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande de décharge. Par l'arrêt attaqué du 16 décembre 2004, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et déchargé les époux A...des impositions et pénalités contestées.

2. D'une part, aux termes de l'article L.64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) b. (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (...). Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ". Il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

3. D'autre part, aux termes de l'article 894 du code civil : " La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l'accepte ". Dès lors qu'un acte revêt le caractère d'une donation au sens de ces dispositions, l'administration ne peut le regarder comme n'ayant pu être inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que son auteur, s'il ne l'avait pas passé, aurait normalement supportées. Elle n'est, par suite, pas fondée à l'écarter comme ne lui étant pas opposable sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. En revanche, l'administration peut écarter sur ce fondement un acte qui, présenté comme une donation, ne se traduit pas par un dépouillement immédiat et irrévocable de son auteur et revêt dès lors un caractère fictif.

4. En jugeant que le caractère fictif de la donation n'était pas démontré sans répondre au moyen, qui n'était pas inopérant, invoqué par le ministre en défense tiré de ce que la présence, dans l'acte de donation partage, d'une clause de quasi-usufruit non assortie d'une sûreté était de nature à démontrer que les droits des nus-propriétaires n'étaient pas garantis et que, par ce mécanisme du quasi-usufruit sans caution, M. et Mme A...ne s'étaient pas dessaisis irrévocablement des biens donnés ni immédiatement ni à terme, ce qui caractérisait, selon le ministre, l'absence de véritable intention libérale du donateur, la cour a insuffisamment motivé son arrêt. Le ministre est, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, fondé à en demander l'annulation.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L 821-2 du code de justice administrative.

6. En premier lieu, aux termes de l'article 587 du code civil : " Si l'usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l'argent, les grains, les liqueurs, l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l'usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ". L'article 601 du même code précise, par ailleurs, s'agissant des obligations de l'usufruitier que " les père et mère ayant l'usufruit légal du bien de leurs enfants, le vendeur ou le donateur, sous réserve d'usufruit, ne sont pas tenus de donner caution. ". Il résulte de ces dispositions qu'un acte de donation-partage peut valablement contenir une clause de quasi-usufruit non assortie d'une caution.

7. Il résulte de l'instruction que l'acte de donation du 15 janvier 2003 par lequel M. A...a fait donation à ses trois enfants de la nue-propriété de 4 599 actions de la société Tellif prévoit " qu'en cas de vente concomitante des droits démembrés sur les titres donnés, le démembrement se reportera sur le prix de vente. Ledit prix de vente devra en outre être réemployé en l'acquisition de titres eux-mêmes démembrés à concurrence d'un montant de 2 517 960 euros. Sur le surplus du prix, soit la somme de 2 265 000 euros, l'usufruit du donateur s'exercera sous forme de quasi-usufruit dans les conditions stipulées au paragraphe intitulé convention de quasi-usufruit ". Ce dernier paragraphe prévoit que " le donateur n'est pas tenu de conserver en nature les valeurs mobilières présentement données, ci-dessus désignées et estimées, mais seulement à concurrence de 2 265 000 euros pour les trois donataires. Il pourra au contraire en disposer dans les conditions prévues par l'article 587 du code civil, c'est-à-dire comme un propriétaire sans avoir à en demander l'autorisation aux donataires, mais à charge de restitution en fin d'usufruit selon les modalités ci-après définies ". S'agissant des modalités de restitution, il est précisé que " pour les titres aliénés dont le prix de cession n'aura pas été remployé dans l'achat de nouvelles valeurs, les droits de nus propriétaires seront reportés sur leur contre-valeur en application de l'article 587 du code civil ". Enfin, il est indiqué que les donataires dispensent expressément le donateur de fournir une sûreté pour garantir la créance de restitution.

8. Il résulte de ces stipulations que si M. A...dispose d'un quasi-usufruit sur la somme de 2 265 000 euros issue de la cession des titres de la société Tellif, il reste redevable, à l'égard des donataires, d'une créance de restitution d'un montant équivalent. Ainsi, et alors même que cette créance n'est pas assortie d'une sûreté, dont l'article 601 du code civil dispense expressément le donateur sous réserve d'usufruit, M. A... doit être regardé comme s'étant effectivement et irrévocablement dessaisi des biens ayant fait l'objet de la donation.

9. En second lieu, ni le délai très bref qui s'est écoulé entre l'acte de donation-partage et la cession des parts détenues par M. A...et ses enfants dans le capital de la société Tellif, ni les restrictions apportées à l'exercice du droit de propriété des donataires, résultant notamment de l'interdiction d'aliéner ou de nantir les titres donnés pendant la vie des donateurs, sous peine de révocation de la donation, ni l'obligation de réemployer le prix de vente desdits titres à hauteur de 2 517 960 euros en l'acquisition de titres aux fins de créer entre M. A...et ses enfants une société civile de gestion patrimoniale et dont les statuts octroient à M.A..., donateur gérant, des pouvoirs étendus de décision, notamment pour la distribution des bénéfices, ne peuvent, à eux seuls, suffire à faire regarder la donation intervenue comme purement fictive dès lors, d'une part, que la circonstance qu'un acte de disposition soit assorti d'une clause d'inaliénabilité durant la vie du donateur ne lui ôte pas son caractère de donation au sens des dispositions de l'article 894 du code civil et, d'autre part, que l'octroi au donateur usufruitier de pouvoirs étendus de gestion et de décision au sein de la société civile Guisanga n'altère pas l'obligation de restitution en fin d'usufruit en vertu de l'article 578 du code civil et n'est pas de nature, par lui-même, à remettre en cause le constat de son dépouillement immédiat et irrévocable dès la signature des actes de donation.

10. Par suite, l'administration, qui n'établit pas le caractère fictif de l'acte de donation du 15 janvier 2003, ne pouvait l'écarter sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales pour établir les impositions en litige.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2003.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre, à la charge de l'Etat, une somme de 3 000 euros à verser à M. et MmeA..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt n° 13LY02119 de la cour administrative d'appel de Lyon du 16 décembre 2014 et le jugement n° 0902724 du tribunal administratif de Grenoble du 6 juin 2013 sont annulés.
Article 2 : M. et Mme A...sont déchargés, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2003.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M. et Mme A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à Monsieur et Madame A....




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