Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 423001, lecture du 3 juin 2019, ECLI:FR:CESEC:2019:423001.20190603

Décision n° 423001
3 juin 2019
Conseil d'État

N° 423001
ECLI:FR:CESEC:2019:423001.20190603
Publié au recueil Lebon
Section
Mme Sandrine Vérité, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP ROUSSEAU, TAPIE ; SCP BOULLEZ, avocats


Lecture du lundi 3 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 9 novembre 2015 par laquelle le directeur de l'agence de Pôle emploi de Saint-Lô a refusé de l'admettre au bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique et d'enjoindre à Pôle emploi de lui accorder cette allocation ou de procéder à une nouvelle instruction de son dossier dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par un jugement n° 1600726 du 6 octobre 2016, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Par une décision n° 405724 du 26 octobre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Caen.

Par un jugement n° 1701998 du 8 juin 2018, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de MmeB....

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 août et 7 novembre 2018 et le 19 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de Pôle emploi la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sandrine Vérité, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de Mme B...et à la SCP Boullez, avocat de Pôle emploi ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme B..., qui avait épuisé ses droits à l'allocation d'aide au retour à l'emploi, a sollicité le bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique le 16 octobre 2015. Par une décision du 9 novembre 2015, confirmée sur recours préalable le 18 mars 2016, le directeur de l'agence de Pôle Emploi de Saint-Lô a rejeté sa demande, au motif qu'elle ne justifiait pas de cinq années d'activité salariée dans les dix ans précédant la fin de son contrat de travail. Mme B...se pourvoit en cassation contre le jugement du 8 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat après une première cassation, a de nouveau rejeté sa demande dirigée contre la décision du 9 novembre 2015.

2. Aux termes de l'article L. 5423-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle Mme B...aurait pu se voir ouvrir le droit à l'allocation : " Ont droit à une allocation de solidarité spécifique les travailleurs privés d'emploi qui ont épuisé leurs droits à l'allocation d'assurance ou à l'allocation de fin de formation prévue par l'article L. 5423-7 et qui satisfont à des conditions d'activité antérieure et de ressources ". Aux termes de l'article R. 5423-1 du code du travail : " Pour bénéficier de l'allocation de solidarité spécifique, les personnes mentionnées à l'article L. 5423-1 : / Justifient de cinq ans d'activité salariée dans les dix ans précédant la fin du contrat de travail à partir de laquelle ont été ouverts leurs droits aux allocations d'assurance. En ce qui concerne les personnes ayant interrompu leur activité salariée pour élever un enfant, cette durée est réduite, dans la limite de trois ans, d'un an par enfant à charge ou élevé dans les conditions fixées à l'article R. 342-2 du code de la sécurité sociale ; / 2° Sont effectivement à la recherche d'un emploi au sens de l'article L. 5421-3, sous réserve des dispositions de l'article R. 5421-1 ; / 3° Justifient, à la date de la demande, de ressources mensuelles inférieures à un plafond correspondant à 70 fois le montant journalier de l'allocation pour une personne seule et 110 fois le même montant pour un couple ". L'article R. 342-2 du code de la sécurité sociale mentionne " les enfants ayant été, pendant au moins neuf ans avant leur seizième anniversaire, élevés par le titulaire de la pension et à sa charge ou à celle de son conjoint ".

3. Il résulte de ces dispositions que l'allocation de solidarité spécifique est subordonnée, notamment, à une condition de durée d'activité salariée de cinq ans dans les dix ans précédant la fin du contrat de travail à partir de laquelle le droit aux allocations d'assurance a été ouvert. Toutefois, si le demandeur a interrompu son activité salariée pour élever un enfant, cette durée est réduite, dans la limite de trois ans, d'un an par enfant à charge ou qu'il a élevé pendant au moins neuf ans avant son seizième anniversaire en étant à sa charge ou à celle de son conjoint, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'enfant ait atteint son seizième anniversaire avant le début de la période de référence de dix ans précédant la fin du contrat de travail à partir de laquelle le droit aux allocations d'assurance a été ouvert. Par suite, en jugeant que Mme B...ne pouvait bénéficier d'une réduction d'un an pour avoir élevé son premier enfant au motif que celui-ci, né le 9 février 1989, avait atteint son seizième anniversaire avant la période de référence de dix ans allant du 1er avril 2005 au 31 mars 2015, le tribunal administratif de Caen a commis une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, que le jugement attaqué doit être annulé.

5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

6. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. Dans le cas d'un contentieux portant sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d'emploi, c'est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer.

7. Contrairement à ce que Pôle emploi soutient, il ne résulte pas des dispositions de l'article R. 5423-1 du code du travail citées au point 2 que, pour permettre la réduction de la durée d'activité salariée antérieure exigée, l'interruption d'activité pour élever un enfant doive nécessairement être intervenue au cours de la période de référence de dix ans précédant la fin du contrat de travail à partir de laquelle le droit aux allocations d'assurance a été ouvert.

8. Il résulte de l'instruction que MmeB..., d'une part, a eu deux enfants, nés les 9 février 1989 et 6 janvier 1992, qu'elle a élevés et qui ont été à la charge de son conjoint et d'elle-même pendant au moins neuf ans avant leur seizième anniversaire et, d'autre part, qu'elle a interrompu son activité pour les élever, en particulier au cours de l'année 1992. Il en résulte également qu'elle justifie de trois ans d'activité salariée dans les dix ans précédant la date du 31 mars 2015 qui est celle de la fin du contrat de travail à partir de laquelle ont été ouverts ses droits aux allocations d'assurance. Dès lors, elle remplit la condition d'activité antérieure à laquelle est subordonné le droit à l'allocation de solidarité spécifique.

9. Il est constant qu'à la date de sa demande, le 16 octobre 2015, Mme B... remplissait également les autres conditions auxquelles est subordonné l'octroi de l'allocation de solidarité spécifique. Par suite, elle avait droit à cette allocation et la décision par laquelle le directeur de l'agence de Pôle Emploi de Saint-Lô a rejeté sa demande doit être annulée. En revanche, l'état de l'instruction ne permet pas de déterminer le montant exact des ressources de Mme B...et de son conjoint ni le respect de la condition de recherche effective d'un emploi pour chacune des périodes de six mois pour lesquelles l'allocation est attribuée. Il y a lieu, en conséquence, de renvoyer Mme B... devant Pôle emploi pour le calcul et le versement de l'allocation de solidarité spécifique au cours de la période de six mois courant à compter de sa demande puis pour l'attribution, le calcul et le versement de l'allocation au cours des périodes suivantes, jusqu'au 15 octobre 2019, conformément aux motifs de la présente décision.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Pôle Emploi la somme de 4 000 euros à verser à MmeB..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais qu'elle a exposés tant en première instance que devant le Conseil d'Etat. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Pôle emploi présentées au même titre.


D E C I D E :
--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 8 juin 2018 est annulé.
Article 2 : La décision du directeur de l'agence de Pôle Emploi de Saint-Lô du 18 mars 2016 est annulée.
Article 3 : Mme B...a droit à l'allocation de solidarité spécifique à compter du 16 octobre 2015 et est renvoyée devant Pôle emploi pour le calcul et le versement de la somme due au titre de cette allocation pour la période allant jusqu'au 15 avril 2016, puis pour l'attribution, le calcul et le versement de cette allocation pour les périodes suivantes, conformément aux motifs de la présente décision.
Article 4 : Pôle Emploi versera à Mme B...une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de Pôle emploi présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et à Pôle emploi.
Copie en sera adressée à la ministre du travail.


Voir aussi