Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 432388, lecture du 2 octobre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:432388.20191002

Décision n° 432388
2 octobre 2019
Conseil d'État

N° 432388
ECLI:FR:CECHR:2019:432388.20191002
Publié au recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Yaël Treille, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA, avocats


Lecture du mercredi 2 octobre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

La société Auchan Hypermarché a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille " d'annuler ", sur le fondement de l'article L. 4731-4 du code du travail, la décision du 20 février 2019 par laquelle l'agent de contrôle de l'inspection du travail de l'unité Lille-Est a ordonné l'arrêt des travaux réalisés à l'aide d'une trancheuse à jambon de marque Bizerba. Par une ordonnance n° 1905278 du 27 juin 2019, le juge des référés a, par application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, rejeté sa demande.

Par un pourvoi, enregistré le 8 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Auchan Hypermarché demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par trois mémoires, enregistrés les 9 juillet, 11 et 19 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Auchan Hypermarché demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 4731-4 du code du travail.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 ;
- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, notamment son article 118 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Yaël Treille, auditeur,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société Auchan Hypermarché ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 4731-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 7 avril 2016 relative au contrôle de l'application du droit du travail, ratifiée par l'article 118 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels : " L'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 peut prendre toutes mesures utiles visant à soustraire immédiatement un travailleur qui ne s'est pas retiré d'une situation de danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, constituant une infraction aux obligations des décrets pris en application des articles L. 4111-6, L. 4311-7 ou L. 4321-4, notamment en prescrivant l'arrêt temporaire de la partie des travaux ou de l'activité en cause, lorsqu'il constate que la cause de danger résulte : / (...) de l'utilisation d'équipements de travail dépourvus de protecteurs, de dispositifs de protection ou de composants de sécurité appropriés ou sur lesquels ces protecteurs, dispositifs de protection ou composants de sécurité sont inopérants (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 4731-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la même ordonnance ratifiée : " En cas de contestation par l'employeur de la réalité du danger ou de la façon de le faire cesser, notamment à l'occasion de la mise en oeuvre de la procédure d'arrêt des travaux ou de l'activité, celui-ci saisit le juge administratif par la voie du référé ".

5. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, la société Auchan Hypermarché soutient que ces dispositions de l'article L. 4731-4 du code du travail n'organisent pas, au bénéfice des employeurs, de voie de recours effective contre les mesures prises en application de l'article L. 4731-1 et que, par suite, elles méconnaissent, par elles-mêmes, le droit à un recours juridictionnel effectif, la liberté d'entreprendre et le droit de propriété et sont, en outre, entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes droits et la même liberté.

6. Toutefois, l'article L. 4731-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 7 avril 2016 qui vient d'être citée, ainsi que les dispositions réglementaires alors prises pour son application, prévoyaient qu'en cas de contestation de la réalité du danger ou de la façon de le faire cesser, notamment à l'occasion de la mise en oeuvre de la procédure d'arrêt des travaux ou de l'activité, l'employeur devait saisir le président du tribunal de grande instance qui statuait en référé. L'ordonnance du 7 avril 2016 a mis fin à cette compétence dérogatoire de l'autorité judiciaire, en supprimant la mention du président du tribunal de grande instance et en lui substituant explicitement la saisine du juge administratif des référés.

7. Il découle de cette modification de l'article L. 4731-4 du code du travail que ressortit désormais à la compétence de la juridiction administrative la contestation, par un employeur, des mesures administratives prises par l'inspection du travail sur le fondement de l'article L. 4731-1. Une telle contestation relève, en l'absence de disposition contraire, du droit commun des recours devant le juge administratif, c'est-à-dire, au fond, du recours pour excès de pouvoir et aussi, pour le référé que mentionne explicitement l'article L. 4731-4, des dispositions des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative. Il est ainsi loisible à l'employeur de demander la suspension de l'exécution de la mesure prise par l'inspection du travail sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, voire de saisir le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 dans le cas où la situation exigerait à très bref délai que soit ordonnée en référé une mesure de sauvegarde pour faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale. Dès lors qu'une mesure de suspension de travaux ou d'une activité poursuit ses effets après l'arrêt des travaux ou de l'activité en cause en interdisant qu'ils reprennent, une demande de suspension en référé conserve un objet tant que l'administration n'a pas mis fin à la mesure.

8. Dans ces conditions, la société Auchan Hypermarché n'est pas fondée à soutenir que, faute de permettre une contestation utile en référé, les dispositions législatives qu'elle critique porteraient atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété et seraient, pour le même motif, entachées d'incompétence négative.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 4731-4 du code du travail portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi.

Sur les autres moyens du pourvoi :

10. Pour demander l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille qu'elle attaque, la société Auchan Hypermarché soutient en outre que, faute pour le juge des référés d'avoir fait application des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice, il a méconnu son office et a entaché son ordonnance d'une erreur de droit.

Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Auchan Hypermarché.
Article 2 : Le pourvoi de la société Auchan Hypermarché n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Auchan Hypermarché et à la ministre du travail.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Voir aussi