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Ariane Web: Conseil d'État 419449, lecture du 29 mai 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:419449.20200529

Décision n° 419449
29 mai 2020
Conseil d'État

N° 419449
ECLI:FR:CECHR:2020:419449.20200529
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Eric Thiers, rapporteur
M. Frédéric Dieu, rapporteur public
SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats


Lecture du vendredi 29 mai 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 mars 2018, 29 octobre 2018 et 17 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 septembre 2017 par laquelle le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a refusé de reconnaître le titre de membre titulaire de la SFODF et a décidé que la mention de ce titre ne peut figurer sur les plaques et imprimés professionnels des chirurgiens-dentistes, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux ;

2°) d'enjoindre au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes de reconnaître le titre de membre titulaire de la SFODF ;

3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Thiers, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société française d'orthopédie dento-faciale.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 4127-216 du code de la santé publique : " Les seules indications que le chirurgien-dentiste est autorisé à mentionner sur ses imprimés professionnels, notamment ses feuilles d'ordonnances, notes d'honoraires et cartes professionnelles, sont : (...) / 3° Les titres et fonctions reconnus par le Conseil national de l'ordre (...) ". L'article R. 4127-218 du même code dispose par ailleurs : " Les seules indications qu'un chirurgien-dentiste est autorisé à faire figurer sur une plaque professionnelle à la porte de son immeuble ou de son cabinet sont (...) les diplômes, titres ou fonctions reconnus par le Conseil national de l'ordre ". Ces dispositions ayant notamment pour finalité d'assurer la pertinence des informations portées à la connaissance des patients par les plaques et imprimés professionnels des praticiens, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes peut légalement refuser de reconnaître des titres ou des diplômes qui ne présentent pas d'intérêt pour les soins délivrés par le praticien ou qui ne sont pas compatibles avec les dispositions du code de déontologie des chirurgiens-dentistes, au nombre desquelles figurent, notamment, celles du premier alinéa de l'article R. 4127-215, qui dispose : " La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce ".

2. Par une décision du 29 septembre 2017, prise sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a refusé de reconnaître le titre de membre titulaire de la société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF) et décidé que la mention de ce titre ne pouvait figurer sur les plaques et imprimés professionnels des chirurgiens-dentistes. Cette décision est fondée sur les motifs tirés de ce que ce titre ne sanctionne aucune formation dispensée par la SFODF, que ses critères d'obtention ne répondent à aucun " référentiel professoral ou référentiel métier " et qu'ainsi, sa mention sur les plaques et imprimés professionnels des chirurgiens-dentistes est dépourvue d'intérêt pour les patients. En outre, le recours gracieux formé par la SFODF contre cette décision a été implicitement rejeté. La SFODF demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux décisions.

Sur la recevabilité de la requête :

3. Aux termes de l'article 9 des statuts de la SFODF : " Le président représente l'association dans tous les actes de la vie civile (...). En cas de représentation en justice, le président ne peut être remplacé que par un mandataire agissant en vertu d'une procuration spéciale ". Il ressort des pièces du dossier que le 1er vice-président de la SFODF justifie avoir reçu mandat, par une délibération du conseil d'administration du 10 novembre 2017, pour contester la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes devant le Conseil d'Etat. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, tirée de l'absence de qualité pour agir du signataire de la requête, ne peut qu'être écartée.

Sur la légalité des décisions attaquées :

4. Il ressort des pièces du dossier que les statuts de la SFODF prévoient qu'elle a pour but " - l'avancement de l'orthopédie dento-faciale dans le monde, - la promotion de l'orthopédie dento-faciale auprès de tous les professionnels de santé, - la formation continue et le perfectionnement en orthopédie dento-faciale des médecins stomatologistes, des chirurgiens-dentistes, des chirurgiens maxillo-faciaux et des spécialistes qualifiés en orthopédie dento-faciale, afin de dispenser des soins en rapport avec les besoins de santé publique et en accord avec les acquisitions scientifiques les plus récentes, et pour répondre au devoir de formation continue édicté dans le code de déontologie, - d'être expert en ce qui concerne l'orthopédie dento-faciale auprès des organismes publics et du grand public, (...) - de soutenir les associations caritatives impliquées dans le domaine de la santé bucco-dentaire, - d'être un partenaire de recherche concernant la sphère bucco-dentaire ". Ses moyens d'action sont notamment, aux termes de l'article 2 des statuts, " l'organisation de conférences d'ateliers cliniques et de manifestations scientifiques, - la publication de présentations cliniques, scientifiques et de rapports (...), - une aide à la recherche scientifique en orthodontie par la mise à disposition de matériels, fonds et savoir-faire auprès d'organismes publics, - la création d'un réseau international d'associations ou d'entités scientifiques francophones pour favoriser les échanges scientifiques et la formation des praticiens du monde entier, - l'information de ses membres et du grand public (...) ". En application de l'article 2 du règlement intérieur de la SFODF, la qualité de membre titulaire est subordonnée à une condition d'assiduité aux réunions et assemblées générales ainsi qu'à la présentation de travaux validés par le conseil d'administration, après avis de la ou des commissions compétentes. Sont susceptibles d'être validées, notamment, la participation à un rapport, la direction d'une manifestation scientifique importante ou une communication, la présentation d'une démonstration sur un sujet clinique, la présentation de cinq cas traités, soumise à l'examen de la commission des tables de démonstration ou ayant obtenu le certificat d'excellence délivré par un organisme habilité de l'association. Enfin, l'article 3 du règlement intérieur prévoit qu'à titre exceptionnel, les personnes dont les titres ou travaux dans la spécialité sont particulièrement importants peuvent être admises d'emblée comme membres titulaires, sur proposition du conseil d'administration soumise au vote de l'assemblée générale.

5. Il ressort des dispositions de son statut et de son règlement intérieur citées au point 4 que la SFODF exerce, dans une discipline reconnue et pratiquée par des chirurgiens-dentistes, une mission de veille scientifique et pratique, d'étude, d'expertise et de diffusion des connaissances, qu'elle dispose de moyens d'action adaptés à cette mission et que, contrairement à ce que soutient en défense le Conseil national de l'ordre de chirurgiens-dentistes, l'obtention du titre de membre titulaire de la SFODF est subordonnée à une appréciation portée sur la qualité des travaux des candidats par les instances dirigeantes de l'association. Ainsi, en estimant que la mention du titre de membre titulaire de la SFODF n'apportait pas une information pertinente aux patients et était dépourvue d'intérêt pour eux, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a entaché les décisions litigieuses d'une erreur d'appréciation. Par suite, la SFODF est fondée à demander pour ce motif l'annulation des décisions qu'elle attaque, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".

7. L'exécution de la présente décision d'annulation implique que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes reconnaisse le titre de membre titulaire de la SFODF de sorte que la mention de ce titre puisse figurer sur les plaques et imprimés professionnels des chirurgiens-dentistes. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes de procéder à cette reconnaissance dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 3 000 euros à verser à la SFODF au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 29 septembre 2017 du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et la décision implicite de rejet du recours gracieux de la société française d'orthopédie dento-faciale sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes de reconnaître le titre de membre titulaire de la société française d'orthodontie dento-faciale dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes versera à la société française d'orthodontie dento-faciale la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société française d'orthopédie dento- faciale et au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
Copie en sera adressée à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat.


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