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Ariane Web: Conseil d'État 424133, lecture du 29 juin 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:424133.20200629

Décision n° 424133
29 juin 2020
Conseil d'État

N° 424133
ECLI:FR:CECHR:2020:424133.20200629
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Céline Roux, rapporteur
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du lundi 29 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé à la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine de l'ordre des médecins à être relevé de l'incapacité résultant de la sanction de la radiation du tableau de l'ordre qui lui a été infligée par cette même chambre par une décision du 24 janvier 2013. Par une décision du 18 novembre 2017, cette chambre a relevé M. B... de son incapacité résultant de sa radiation du tableau de l'ordre des médecins.

Par une décision du 12 juillet 2018, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel du Conseil national de l'ordre des médecins, annulé cette décision et rejeté la demande de M. B....

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 septembre et 12 décembre 2018 et le 13 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du Conseil national de l'ordre des médecins ;

3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Roux, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. B... et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 24 janvier 2013, la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine de l'ordre des médecins a prononcé la radiation de M. B... du tableau de l'ordre des médecins au motif qu'il avait provoqué délibérément la mort de plusieurs patients hospitalisés au centre hospitalier de Bayonne. Par une décision du 15 avril 2014, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel formé par M. B... contre cette décision et a décidé que la sanction prendrait effet à compter du 1er juillet 2014. Par une décision du 30 décembre 2014, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté le pourvoi formé par M. B... contre cette décision. M. B... ayant ultérieurement demandé à la chambre disciplinaire nationale la révision de sa décision du 15 avril 2014 au motif qu'un arrêt du 24 octobre 2015 de la cour d'assises du Maine-et-Loire l'avait déclaré non coupable de la mort de plusieurs de ses patients, cette chambre, par une décision du 17 juin 2016, a déclaré nulle et non avenue sa décision du 15 avril 2014, puis, statuant à nouveau sur les requêtes d'appel dont elle était saisie, les a rejetées et fixé au 1er juillet 2014 la date d'exécution de la sanction. Le pourvoi de M. B... contre cette dernière décision a été rejeté le 11 octobre 2017 par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux. Le 12 juillet 2017, M. B... a demandé à être relevé de l'incapacité résultant de cette sanction de radiation. Par une décision du 18 novembre 2017, la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine de l'ordre des médecins a fait droit à sa demande. Toutefois, par une décision du 12 juillet 2018, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, sur appel du Conseil national de cet ordre, a annulé cette décision et rejeté la demande de M. B.... Ce dernier se pourvoit en cassation contre cette décision.

2. En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la chambre disciplinaire nationale n'a pas statué par des " motifs hypothétiques ". Le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée doit, par suite, être écarté.

3. En deuxième lieu, la chambre disciplinaire nationale ne s'est pas méprise sur la portée du courrier du président du Conseil national de l'ordre des médecins du 19 décembre 2017 et n'a pas commis d'erreur de droit en regardant ce courrier, qui se référait explicitement à la délibération du Conseil national de l'ordre des médecins du 19 décembre 2017, qui lui était jointe, laquelle soulevait plusieurs moyens à l'encontre de cette décision de première instance, comme la saisissant régulièrement d'un appel, suffisamment motivé, dirigé contre la décision du 18 novembre 2017 de la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine de l'ordre des médecins.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 4124-6 du code de la santé publique : " Les peines disciplinaires que la chambre disciplinaire de première instance peut appliquer sont les suivantes : (...) / 5° La radiation de l'ordre. / (...) Le médecin (...) radié ne peut se faire inscrire à un autre tableau de l'ordre (...) ". Aux termes de l'article L. 4124-8 du même code : " Après qu'un intervalle de trois ans au moins s'est écoulé depuis une décision définitive de radiation du tableau, le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme frappé de cette peine peut être relevé de l'incapacité en résultant par une décision de la chambre disciplinaire qui a statué sur l'affaire en première instance. La demande est formée par une requête adressée au président de la chambre compétente. / Lorsque la demande a été rejetée par une décision devenue définitive, elle ne peut être représentée qu'après un délai de trois années à compter de l'enregistrement de la première requête à la chambre disciplinaire de première instance ". Aux termes de l'article L. 4112-5 du même code : " L'inscription au tableau de l'ordre rend licite l'exercice de la profession sur tout le territoire national (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'existence d'une sanction de radiation définitive du tableau de l'ordre d'un département interdit au médecin qui en a été frappé de demander son inscription à un autre tableau départemental. Seul le relèvement de l'incapacité qui en résulte, prononcé par décision juridictionnelle prise sur le fondement de l'article L. 4124-8 du code de la santé publique, est susceptible de lui permettre de solliciter son inscription à un tableau de l'ordre. Une telle inscription, lorsqu'elle est accordée, donne droit d'exercer la médecine sans restriction et sur l'ensemble du territoire national.

5. Pour rejeter la demande de M. B..., la chambre disciplinaire nationale s'est fondée sur le fait que le relèvement d'incapacité prévu à l'article L. 4124-8 du code de la santé publique ouvre vocation à une inscription au tableau de l'ordre sans que l'exercice de l'activité médicale qui résulterait de cette inscription puisse être limité. En statuant ainsi, la chambre disciplinaire nationale, qui ne pouvait, contrairement à ce que soutient le requérant et quel que soit le projet professionnel que celui-ci allègue poursuivre, prononcer un relèvement d'incapacité partiel, n'a pas commis d'erreur de droit.

6. En dernier lieu, pour accorder ou refuser le relèvement d'incapacité demandé, les juridictions disciplinaires de l'ordre des médecins sont en droit de tenir compte de la nature et de la gravité des fautes qui ont été à l'origine de la radiation initialement prononcée. Il leur appartient également de prendre en considération le comportement général du praticien postérieurement à sa radiation, et notamment sa capacité à exercer à nouveau compte tenu des efforts qu'il a accomplis pour conserver et mettre à jour ses connaissances professionnelles.

7. Après avoir relevé, par une appréciation souveraine des pièces du dossier, exempte de dénaturation que M. B..., malgré ses regrets, ne semblait pas avoir pris pleinement conscience de la gravité des fautes qu'il avait commises et qu'il ne justifiait pas avoir entretenu ses connaissances médicales durant la période d'exécution de sa sanction, la chambre disciplinaire nationale a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en en déduisant que la demande de relèvement de cette sanction devait être rejetée.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. B... doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 000 euros à verser au Conseil national de l'ordre des médecins au titre de ces mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : M. B... versera au Conseil national de l'ordre des médecins une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au Conseil national de l'ordre des médecins.


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