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Ariane Web: Conseil d'État 429801, lecture du 12 février 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:429801.20210212

Décision n° 429801
12 février 2021
Conseil d'État

N° 429801
ECLI:FR:CECHR:2021:429801.20210212
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Mathieu Le Coq, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
OCCHIPINTI ; HAAS, avocats


Lecture du vendredi 12 février 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Mme E... D... et M. H... B..., agissant tant en leur nom propre qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur M. G... B..., Mme A... D..., Mme F... I... et M. G... B... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Colomiers à leur verser la somme totale de 260 000 euros en réparation du préjudice subi en raison du décès du jeune C... B..., survenu le 23 décembre 2010 après un arrêt cardiaque survenu, le 17 décembre 2010, pendant la pause méridienne, dans la cour de l'école Jules Ferry à Colomiers où il était scolarisé.

Par un jugement avant-dire droit n° 1402376 du 2 novembre 2016, le tribunal administratif a ordonné une expertise médicale aux fins d'évaluer le taux de perte de chance d'éviter le décès de l'enfant C... B..., résultant du délai écoulé entre son malaise et l'appel des services de secours, qu'il a jugé constitutif d'un défaut d'organisation du service, ainsi que les séquelles qu'il aurait conservées.

Par un jugement n° 1402376 du 3 octobre 2017, le tribunal administratif a rejeté la requête de Mme D... et autres.

Par un arrêt n°s 16BX03795 et 17BX03717 du 13 février 2019, la cour administrative de Bordeaux a, sur appel de la commune de Colomiers et de la société SMACL Assurances, annulé le jugement avant-dire droit du 2 novembre 2016 et rejeté l'appel formé par Mme D... et autres contre le jugement du 3 octobre 2017.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 avril et 15 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Colomiers la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Occhipinti, avocat de Mme E... D..., de M. H... B..., de Mme A... D..., de M. G... B... et de Mme F... I... et à Me Haas, avocat de la société mutuelle d'assurances des collectivités locales (SMACL) et de la commune de Colomiers ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le jeune C... B..., âgé de six ans et demi, a été victime d'un arrêt cardiaque le 17 décembre 2010 alors qu'il se trouvait dans la cour de l'école Jules Ferry à Colomiers (Haute-Garonne) avant d'entrer à la cantine. En dépit des soins qui lui ont été prodigués sur place par les personnels de l'école puis par les services de secours, la reprise de l'activité électrique du coeur de l'enfant n'a été obtenue qu'une heure après son malaise et il est décédé le 23 décembre suivant au centre hospitalier universitaire de Toulouse des suites des lésions cérébrales irréversibles causées par la privation prolongée d'oxygène.

2. Par un jugement avant-dire droit du 2 novembre 2016, le tribunal administratif de Toulouse a jugé qu'aucun défaut de surveillance des élèves ne pouvait être retenu mais que le délai entre le constat du malaise du jeune C... et l'appel des secours avait été excessif et caractérisait un défaut d'organisation du service. Il a ordonné une expertise aux fins d'évaluer le taux de perte de chance d'éviter le décès de l'enfant liée à ce délai. Par un jugement du 3 octobre 2017, rendu après l'expertise, le tribunal a rejeté la requête de Mme D... et des autres requérants au motif que le préjudice résultant d'une perte de chance de survie de l'enfant n'était pas établi. Sur l'appel de la commune de Colomiers et de la société SMACL Assurances, la cour administrative de Bordeaux a, par un arrêt du 13 février 2019, annulé le jugement avant-dire droit du 2 novembre 2016, rejeté l'appel formé par Mme D... et les autres requérants contre le jugement du 3 octobre 2017 et rejeté leur demande d'indemnisation. Mme D... et les autres requérants se pourvoient en cassation contre cet arrêt.

3. La cour a relevé que, plusieurs minutes après avoir constaté le malaise puis l'arrêt cardiaque dont était victime le jeune C... et entrepris des manoeuvres de réanimation, les personnels de l'école ont alerté les services de secours. En jugeant que le délai ainsi mis pour appeler les secours ne pouvait être regardé comme anormalement long et en en déduisant qu'aucune faute dans l'organisation du service ne pouvait être retenue à l'encontre de la commune de Colomiers, alors qu'il appartenait aux personnels, même s'ils étaient en mesure d'apporter eux-mêmes de premiers secours, d'appeler immédiatement les services de secours, comme le prévoient d'ailleurs toutes les consignes en matière de premier secours, la cour a commis une erreur de qualification juridique.

4. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, Mme D... et les autres requérants sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Les requêtes d'appel de Mme D... et autres, d'une part, et de la commune de Colomiers et de la société SMACL Assurances, d'autre part, présentent à juger des questions identiques. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.

Sur le jugement du 2 novembre 2016 :

7. En premier lieu, aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " la juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant-dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ". D'une part, aucune disposition ni aucun principe n'imposaient à la juridiction saisie, avant d'ordonner d'office une expertise par jugement avant-dire droit, d'en informer les parties afin qu'elles puissent présenter des observations. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'expertise ordonnée par le tribunal administratif afin d'apprécier le taux de perte de chance de survie du jeune C... était utile à la solution du litige dès lors notamment que le précédent rapport d'expertise du 10 juin 2013, établi à la demande de la juridiction pénale, n'abordait cette question que de manière succincte sans déterminer un taux de perte de chance. La commune de Colomiers et la société SMACL Assurances ne sont donc pas fondées à soutenir que le tribunal administratif aurait irrégulièrement ordonné une telle expertise.

8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'un délai d'environ dix minutes s'est écoulé entre le constat du malaise grave du jeune C... et l'appel des secours. La commune de Colomiers et la société SMACL Assurances ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a estimé qu'un tel délai était excessif et en a déduit l'existence d'une faute tenant à un défaut d'organisation du service.

9. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les personnels présents auraient été en nombre insuffisant pour assurer la surveillance des élèves au moment du malaise dont a été victime le jeune C... dans la cour d'école. Il résulte de l'instruction, notamment des témoignages cités dans le rapport d'expertise du 10 juin 2013, que le délai entre le début du malaise de l'enfant et l'arrivée à ses côtés d'un agent a été d'environ deux minutes. Mme D... et les autres requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement avant dire-droit du 2 novembre 2016, le tribunal administratif de Toulouse a écarté l'existence d'une faute tenant à un défaut de surveillance.

Sur le jugement du 3 octobre 2017 :

10. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent Mme D... et autres, il ne ressort pas du rapport d'expertise du 3 mai 2017 que l'expert désigné par le tribunal administratif de Toulouse aux fins d'évaluer le taux de la perte de chance d'éviter le décès du jeune C... liée au délai anormalement long ayant précédé l'appel des secours, aurait outrepassé sa mission en remettant en cause le caractère fautif de ce délai. Il ne ressort pas non plus du jugement du 3 octobre 2017 que le tribunal administratif aurait méconnu la portée de son jugement avant dire-droit du 2 novembre 2016 en statuant à nouveau sur le principe de la responsabilité de la commune de Colomiers et non sur la seule existence d'un préjudice indemnisable.

11. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise du 10 juin 2013 et du 3 mai 2017, que les personnels de l'école, dont certains étaient formés aux gestes de premier secours, ont entrepris, de façon appropriée, un massage cardiaque avec ventilation et utilisé un défibrillateur automatique de l'établissement scolaire. Les services de secours, arrivés sur place quinze minutes après leur appel, ont procédé à des manoeuvres de réanimation pendant trente-cinq minutes jusqu'à obtenir une reprise de l'activité électrique du coeur de l'enfant une heure environ après son arrêt. L'enfant est cependant décédé le 23 décembre suivant au centre hospitalier universitaire de Toulouse des suites des lésions cérébrales survenues pendant l'arrêt cardiaque. Si, faute que les personnels de l'école aient, comme ils auraient dû le faire, appelé les secours dès le constat du malaise grave de l'enfant, un délai excessif s'est écoulé entre le constat du malaise cardiaque et l'appel des services de secours, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 3 mai 2017, que, dans les circonstances particulières de l'espèce, ce délai excessif n'a pas eu d'incidence sur les chances de survie de l'enfant, en raison notamment de la maladie cardiaque génétique dont il était atteint, qui a entraîné une forte résistance aux manoeuvres de réanimation, même réalisées par des équipes spécialisées de secours, et de l'importance du délai écoulé jusqu'à la reprise de l'activité cardiaque, au cours duquel des lésions cérébrales sont apparues, qui sont à l'origine de l'encéphalopathie anoxique ayant conduit au décès de l'enfant après plusieurs jours d'hospitalisation en service de réanimation. Mme D... et les autres requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 3 octobre 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande d'indemnisation.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes dirigées contre les jugements du tribunal administratif de Toulouse des 2 novembre 2016 et 3 octobre 2017 doivent être rejetées.

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La requête et l'appel incident présentés par Mme D... et autres devant la cour administrative d'appel de Bordeaux sont rejetés.
Article 3 : La requête présentée par la commune de Colomiers et la société SMACL Assurances devant la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejetée.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme D... et autres, la commune de Colomiers et la société SMACL Assurances au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme E... D..., à M. H... B...,, à Mme A... D..., à Mme F... I..., à M. G... B..., à la commune de Colomiers et à la société SMACL Assurances.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance-maladie de la Haute-Garonne.


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