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Ariane Web: Conseil d'État 432628, lecture du 29 septembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:432628.20210929

Décision n° 432628
29 septembre 2021
Conseil d'État

N° 432628
ECLI:FR:CECHR:2021:432628.20210929
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Florian Roussel, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du mercredi 29 septembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La ministre des solidarités et de la santé et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ont, sur le fondement de l'article L. 955-22 du code de l'éducation, saisi la juridiction disciplinaire compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et des personnels enseignants de médecine générale d'une plainte disciplinaire à l'encontre de Mme A... B..., professeur des universités-praticien hospitalier. Par une décision du 28 mars 2019, la juridiction disciplinaire a prononcé à l'encontre de Mme B... une sanction de suspension de trois ans, avec privation de 60 % de sa rémunération.

Par un pourvoi sommaire et trois mémoires complémentaires, enregistrés les 15 juillet et 15 octobre 2019 ainsi que les 28 mai et 16 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de rejeter la plainte disciplinaire de la ministre des solidarités et de la santé et de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de la santé publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n°84-135 du 24 février 1984 ;
- le décret n° 86-1053 du 18 septembre 1986 ;
- le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme B... ;

La note en délibéré présentée le 13 septembre 2021 par Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 952-21 du code de l'éducation : " Les membres du personnel enseignant et hospitalier des centres hospitaliers et universitaires (...) exercent conjointement les fonctions universitaire et hospitalière. Ils consacrent à leurs fonctions hospitalières, à l'enseignement et à la recherche la totalité de leur activité professionnelle (...) " et aux termes de l'article L.952-22 du même code : " Les membres du personnel enseignant et hospitalier sont soumis, pour leur activité hospitalière comme pour leur activité universitaire, à une juridiction disciplinaire unique instituée sur le plan national (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 18 septembre 1986 fixant les règles de procédure devant la juridiction disciplinaire instituée par l'article L. 952-22 du code de l'éducation pour les membres du personnel enseignant et hospitalier : " La juridiction disciplinaire instituée par l'article L.952-22 du code de l'éducation est saisie conjointement par le ministre chargé de l'enseignement supérieur et le ministre chargé de la santé ". Enfin, aux termes de l'article 19 du décret du 24 février 1984 portant statut des personnels enseignants hospitaliers des centres hospitaliers universitaires : " Les peines disciplinaires applicables aux personnels titulaires sont : 1° L'avertissement ; 2° Le blâme ; 3° La réduction d'ancienneté d'échelon ; 4° L'abaissement d'échelon ; 5° La suspension avec privation totale ou partielle de la rémunération ; 6° La mise à la retraite d'office ; 7° La révocation avec ou sans suspension des droits à pension ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juridiction disciplinaire compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et des personnels enseignants de médecine générale, que Mme B..., professeure des universités- praticienne hospitalier, a exercé jusqu'au 3 octobre 2017 les fonctions de cheffe du pôle médico-judiciaire du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et est ensuite demeurée, après la suppression de ce pôle, responsable de l'unité de l'institut médico-légal de l'établissement. En raison d'une situation conflictuelle au sein du service placé sous sa responsabilité, le président de l'université et le directeur du CHU ont saisi les ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé en vue de l'engagement de poursuites disciplinaires. Après avoir diligenté une mission d'inspection commune à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR), qui a remis son rapport en mai 2018, les ministres ont, sur le fondement des dispositions citées au point précédent, saisi conjointement la juridiction disciplinaire compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et des personnels enseignants de médecine générale d'une plainte disciplinaire à l'encontre de Mme B.... Par une décision du 28 mars 2019, cette juridiction a prononcé à l'encontre de Mme B... la sanction de suspension de trois ans, avec privation de 60 % de sa rémunération. Mme B... se pourvoit en cassation contre cette décision.

Sur la régularité de la décision attaquée :

3. Aux termes de l'article 2 du décret du 18 septembre 1986 mentionné ci-dessus, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le président désigne, pour chaque affaire, un rapporteur parmi les membres de la juridiction./ (...) / Le rapporteur instruit l'affaire sous le contrôle du président, par tous les moyens propres à éclairer la juridiction./ Il établit un rapport écrit contenant l'exposé des faits et les moyens des parties et le transmet avec le dossier au président./ La convocation devant la juridiction est adressée à l'intéressé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au moins trente jours avant la date fixée pour la séance./ L'intéressé et, éventuellement, son ou ses défenseurs peuvent prendre connaissance au secrétariat de la juridiction du rapport et des pièces du dossier, qui doivent être tenus à leur disposition quinze jours au moins avant la date prévue pour la séance ".

4. En premier lieu, il ressort des pièces de la procédure devant la juridiction disciplinaire que le rapporteur désigné pour instruire le dossier de Mme B... a adressé au président de cette juridiction, le 12 février 2019, un courriel, qui a été joint au rapport mis à la disposition des parties, indiquant que, par ses observations en défense qui venaient d'être produites, l'intéressée se bornait à opposer des dénégations non sérieusement étayées. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'irrégularité, faute pour le rapporteur d'avoir pris en compte ses observations en défense.

5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces de la procédure devant la juridiction disciplinaire que le rapporteur de l'affaire aurait manqué au principe d'impartialité dans l'établissement de son rapport ou qu'il se serait estimé liés par les conclusions du rapport de la mission d'inspection IGAS-IGAENR de mai 2018. Mme B... n'est pas davantage fondée à soutenir que les autres membres de la juridiction auraient, en s'estimant liés par les conclusions de ce rapport, entaché leur décision d'irrégularité.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'attestation datée du 12 mars 2019 signée par l'intéressée, que Mme B... avait eu connaissance à cette date, soit plus de quinze jours avant la séance de la juridiction disciplinaire du 28 mars 2019, de l'ensemble des pièces du dossier soumis à cette juridiction, y compris les procès-verbaux d'audition qui y figuraient. La requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que les dispositions citées au point 3 ci-dessus ou le principe du caractère contradictoire de la procédure auraient été méconnus.

7. En quatrième lieu, la requérante ne saurait utilement soutenir que la méconnaissance du principe d'impartialité par les auteurs du rapport de la mission d'inspection IGAS-IGAENR diligentée par les ministres entache d'irrégularité la décision juridictionnelle qu'elle attaque, ce rapport constituant une pièce du dossier produite par les ministres et soumise au débat contradictoire au vu duquel la juridiction s'est prononcée et dont il appartenait à cette dernière, au vu de ce débat, d'apprécier la valeur probante.

8. Enfin, si Mme B... soutient qu'elle n'a pas eu accès à certains procès-verbaux d'audition qui auraient, selon elle, été dressés par la mission d'inspection IGAS-IGAENR pour l'élaboration de son rapport, la juridiction disciplinaire a statué au vu des seules pièces soumises au débat contradictoire. Par ailleurs, Mme B... ne peut invoquer utilement, pour contester la procédure juridictionnelle, la méconnaissance de l'article L. 311-3 du code des relations entre le public et l'administration et de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905.

Sur le bien-fondé de la décision attaquée :

9. En premier lieu, aux termes du IV de l'article 25 septiès de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général de la fonction publique, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le fonctionnaire peut être autorisé par l'autorité hiérarchique dont il relève à exercer à titre accessoire une activité, lucrative ou non, auprès d'une personne ou d'un organisme public ou privé dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui lui sont confiées et n'affecte pas leur exercice. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'Etat : " (...) les fonctionnaires, les agents non titulaires de droit public (...) peuvent être autorisés à cumuler une activité accessoire à leur activité principale, sous réserve que cette activité ne porte pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance ou à la neutralité du service. Cette activité peut être exercée auprès d'une personne publique ou privée. Un même agent peut être autorisé à exercer plusieurs activités accessoires ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Les activités accessoires susceptibles d'être autorisées sont les suivantes : I. - Dans les conditions prévues à l'article 1er du présent décret : 1° Expertise et consultation, sans préjudice des dispositions du 2° du I de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée et, le cas échéant, sans préjudice des dispositions des articles L. 413-8 et suivants du code de la recherche (...) ". Aux termes de son article 4 : " Le cumul d'une activité exercée à titre accessoire mentionnée aux articles 2 et 3 avec une activité exercée à titre principal est subordonné à la délivrance d'une autorisation par l'autorité dont relève l'agent intéressé ". Enfin, aux termes de son article 5 : " Préalablement à l'exercice de toute activité soumise à autorisation, l'intéressé adresse à l'autorité dont il relève qui lui en accuse réception, une demande écrite qui comprend les informations suivantes : (...) 2° Nature, durée, périodicité et conditions de rémunération de cette activité (...) ".

10. Il résulte des termes mêmes de la décision attaquée que la juridiction disciplinaire a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que Mme B... n'a sollicité que le 8 août 2017 une autorisation de cumul d'activité au titre d'une activité accessoire d'expertise, exercée par elle à titre privé depuis plusieurs années. En jugeant que la convention signée en 2002 entre l'intéressée et le CHU de Bordeaux, qui avait pour objet de fixer le montant de la redevance due à cet établissement en contrepartie de l'utilisation des locaux et moyens de l'établissement pour cette activité d'expertise, ne dispensait pas Mme B... de l'obligation de solliciter l'autorisation de cumul requise par les dispositions citées ci-dessus, la juridiction disciplinaire n'a pas commis d'erreur de droit. Elle a pu, par suite, par une décision suffisamment motivée sur ce point et sans inexactement qualifier les faits, juger que le retard mis par Mme B... à solliciter une autorisation de cumul d'activité revêtait un caractère fautif.

11. Si la requérante soutient également, sur ce point, que la décision qu'elle attaque est insuffisamment motivée et entachée d'erreur de droit en ce qu'elle juge que cette convention conclue en 2002 avec le CHU était devenue caduque à la suite de la réforme de la médecine légale en 2011, ces moyens, qui sont dirigés contre des motifs retenus par la juridiction disciplinaire à titre surabondant, sont inopérants.

12. En second lieu, aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...). Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".

13. En estimant, au vu de l'ensemble des pièces du dossier qui lui était soumis et notamment du rapport de la mission d'inspection IGAS-IGAENR, que Mme B... avait entretenu pendant de longues années, au sein du pôle médico-judiciaire du CHU de Bordeaux dont elle avait la responsabilité, un climat d'intimidation et de tension, en particulier en faisant subir à trois praticiens hospitaliers ainsi qu'à quatre jeunes médecins des conditions de travail dégradantes, des mesures vexatoires et des mises en cause personnelles dénuées de justification, aux fins de les isoler de leur communauté de travail et de les inciter à demander leur mutation, la juridiction disciplinaire, qui a suffisamment motivé sa décision, a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation. En jugeant ensuite que ces faits excédaient l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique et qu'elle s'était rendue coupable de harcèlement moral, manquant en outre à son obligation de confraternité fixée par l'article R. 4127-56 du code de la santé publique, la juridiction disciplinaire a exactement qualifié ces mêmes faits et n'a pas commis d'erreur de droit. Par suite, en infligeant à Mme B... une sanction de suspension de trois ans avec privation de 60 % de sa rémunération, la juridiction disciplinaire, qui a suffisamment motivé sa décision sur ce point également et s'est prononcée, contrairement à ce qui est soutenu, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire qui lui était soumise, n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas davantage, compte tenu de la durée au cours de laquelle ont été réitérés les agissements litigieux, du nombre d'agents qui en ont été victimes et de la position hiérarchique de l'intéressée, infligé à celle-ci une sanction hors de proportion avec les manquements reprochés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée. Par suite, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent également qu'être rejetées.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme B... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., au ministre des solidarités et de la santé et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.


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