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Ariane Web: Conseil d'État 440845, lecture du 10 décembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:440845.20211210

Décision n° 440845
10 décembre 2021
Conseil d'État

N° 440845
ECLI:FR:CECHR:2021:440845.20211210
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Cyril Martin de Lagarde, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
CABINET ROUSSEAU ET TAPIE, avocats


Lecture du vendredi 10 décembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. P... B..., son épouse Mme L... B... et leurs enfants M. D... B... et Q... B... ont saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande indemnitaire en réparation du préjudice subi par M. P... B..., fonctionnaire du ministère de l'intérieur, dans l'exercice de ses fonctions. Par une ordonnance n° 1704682 du 24 septembre 2019, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.

Par une ordonnance n° 19BX04538 du 20 janvier 2020, le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. B..., son épouse et leurs enfants contre cette ordonnance.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mai et 25 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B..., son épouse et leurs enfants demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme B... et autres ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. P... B..., secrétaire administratif de classe normale du cadre national des préfectures, a été victime le 5 mars 2003 sur son lieu de travail d'un accident reconnu imputable au service. M. et Mme B... et leurs enfants ont formé le 26 avril 2017 une demande tendant à l'indemnisation de leurs préjudices respectifs subis du fait de cet accident de service et de la faute imputable au ministre de l'intérieur dans l'organisation du service. Cette demande ayant été implicitement rejetée, ils ont saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande indemnitaire. Par une ordonnance du 24 septembre 2019, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande comme manifestement irrecevable pour tardiveté en application du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance du 20 janvier 2020 faisant application du dernier alinéa de ce même article, le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté leur appel formé contre cette ordonnance.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception. / (...). " Selon l'article R. 112-5 de ce code, l'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 " indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision ". L'article L. 112-6 du même code dispose que : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. / (...) ". Enfin, son article L. 112-2 dispose que les articles précités " ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents. " Le litige entre l'administration et les membres de la famille d'un fonctionnaire aux fins de réparation des préjudices propres, qu'ils estiment avoir subis du fait de l'accident de service de leur conjoint, père ou mère, ne saurait être regardé comme un litige entre l'administration et l'un de ses agents au sens et pour l'application de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration. Les dispositions précitées de l'article L. 112-6 leur sont par suite applicables.

3. En deuxième lieu, une requête indemnitaire émanant de plusieurs requérants est recevable si les conclusions qu'elle comporte présentent entre elles un lien suffisant. Dès lors, la circonstance que de telles conclusions soient soumises à des conditions de recevabilité différentes n'est pas de nature à faire obstacle à l'examen, dans une même instance, de leur recevabilité respective.

4. Il résulte de ce qui a été dit aux point 2 et 3 qu'en jugeant tardives les conclusions indemnitaires présentées, dans une même demande, par Mme B... et ses enfants en vue de la réparation de leurs propres préjudices consécutifs à l'accident de service de M B..., dont il n'était pas contesté qu'elles présentaient un lien suffisant avec les conclusions présentées par ce dernier dans cette demande, au motif que les conditions de déclenchement du délai de recours contentieux prévues à l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration ne leur étaient pas applicables, la cour a commis une erreur de droit. C'est en revanche sans erreur de droit que la cour a jugé par le même motif que les conclusions de M. B..., fonctionnaire, étaient tardives et, par suite, irrecevables.

5. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance qu'ils attaquent qu'en tant qu'elle a statué sur les conclusions de Mme B... et de ses enfants.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 2 000 euros à verser à Mme L... B..., M. D... B... et Mme I... B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle, s'agissant de la demande présentée au même titre pour M. P... B..., à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulée en tant qu'elle a statué sur les conclusions de Mme L... B..., M. D... B... et Mme I... B....
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : L'Etat versera à Mme L... B..., M. D... B... et Mme I... B... une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. P... B..., Mme L... B..., M. D... B..., Mme I... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. J... H..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre; Mme A... P..., M. F... G..., Mme M... C..., M. N... E..., Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Cyril Martin de Lagarde
La secrétaire :
Signé : Mme K... O...


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