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Ariane Web: Conseil d'État 440079, lecture du 2 mars 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:440079.20220302

Décision n° 440079
2 mars 2022
Conseil d'État

N° 440079
ECLI:FR:CECHR:2022:440079.20220302
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Pierre Vaiss, rapporteur
M. Frédéric Dieu, rapporteur public
SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, avocats


Lecture du mercredi 2 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

La société Distaff a demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux de condamner la commune de Saint-Affrique à lui verser une indemnité de 11 736 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de sa réclamation préalable, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison des fautes commises par la commune en délivrant illégalement un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à un concurrent, en tardant à retirer ce permis de construire illégal et en ne s'opposant pas à la vente au déballage organisée par ce concurrent. Par un arrêt n° 18BX00281 du 27 février 2020, la cour administrative d'appel a rejeté sa requête.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 avril et 15 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Distaff demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Affrique la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Vaiss, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Distaff et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la commune de Saint Affrique ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société HJC a sollicité la délivrance d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de l'extension de 630 m² d'un supermarché à l'enseigne " Carrefour market " d'une surface de vente de 2 295 m², exploité par la société Sotourdi sur le territoire de la commune de Saint-Affrique. La commission départementale d'aménagement commercial de l'Aveyron a émis un avis favorable le 13 mai 2015. Par arrêté du 11 juin 2015, le maire de Saint-Affrique a délivré le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sollicité. A cette date toutefois, la Commission nationale d'aménagement commercial avait été saisie, par la société Distaff qui exploite dans la même commune un supermarché sous une enseigne concurrente, par une autre société et par le préfet de l'Aveyron de plusieurs recours en date des 4, 5 et 11 juin. Elle a émis un avis défavorable au projet d'extension le 10 septembre 2015. Le 6 janvier 2016, le maire de Saint-Affrique a retiré son arrêté du 11 juin 2015. La société Distaff se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 février 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à la condamnation de la commune de Saint-Affrique à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la délivrance à la société HJC d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale illégal, du retrait tardif de ce permis illégal et de son absence d'opposition à la déclaration de vente au déballage déposée par la société Sotourdi pour la période du 13 avril au 13 juin 2015.

2. En premier lieu, il résulte des dispositions combinées de l'article L. 752-17 du code de commerce et de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme qu'un permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être légalement délivré que sur avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial compétente ou, le cas échéant, sur avis favorable de la Commission nationale d'aménagement commercial. Dans le cas où l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial fait l'objet d'un recours devant la commission nationale, le troisième alinéa de l'article R. 752-32 du code de commerce prévoit que : " Pour les projets nécessitant un permis de construire, dans les sept jours francs suivant la réception du recours, le secrétariat de la commission nationale informe, par tout moyen, l'autorité compétente en matière de permis de construire du dépôt du recours ". Par ailleurs, le deuxième alinéa de l'article R. 752-42 du même code dispose qu'en cas d'auto-saisine de la commission nationale, son président notifie la décision de se saisir d'un projet " (...) au préfet du département de la commune d'implantation, au demandeur et, si le projet nécessite un permis de construire, à l'autorité compétente en matière de permis de construire ". Ces dispositions ont pour effet d'organiser l'information de l'autorité compétente en matière de permis de construire, dans tous les cas où l'avis de la commission départementale compétente est porté devant la Commission nationale d'aménagement commercial. Ainsi, en cas de recours introduit devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale compétente, ou en cas d'auto-saisine de la commission nationale, l'autorité compétente pour délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, qui bénéficie d'un délai d'instruction prolongé de cinq mois en vertu des dispositions de l'article R. 423-36-1 du code de l'urbanisme, doit attendre l'intervention de l'avis, exprès ou tacite, de la commission nationale pour délivrer le permis. En effet, cet avis se substituant à l'avis de la commission départementale, le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ne saurait légalement intervenir avant qu'il ait été rendu.

3. Il ressort des énonciations non contestées sur ce point de l'arrêt de la cour administrative d'appel que le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale a été accordé le 11 juin 2015 par le maire de Saint-Affrique alors que la Commission nationale d'aménagement commercial était saisie de plusieurs recours contre l'avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial. Il résulte en conséquence de ce qui est dit au point 2 que le permis était illégal pour ce motif et qu'il convient de le substituer d'office au motif erroné retenu par la cour administrative d'appel, tiré de l'absence d'avis favorable de la Commission nationale d'aménagement commercial. Par suite, la société Distaff ne peut utilement soutenir, ni que le motif retenu par la cour serait entaché d'insuffisance de motivation, ni qu'en se fondant sur un tel motif, la cour aurait méconnu la portée de ses écritures.

4. En deuxième lieu, la cour ayant jugé que l'illégalité de la décision du 11 juin 2015 accordant à la société HJC un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale constituait une faute de nature à engager, en l'espèce, la responsabilité de la commune de Saint-Affrique à l'égard de la société Distaff, et à ouvrir droit à la réparation des préjudices de toute nature ayant pu en résulter directement, la circonstance que le maire de Saint-Affrique aurait tardé à procéder au retrait du permis illégal, à la supposer établie, était seulement susceptible d'être prise en compte dans l'évaluation du préjudice invoqué par la société Distaff. Par suite, les moyens de la société Dispaf dirigés contre le motif, par ailleurs surabondant, par lequel la cour, après avoir admis que la responsabilité de la commune était engagée, a jugé qu'il ne résultait pas de l'instruction que le délai de retrait du permis de construire aurait été excessif et constitutif à ce titre d'une autre faute commise par la commune, sont inopérants.

5. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment d'une ordonnance du 27 mars 2015 du juge des référés du tribunal de commerce de Rodez et d'un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 6 juillet 2017, qu'il avait été ordonné à la société Sotourdi de cesser l'exploitation de ses surfaces de ventes non encore autorisées, sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard au bénéfice de la société Distaff, et que dès le 13 avril 2015, la société Sotourdi a interdit l'accès du public aux zones concernées de son magasin. En jugeant que le préjudice invoqué par la société Distaff, tiré du rejet de sa demande de liquidation de l'astreinte par la cour d'appel de Montpellier, ne présentait pas de lien avec la délivrance illégale, le 11 juin 2015, d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la société HJC, la cour administrative d'appel de Bordeaux a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation. En jugeant également, après avoir relevé qu'il résultait de l'instruction que le résultat d'exploitation du magasin " Super U " exploité par la société Distaff était durablement négatif et que l'évolution du chiffre d'affaires, continuellement inférieur aux prévisions de son étude de marché, n'avait pas connu d'évolution particulière entre le 11 juin 2015 et le 6 janvier 2016, que la perte d'exploitation et la perte de valeur vénale de son fonds de commerce invoquées par la société Distaff ne présentaient pas de lien direct et certain avec la faute commise par la commune de Saint-Affrique, la cour n'a pas davantage dénaturé les pièces du dossier ni inexactement qualifié les faits.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Distaff n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque et que son pourvoi doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Saint-Affrique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Distaff est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Saint-Affrique présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Distaff et à la commune de Saint-Affrique.
Délibéré à l'issue de la séance du 14 février 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A... N..., Mme E... M..., présidentes de chambre ; M. K... H..., Mme J... L..., Mme B... G..., M. C... I..., Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat et M. Pierre Vaiss, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 2 mars 2022.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Pierre Vaiss
La secrétaire :
Signé : Mme D... F...


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