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Ariane Web: Conseil d'État 449460, lecture du 11 mars 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:449460.20220311

Décision n° 449460
11 mars 2022
Conseil d'État

N° 449460
ECLI:FR:CECHR:2022:449460.20220311
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Ophélie Champeaux, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD ; SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats


Lecture du vendredi 11 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) SMA Environnement a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations primitives et supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2013 dans les rôles de la commune de La Fare-les-Oliviers (Bouches-du-Rhône). Le directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône a soumis d'office à ce tribunal, en application de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales, les réclamations formées par la même société contre les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties mises à sa charge au titre des années 2014 et 2015.

Par un jugement nos 1405368, 1406046, 1408272, 1509562 du 7 juillet 2016, ce tribunal, d'une part, a prononcé la décharge des cotisations de taxe foncière en litige au titre des années 2010 à 2015 et, d'autre part, les a mises à la charge de la métropole Aix-Marseille-Provence, venant aux droits de la communauté d'agglomération Agglopole Provence.

Par une décision n° 404410 du 4 mai 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la métropole d'Aix-Marseille-Provence, a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire au même tribunal.

Par un jugement nos 1803816, 1803817, 1803818, 1803819 du 4 décembre 2020, ce tribunal, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a prononcé la réduction des bases de la taxe foncière à laquelle la société SMA Environnement a été assujettie au titre des années 2011 à 2015 à raison des terrains et constructions mis à sa disposition en vertu du bail emphytéotique du 15 décembre 2005 et prononcé la décharge correspondante, mis cette taxe à la charge de la métropole Aix-Marseille-Provence et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 février et 6 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SMA Environnement demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 6 de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la société SMA Environnement ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société SMA Environnement a contesté les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2015 à raison d'un centre d'enfouissement technique des déchets qu'elle exploite à La Fare-les-Oliviers (Bouches-du-Rhône) dans le cadre d'un bail emphytéotique administratif assorti d'une délégation de service public, conclu avec la communauté d'agglomération Agglopole Provence. Elle se pourvoit en cassation contre le jugement du 4 décembre 2020 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de cette taxe s'agissant des constructions édifiées par elle sur le terrain objet du bail emphytéotique.

2. Aux termes du I de l'article 1400 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 1403 et 1404, toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire actuel. ".

3. Dans le cadre d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, à la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition. Lorsque des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, et ainsi constitutifs d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service, sont établis sur la propriété d'une personne publique, ils relèvent de ce fait du régime de la domanialité publique. La faculté offerte aux parties au contrat d'en disposer autrement ne peut s'exercer, en ce qui concerne les droits réels dont peut bénéficier le cocontractant sur le domaine public d'une collectivité territoriale, que selon les modalités et dans les limites définies aux articles L. 1311-2 à L. 1311-8 du code général des collectivités territoriales, entrés en vigueur le 1er juillet 2006, et à condition que la nature et l'usage des droits consentis ne soient pas susceptibles d'affecter la continuité du service public.

4. Pour juger que la société SMA Environnement devait être regardée, au sens et pour l'application du I de l'article 1400 du code général des impôts cité ci-dessus, comme propriétaire des constructions réalisées en cours d'exécution du bail emphytéotique administratif, le tribunal, se référant aux règles de droit civil applicables aux contrats de bail, s'est fondé sur ce que celui-ci n'attribuait pas au bailleur, avant la fin du contrat, la propriété des constructions et aménagements réalisés par le preneur. En statuant ainsi, s'agissant de biens établis sur le domaine public dont il n'était pas contesté qu'ils sont nécessaires au fonctionnement du service public, et par suite propriété de la personne publique délégante, le tribunal a commis une erreur de droit.

5. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, la société SMA Environnement est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque en tant qu'il a rejeté sa demande de décharge de la taxe établie à raison des constructions et aménagements qu'elle a réalisés.

6. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la communauté d'agglomération Agglopole Provence, aux droits de laquelle vient la métropole Aix-Marseille-Provence, est devenue propriétaire des biens en cause, au sens et pour l'application du I de l'article 1400 du code général des impôts, dès leur construction.

8. Toutefois, le II du même article dispose par ailleurs : " Lorsqu'un immeuble est (...) loué (...) par bail emphytéotique, (...) la taxe foncière est établie au nom (...) de l'emphytéote (...) ".

9. Aux termes de l'article 1402 du même code : " Les mutations cadastrales consécutives aux mutations de propriété sont faites à la diligence des propriétaires intéressés. Aucune modification à la situation juridique d'un immeuble ne peut faire l'objet d'une mutation si l'acte ou la décision judiciaire constatant cette modification n'a pas été préalablement publié au fichier immobilier ". Aux termes de l'article 1403 du même code : " Tant que la mutation cadastrale n'a pas été faite, l'ancien propriétaire continue à être imposé au rôle, et lui ou ses héritiers naturels peuvent être contraints au paiement de la taxe foncière, sauf leur recours contre le nouveau propriétaire ". Il résulte de ces dispositions que sont seulement opposables à l'administration fiscale, pour la détermination du redevable légal de la taxe foncière sur le fondement du II de l'article 1400 du code général des impôts, les modifications apportées aux droits du dernier propriétaire apparent, tel qu'il figure au fichier immobilier, qui ont elles-mêmes été publiées à ce fichier.

10. Il résulte de l'instruction que le bail emphytéotique administratif n'a pas été publié au fichier immobilier au cours des années en cause. Dès lors, la qualité d'emphytéote de la société SMA Environnement ne permet pas de la regarder comme la redevable légale de la taxe foncière.

11. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la société SMA Environnement est fondée à soutenir que c'est à tort qu'elle a été assujettie à des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2011 à 2015 à raison des constructions qu'elle a réalisées sur le terrain faisant l'objet du bail emphytéotique administratif du 15 décembre 2005. Il y a lieu de la décharger en conséquence.

12. D'autre part, la communauté d'agglomération Agglopole Provence étant propriétaire, au 1er janvier des années d'imposition en litige, des constructions réalisées par la société SMA Environnement, elle doit être désignée redevable légale des impositions en litige. Il y a lieu, en conséquence, de mettre les cotisations correspondantes à la charge de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, venant à ses droits.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la société SMA Environnement qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'article 6 du jugement du 4 décembre 2020 du tribunal administratif de Marseille est annulé, en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société SMA Environnement.
Article 2 : La société SMA Environnement est déchargée des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2015 à raison des constructions qu'elle a réalisées sur le terrain faisant l'objet du bail emphytéotique du 15 décembre 2005.

Article 3 : Les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties établies au titre des années 2011 à 2015 à raison des constructions réalisées par la SMA Environnement sur le terrain faisant l'objet du bail emphytéotique du 15 décembre 2005 sont mises à la charge de la métropole d'Aix-Marseille-Provence.
Article 4 : L'Etat versera à la société SMA Environnement une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de la métropole Aix-Marseille-Provence au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée SMA Environnement, à la métropole Aix-Marseille-Provence et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 février 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. I... C..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. G... K..., M. D... J..., M. A... L..., M. H... F..., M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 11 mars 2022.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme B... E...



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