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Ariane Web: Conseil d'État 450930, lecture du 2 novembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:450930.20221102

Décision n° 450930
2 novembre 2022
Conseil d'État

N° 450930
ECLI:FR:CECHR:2022:450930.20221102
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SARL DIDIER-PINET ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du mercredi 2 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Quai Sud a demandé au tribunal administratif de Rouen de la décharger du paiement des sommes, d'un montant total de 232 200,46 euros, dont l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) lui a réclamé le paiement par l'émission de titres exécutoires les 1er et 25 juillet 2016, 9 février et 6 juillet 2017. Par un jugement n°s 1703056,1801721 du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 19DA02154 du 4 février 2021, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de la société Quai Sud, annulé ce jugement, déchargé la société Quai Sud de la moitié du montant des titres exécutoires et rejeté le surplus de sa requête.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 22 mars et 26 mai 2021 et 18 mai et 13 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'INRAP demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Quai Sud ;

3°) de mettre à la charge de la société Quai Sud la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du patrimoine ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'INRAP et à la SARL Didier-Pinet, avocat de la société Quai Sud ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par des arrêtés des 28 juin et 13 octobre 2015, le préfet de la région Haute-Normandie a prescrit à la société Quai Sud la réalisation de fouilles archéologiques préventives sur des terrains situés à Dieppe, préalablement à la construction d'un complexe immobilier. Le 25 novembre 2015, la société Quai Sud a conclu une convention de fouilles archéologiques avec l'INRAP pour un prix fixé, pour la tranche ferme, à 298 730,30 euros H.T. A la suite de la découverte d'une pollution des sols, les services de l'Etat ont prescrit, par un courrier du 14 avril 2016, une modification des conditions de réalisation des fouilles. Après l'achèvement des opérations de fouilles, la société Quai Sud a sollicité, en vain, de l'INRAP, une diminution du prix. La société Quai Sud refusant d'acquitter certaines factures, des titres de perception ont été émis à son encontre. Par un jugement du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de la société Quai Sud tendant à ce qu'elle soit déchargée du paiement de ces sommes. Eu égard aux moyens qu'il invoque, l'INRAP doit être regardé comme se pourvoyant en cassation contre l'arrêt du 4 février 2021 de la cour administrative d'appel de Douai en tant qu'elle a, sur appel de la société Quai Sud, déchargé cette société de la moitié du montant des titres exécutoires.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 522-1 du code du patrimoine, dans sa version applicable au contrat en litige : " L'Etat veille à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social. Il prescrit les mesures visant à la détection, à la conservation ou à la sauvegarde par l'étude scientifique du patrimoine archéologique, désigne le responsable scientifique de toute opération d'archéologie préventive et assure les missions de contrôle et d'évaluation de ces opérations. " Aux termes de l'article L. 523-9 du même code : " Le contrat passé entre la personne projetant d'exécuter les travaux et la personne chargée de la réalisation des fouilles fixe, notamment, le prix et les délais de réalisation de ces fouilles ainsi que les indemnités dues en cas de dépassement de ces délais. / L'Etat autorise les fouilles après avoir contrôlé la conformité du contrat mentionné au premier alinéa avec les prescriptions de fouilles édictées en application de l'article L. 522-2 / L'opérateur exécute les fouilles conformément aux décisions prises et aux prescriptions imposées par l'Etat et sous la surveillance de ses représentants, en application des dispositions du présent livre (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 523-42 du code du patrimoine, dans sa version applicable au contrat en litige : " Les opérations de fouilles peuvent être confiées à l'Institut national de recherches archéologiques préventives, à un service archéologique territorial agréé ou à toute autre personne titulaire de l'agrément prévu à la section 4 du chapitre II du présent titre. " Aux termes de l'article R. 523-44 de ce code : " L'aménageur conclut avec l'opérateur un contrat qui définit le projet scientifique d'intervention et les conditions de sa mise en oeuvre. Ce projet détermine les modalités de la réalisation de l'opération archéologique prescrite, notamment les méthodes et techniques employées et les moyens humains et matériels prévus. Il est établi par l'opérateur sur la base du cahier des charges scientifique (...) ". Aux termes de l'article R. 523-47 du même code : " Lorsque le déroulement des opérations fait apparaître la nécessité d'une modification substantielle du projet scientifique d'intervention, un projet révisé est soumis au préfet de région, qui dispose d'un délai de quinze jours pour l'approuver ou en demander la modification. A défaut de notification d'une décision dans ce délai, le projet révisé est réputé refusé. / En cas de découvertes survenues pendant l'opération conduisant à remettre en cause les résultats du diagnostic et les données scientifiques du cahier des charges, le préfet de région peut formuler des prescriptions complémentaires. / Les modifications et prescriptions complémentaires mentionnées aux alinéas précédents ne peuvent conduire à modifier l'économie générale du contrat mentionné à l'article R. 523-44 ". Enfin, selon l'article R. 523-60 : " Les opérations d'archéologie préventive sont exécutées sous le contrôle des services de l'Etat. L'aménageur et l'opérateur de l'intervention archéologique sont tenus de faire connaître aux services intéressés les dates de début et de fin du diagnostic des fouilles, au moins cinq jours ouvrables avant le début de l'opération. / Les observations du représentant de l'Etat formulées à l'issue des visites de contrôle ou réunions de chantier sont communiquées par écrit à l'opérateur et au responsable scientifique, ainsi que, dans le cas des fouilles, à l'aménageur. / L'aménageur, l'opérateur et le responsable scientifique de l'opération assurent, chacun pour ce qui le concerne, la mise en oeuvre effective des observations et des instructions du représentant de l'Etat. "

4. En application des dispositions citées aux points précédents, le contrat conclu entre l'aménageur qui projette de réaliser des travaux et l'opérateur chargé de la réalisation des fouilles, qui a pour objet l'exécution des prescriptions édictées par l'Etat, doit être élaboré et exécuté conformément à ces dernières et sous le contrôle des services de l'Etat, y compris lorsque les prescriptions sont modifiées au cours de l'exécution du contrat. En revanche, il ne résulte pas de ces dispositions que la modification de ces prescriptions entraînerait, par elle-même et sans l'intervention des parties, la modification de leur contrat. Par suite, en jugeant que les prescriptions complémentaires émises par le représentant de l'Etat pour réduire le périmètre des opérations de fouilles avait eu pour effet de modifier le contrat dans un sens conforme à ces nouvelles prescriptions, alors qu'elles ouvraient seulement la possibilité pour les parties de modifier les termes du contrat, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit. L'INRAP est, par suite fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il lui fait grief.

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'INRAP qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Quai Sud la somme de 3 000 euros à verser à l'INRAP, au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 4 février 2021 est annulé en tant qu'il a fait partiellement droit à la requête d'appel de la société Quai Sud.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : La société Quai Sud versera une somme de 3 000 euros à l'INRAP au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au même titre par la société Quai Sud sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Institut national de recherches archéologiques préventives et à la société Quai Sud.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 juillet 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, Mme Anne Courrèges, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. François Lelièvre, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 2 novembre 2022.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :
Signé : M. François Lelièvre

La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat



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