Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 457565, lecture du 18 novembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:457565.20221118

Décision n° 457565
18 novembre 2022
Conseil d'État

N° 457565
ECLI:FR:CECHR:2022:457565.20221118
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du vendredi 18 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 octobre 2021, 17 janvier 2022 et 6 juillet 2022 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 5 août 2021 par lequel le Président de la République a prononcé à son encontre la sanction de la mise à la retraite d'office ;

2°) d'enjoindre au Président de la République de le réintégrer dans le corps de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche dans les quinze jours de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret n° 2002-53 du 10 janvier 2002 ;
- le décret n° 2019-1001 du 27 septembre 2019 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M. B... ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B..., inspecteur général de la jeunesse et des sports de 1ère classe, a exercé, de mars 2013 à mars 2017, les fonctions de directeur général de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP). Par décret du 22 septembre 2019, le Président de la République a prononcé à son encontre la sanction de la mise à la retraite d'office, pour des faits tenant à la prise en charge par l'INSEP des frais de séjour à Rio de Janeiro, à l'occasion des Jeux olympiques, de personnes étrangères à cet établissement. Par une décision n° 435946 du 28 janvier 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cette sanction en raison d'un vice de procédure. En exécution de cette décision, M. B... a été réintégré dans son corps d'origine par un décret du 25 mars 2021 et reclassé dans le corps de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), créé par le décret du 27 septembre 2019 relatif au statut particulier de ce corps. Une nouvelle procédure disciplinaire a été engagée à son encontre le 27 mai 2021, à l'issue de laquelle le Président de la République a prononcé une nouvelle sanction de mise à la retraite d'office, par décret du 5 août 2021. Par la présente requête, M. B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir ce dernier décret.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. En premier lieu, le premier alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, devenu l'article L. 532-1 du code général de la fonction publique, dispose que : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination ". L'article 67 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, devenu l'article L. 532-3 du même code dispose que : " (...) La délégation du pouvoir de nomination emporte celle du pouvoir disciplinaire. Toutefois, le pouvoir de nomination peut être délégué indépendamment du pouvoir disciplinaire. Il peut également être délégué indépendamment du pouvoir de prononcer les sanctions des troisième et quatrième groupes. Le pouvoir de prononcer les sanctions du premier et du deuxième groupe peut être délégué indépendamment du pouvoir de nomination (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret du 27 septembre 2019 relatif au statut particulier du corps de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, ses membres sont nommés par le Président de la République. Aux termes de l'article 2 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat, dans sa version alors en vigueur, l'organisme siégeant en conseil de discipline, qui doit être consulté pour les sanctions disciplinaires autres que celles classées dans le premier groupe, est saisi par un rapport émanant de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire ou d'un chef de service déconcentré ayant reçu délégation de compétence à cet effet. Enfin, aux termes de l'article 5 du décret portant statut particulier du corps de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche : " Les ministres chargés de l'éducation, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de la jeunesse et des sports prononcent à l'encontre des inspecteurs généraux de l'éducation, du sport et de la recherche les sanctions disciplinaires du premier et du deuxième groupe dans les conditions prévues à l'article 67 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. Ils sont également compétents pour signer le rapport prévu à l'article 2 du décret du 25 octobre 1984 susvisé. "

3. Il ressort des pièces du dossier que le rapport de saisine de la commission administrative paritaire de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche concernant M. B... a été signé par la cheffe de l'inspection générale, par délégation du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et du ministre de la recherche, de l'enseignement supérieur et de l'innovation, comme le permettent les dispositions ci-dessus reproduites de l'article 5 du décret du 27 septembre 2019. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire du rapport de saisine de la commission administrative paritaire ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, ni la circonstance que la cheffe de l'inspection générale ait signé le rapport de saisine de la commission administrative paritaire, qui concluait que les faits reprochés à M. B... justifiaient l'engagement d'une procédure disciplinaire, ni celle qu'elle ait décidé de limiter l'indemnisation du préjudice résultant pour le requérant de l'illégalité du décret du 22 septembre 2019 à ce qui résultait du vice de procédure dont il était entaché ne faisaient obstacle à ce qu'elle pût régulièrement présider la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait, dans la conduite des débats, manqué à l'impartialité requise ou manifesté une animosité particulière à l'égard de l'intéressé.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de M. B..., qui a conduit au prononcé de la sanction de mise à la retraite d'office, a été prise au vu d'un rapport de contrôle des comptes et de la gestion de l'INSEP de la Cour des comptes et d'un rapport de l'inspection générale de la jeunesse et des sports. Le requérant ne saurait utilement soutenir que la méconnaissance du principe d'impartialité par l'un des auteurs du rapport de l'inspection générale, dont la mission ne constitue pas une phase de la procédure disciplinaire, affecterait la régularité de cette procédure et entacherait d'illégalité le décret attaqué.

6. En quatrième lieu, à supposer établie la circonstance que le rapport de l'inspection générale de la jeunesse et des sports ne se prononce pas sur certains faits susceptibles d'amoindrir la responsabilité de M. B..., ce dernier, qui n'assortit d'aucune précision l'affirmation selon laquelle il n'aurait pu avoir accès à certaines informations propres à relativiser sa responsabilité, a pu, tout au long de la procédure disciplinaire, faire valoir les éléments de nature à atténuer les fautes susceptibles de lui être reprochées. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les omissions du rapport l'inspection générale auraient porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense et à l'égalité des armes doit, en tout état de cause, être écarté.

7. Enfin, selon le troisième alinéa l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, devenu L. 532-4 du code général de la fonction publique, " le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes ".

8. Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d'un tel agent, l'intéressé doit, en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, être mis à même d'obtenir communication du rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, des procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

9. S'agissant des documents auxquels il est renvoyé dans le corps du rapport de l'inspection générale de la jeunesse et des sports dont M. B... a eu connaissance, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ait sollicité la communication du tableau de liaison entre l'INSEP et le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), intitulé RESA INSEP, daté du 17 juin 2016. D'autre part, le courriel adressé le 2 novembre 2015 par le directeur des sports aux directeurs de cabinet des ministres accompagnait une note recommandant un avis défavorable au projet de formation proposé par M. B..., dont celui-ci a eu communication. Enfin, M. B... a nécessairement eu communication du procès-verbal du conseil d'administration de l'INSEP du 9 décembre 2015, auquel il assistait en tant que directeur général. S'agissant des comptes rendus des auditions par les inspecteurs généraux de la jeunesse et des sports, auteurs du rapport de l'inspection générale, de l'ancien directeur des sports, de l'ancien sous-directeur de la vie fédérale et du sport de haut niveau à la direction des sportifs, du chef du bureau des établissements publics de la direction des sports et des magistrats de la Cour des comptes ayant rédigé le rapport sur les comptes et la gestion de l'INSEP, il ressort des mentions introductives de ce rapport qu'elles n'ont pas fait l'objet de comptes rendus. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que M. B... n'aurait pas reçu communication de l'ensemble de ces pièces en méconnaissance de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 et de ce que la sanction attaquée aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

10. En premier lieu, si la méconnaissance du principe d'impartialité par un organe d'inspection ou de contrôle, à un stade antérieur à la procédure disciplinaire, est susceptible d'avoir une incidence sur l'établissement des faits et sur leur qualification par l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, elle ne saurait suffire, par elle-même, à établir l'inexactitude matérielle des faits qui fondent la sanction ou à caractériser une erreur d'appréciation ou une erreur de droit entachant cette décision. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont établis au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier et, dans l'affirmative, s'ils présentent un caractère fautif de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

11. Il ressort des pièces versées au dossier que M. B... a élaboré un projet de " formation professionnelle continue in situ et accélérée " à destination des responsables de départements et services de l'INSEP consistant à leur permettre d'assister aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro, au Brésil, en août 2016. Sans attendre la réponse du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports et du secrétaire d'Etat aux sports à son courrier du 12 octobre 2015 sollicitant leur approbation pour ce projet, M. B... a effectué, dès le 22 octobre 2015, des réservations définitives d'hébergements auprès du Comité national olympique et sportif français. Alors que, par courrier du 15 janvier 2016 des directeurs de cabinet du ministre et du secrétaire d'Etat, il a été donné un avis défavorable à ce projet, l'INSEP a envoyé aux Jeux olympiques de Rio une délégation de vingt-quatre personnes, dont neuf extérieures à l'INSEP et membres de la famille ou proches de M. B.... Si ces neuf personnes se sont acquittées d'une participation aux frais de déplacement, leurs frais d'hébergement, de billetterie et de restauration correspondant à une présence cumulée de quatre-vingt-quatre jours à Rio ont été pris en charge par l'INSEP à hauteur de 34 813 euros. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... aurait informé les autorités de tutelle des suites apportées à leur avis défavorable. Ainsi qu'il a été dit au point 10, la circonstance que ces faits, qui sont établis par les autres pièces du dossier, en particulier par le rapport de la Cour des comptes, ont été constatés dans le rapport de l'inspection générale de la jeunesse et des sports dont l'un des auteurs se trouvait en situation de conflit d'intérêts est, par elle-même, sans incidence sur leur matérialité. Dès lors, en retenant que M. B... avait décidé de faire bénéficier neuf proches et membres de sa famille d'avantages indus au détriment de l'établissement qu'il dirigeait, et qu'il avait agi à l'insu de l'autorité de tutelle et de manière contraire aux instructions finalement reçues de cette autorité, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne s'est pas fondée sur des faits matériellement inexacts.

12. En deuxième lieu, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. M. B... ne peut ainsi se prévaloir, à l'appui de son recours pour excès de pouvoir, du jugement du 10 septembre 2021 par lequel le tribunal judiciaire de Paris l'a relaxé du chef de détournement de fonds publics faute de démonstration de l'élément intentionnel de ce délit.

13. En troisième lieu, eu égard à la nature des faits relevés au point 11, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne les a pas inexactement qualifiés en estimant qu'ils étaient constitutifs d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.

14. Enfin, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'autorité disciplinaire n'a pas pris, à raison de ces faits fautifs, une sanction disproportionnée en décidant de mettre l'intéressé à la retraite d'office.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du 5 août 2021 lui infligeant la sanction de mise à la retraite d'office. Ses conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent en conséquence qu'être rejetées.


D E C I D E :
--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à la Première ministre.


Voir aussi