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Ariane Web: Conseil d'État 449820, lecture du 2 juin 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:449820.20230602

Décision n° 449820
2 juin 2023
Conseil d'État

N° 449820
ECLI:FR:CECHR:2023:449820.20230602
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Bruno Bachini, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH, avocats


Lecture du vendredi 2 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 127 862 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2014, au titre du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du courrier du maire de Saint-Laurent-du-Var du 8 janvier 2014 indiquant à la société automobile de Provence Kéolis que l'utilisation de la construction et du terrain prévue par le bail commercial conclu avec elle était contraire aux règles du plan local d'urbanisme de la commune.

Par un jugement n° 1402326 du 7 décembre 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18MA00562 du 17 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 février et 17 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Saint-Laurent-du-Var la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de Mme A... et à la SCP Zribi et Texier, avocat de la commune de Saint-Laurent-du-Var ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 17 août 1959, le maire de Saint-Laurent-du-Var a délivré un permis de construire à M. B... A... pour la construction, sur une parcelle d'une superficie de 5 078 m², d'un immeuble comprenant un atelier, des bureaux et des vestiaires-lavabos au rez-de-chaussée, ainsi que des appartements au premier étage. M. A... a exercé sur cette parcelle une activité de concassage, qu'il avait déclarée le 15 avril 1958, avant de créer, en 1973, une société dédiée à cette activité, à laquelle il a consenti un bail commercial. Plusieurs autres baux commerciaux ont été conclus ultérieurement, à la suite du transfert de la propriété de la parcelle à sa fille, Mme C... A.... En 2013, cette dernière a consenti un bail à la société automobile de Provence, appartenant au groupe Kéolis, pour un usage de bureaux, de dépôt et de parc de matériel et de véhicules. Par un courrier du 8 janvier 2014, le maire de Saint-Laurent-du-Var a fait savoir à cette société que son utilisation du terrain en cause, situé dans une zone agricole où seules les occupations ou constructions nécessaires aux biens de l'exploitation agricole sont autorisées, n'était pas conforme aux prescriptions du plan local d'urbanisme approuvé le 21 juin 2013. Invitée à contacter les services de la commune sous peine de faire l'objet d'un procès-verbal d'infraction, la société automobile de Provence Kéolis a alors résilié son contrat de bail, par un courrier adressé à Mme A... le 30 janvier 2014. Par un jugement du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de Mme A... tendant à la condamnation de la commune de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 127 862 euros, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du courrier du maire en date du 8 janvier 2014. Par un arrêt du 17 décembre 2020 contre lequel Mme A... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel formé contre ce jugement.

2. En premier lieu, le maire de Saint-Laurent-du-Var a adressé le courrier du 8 janvier 2014 en agissant en qualité d'autorité de l'Etat, au titre des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme relatif aux modalités de la constatation des infractions aux dispositions des titres Ier, II, III, IV et VI du livre IV du code de l'urbanisme. Toutefois, si Mme A... a dirigé à tort sa demande indemnitaire contre la commune de Saint-Laurent-du-Var alors qu'elle aurait dû la diriger contre l'Etat, cette circonstance ne saurait priver la commune de sa qualité de partie à l'instance, dès lors que l'action indemnitaire avait été formée à son encontre. Par suite, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant recevables les mémoires en défense produits devant elle par la commune.

3. En deuxième lieu, il résulte de ce qui est dit au point précédent que la cour administrative d'appel n'a pas davantage commis d'erreur de droit en mettant à la charge de la requérante, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme à verser à la commune au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

4. En troisième lieu, en mettant en cause l'Etat après avoir implicitement mais nécessairement requalifié les conclusions indemnitaires de la requérante comme étant également dirigées contre lui, la cour administrative d'appel a suffisamment répondu au moyen tiré de l'erreur de droit que le tribunal administratif aurait commise en omettant de transmettre à l'Etat la demande de Mme A....

5. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 123-1-5 du code de l'urbanisme, relatif aux plans locaux d'urbanisme, alors en vigueur : " Le règlement fixe, en cohérence avec le projet d'aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d'utilisation des sols (...) qui peuvent notamment comporter l'interdiction de construire, délimitent les zones urbaines ou à urbaniser et les zones naturelles ou agricoles et forestières à protéger et définissent, en fonction des circonstances locales, les règles concernant l'implantation des constructions. / A ce titre, le règlement peut : / 1° Préciser l'affectation des sols selon les usages principaux qui peuvent en être fait ou la nature des activités qui peuvent y être exercées ; / 2° Définir, en fonction des situations locales, les règles concernant la destination et la nature des constructions autorisées (...) ". Il résulte de ces dispositions que les règlements des plans locaux d'urbanisme peuvent fixer, au titre de l'affectation des sols, la nature des activités susceptibles d'être exercées dans certaines zones.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le permis de construire délivré à M. A... le 17 août 1959, dont la requérante tenait des droits qui ne sauraient être affectés par les dispositions d'un plan local d'urbanisme entrées en vigueur postérieurement à sa date de délivrance, autorisait seulement la construction d'un immeuble comprenant, au rez-de-chaussée, " un atelier, des bureaux et des vestiaires-lavabos " et, au premier étage, " deux appartements ". Dès lors, en jugeant que le courrier par lequel le maire indiquait à la société automobile de Provence Kéolis que le stationnement, sur le terrain appartenant à Mme A... et indépendamment de la construction autorisée par le permis de construire du 17 août 1959, de nombreux bus et autres véhicules, au titre de son activité économique de transport, était contraire aux dispositions de l'article 2 A du règlement du plan local d'urbanisme limitant l'affectation des sols dans cette zone à l'exercice d'activités agricoles n'avait pas méconnu les droits que Mme A... tenait de ce permis de construire, ni porté atteinte au principe général de non-rétroactivité des actes administratifs, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis. Il s'ensuit qu'elle n'a pas davantage entaché son arrêt d'une erreur de droit ni d'une inexacte qualification juridique des faits en jugeant que le maire de Saint-Laurent-du-Var n'avait pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

7. Enfin, aux termes de l'article L. 105-1 du code de l'urbanisme : " N'ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code en matière de voirie, d'hygiène et d'esthétique ou pour d'autres objets et concernant, notamment, l'utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties dans chaque propriété, l'interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies, la répartition des immeubles entre diverses zones. / Toutefois, une indemnité est due s'il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain. Cette indemnité, à défaut d'accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui tient compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan local d'urbanisme approuvé ou du document en tenant lieu ". Ces dispositions instituent un régime spécial d'indemnisation exclusif de l'application du régime de droit commun de la responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques. Elles ne font toutefois pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'en jugeant que Mme A..., dont les droits qu'elle tenait du permis délivré le 17 août 1959 n'avait pas été méconnus, ne pouvait être regardée comme supportant, du fait des dispositions du règlement du plan local d'urbanisme rappelées par le maire dans son courrier, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif poursuivi par la commune, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

10. Son pourvoi doit, par suite, être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de Mme A... la somme de 4 000 euros à verser à la commune de Saint-Laurent-du-Var au titre de ces mêmes dispositions.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme A... est rejeté.
Article 2 : Mme A... versera la somme de 4 000 euros à la commune de Saint-Laurent-du-Var.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C... A..., à la commune de Saint-Laurent-du-Var et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à la société Kéolis Alpes-Maritimes, venant aux droit de la société automobile de Provence Kéolis.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 2 juin 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain


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