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Ariane Web: Conseil d'État 461336, lecture du 5 février 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:461336.20240205

Décision n° 461336
5 février 2024
Conseil d'État

N° 461336
ECLI:FR:CECHR:2024:461336.20240205
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public


Lecture du lundi 5 février 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois mémoires en réplique, enregistrés le 9 février 2022 et les 18 juillet, 12 septembre et 21 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Les diagnostiqueurs indépendants " (LDI) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 24 décembre 2021 définissant les critères de certification des opérateurs de diagnostic technique et des organismes de formation et d'accréditation des organismes de certification ;

2°) de saisir la Cour de justice de l'Union Européenne des questions préjudicielles en interprétation suivantes :
- l'arrêté attaqué instaure-t-il une " profession réglementée " des professionnels du diagnostic immobilier au sens de l'article 3, paragraphe 1, point a) de la directive 2005/36/CE modifiée sur les professions réglementées '
- l'arrêté attaqué instaure-t-il un " régime d'autorisation " des professionnels du diagnostic immobilier au sens de l'article 4, point 6 de la directive " services " 2006/123/CE du 12 décembre 2006 '
- si la réponse aux deux questions précédentes est négative, l'arrêté attaqué instaure-t-il une " exigence " concernant les professionnels du diagnostic immobilier relevant de l'article 15 paragraphe 2, point d) de la directive " services " 2006/123/CE du 12 décembre 2006 '
- l'arrêté attaqué, en ce qu'il oblige à intervalles réguliers les travailleurs du domaine énergétique à suivre avec succès des formations identiques et à réussir des examens identiques est-il conforme à l'article 17 de la directive 2010/31/UE modifiée, lu à la lumière de l'article 31 § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne '

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 ;
- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ;
- la directive 2010/31/UE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 ;
- la directive 2018/958 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 ;
- le règlement (CE) n° 765/2008 du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008 ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;
- le décret n° 2008-1401 du 19 décembre 2008 ;
- le décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 janvier 2024, présentée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 janvier 2024, présentée par l'association " Les diagnostiqueurs indépendants " (LDI).

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 15 janvier 2024, présentée par l'association " Les diagnostiqueurs indépendants " (LDI).



Considérant ce qui suit :

1. Pour procéder au diagnostic technique prévu par l'article L. 271-6 du code de la construction et de l'habitation en cas de vente de tout ou partie d'un immeuble bâti, l'article R. 271-1 du même code prévoit qu'il " est recouru soit à une personne physique dont les compétences ont été certifiées par un organisme accrédité dans le domaine de la construction, soit à une personne morale employant des salariés ou constituée de personnes physiques qui disposent des compétences certifiées dans les mêmes conditions " et que " Les organismes autorisés à délivrer la certification des compétences sont accrédités par un organisme signataire de l'accord européen multilatéral pris dans le cadre de la coordination européenne des organismes d'accréditation ". Il renvoie à des arrêtés des ministres chargés du logement, de la santé et de l'industrie le soin d'en préciser les modalités d'application. Par un arrêté du 24 décembre 2021, les ministres compétents ont fixé les critères de certification des opérateurs de diagnostic technique immobilier et des organismes de formation dans les domaines du plomb, de l'amiante, des termites, du gaz, de la performance énergétique et de l'installation intérieure d'électricité, ainsi que les critères d'accréditation des organismes de certification. L'association " Les diagnostiqueurs indépendants " (LDI) demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

2. D'une part, le règlement du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008, fixant les prescriptions relatives à l'accréditation et à la surveillance du marché pour la commercialisation des produits, qui a pour objet d'établir " les règles concernant l'organisation et le fonctionnement de l'accréditation des organismes d'évaluation chargés d'accomplir des tâches d'évaluation de la conformité ", définit, par son article 2, l'accréditation comme étant " l'attestation délivrée par un organisme national d'accréditation selon laquelle un organisme d'évaluation de la conformité satisfait aux critères définis par les normes harmonisées et, le cas échéant, à toute autre exigence supplémentaire, notamment celles fixées dans les programmes sectoriels pertinents, requis pour effectuer une opération spécifique d'évaluation de la conformité ". L'article 137 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie dispose que : " I. - L'accréditation est l'attestation de la compétence des organismes qui effectuent des activités d'évaluation de la conformité. Afin de garantir l'impartialité de l'accréditation, il est créé une instance nationale d'accréditation, seule habilitée à délivrer les certificats d'accréditation en France. Cette instance procède à l'accréditation des laboratoires. Un décret en Conseil d'Etat désigne cette instance et fixe ses missions. (...) ". Le décret du 19 décembre 2008 relatif à l'accréditation et à l'évaluation de conformité, pris pour l'application de ces dispositions, prévoit, à son article 1er, que " L'instance nationale d'accréditation mentionnée à l'article 137 de la loi du 4 août 2008 susvisée est le Comité français d'accréditation (COFRAC) ", et à son article 3 que " Le Comité français d'accréditation fixe, par délibération du conseil d'administration ou d'une section spécialisée au vu des normes homologuées en vigueur, les conditions devant être remplies par tout organisme demandant son accréditation (...) ". Il résulte de ces dispositions d'une part, que le Comité français d'accréditation est, sur le territoire national, seul habilité à délivrer des accréditations et, d'autre part, que les accréditations qu'il délivre le sont sur la base d'une norme ou d'un référentiel homologués en vigueur.
3. D'autre part, aux termes de l'article 17 du décret du 16 juin 2009 relatif à la normalisation : " Les normes sont d'application volontaire. / Toutefois, les normes peuvent être rendues d'application obligatoire par arrêté signé du ministre chargé de l'industrie et du ou des ministres intéressés. / Les normes rendues d'application obligatoire sont consultables gratuitement sur le site internet de l'Association française de normalisation (...) ". Il résulte des termes mêmes de ces dispositions qu'une norme ne peut être rendue d'application obligatoire si elle n'est pas gratuitement accessible.
4. L'article 1er de l'arrêté attaqué dispose que : " Les personnes physiques mentionnées à l'article R. 271-1, dont les compétences sont certifiées par un organisme accrédité dans le domaine de la construction, sont dénommées " diagnostiqueurs ". / Les organismes accrédités dans le domaine de la certification mentionnées au même article sont dénommés ci-après " organisme de certification des diagnostiqueurs " ". Le 4° de l'article 7 de l'arrêté attaqué dispose que : " La certification des compétences des diagnostiqueurs et l'accréditation des organismes de certification des diagnostiqueurs visés à l'article 1 du présent arrêté répondent aux exigences relatives aux organismes certifiant les personnes physiques définies dans la norme NF EN ISO/CEI 17024:2012 et à celles figurant en annexes I et III du présent arrêté, précisant notamment les modalités relatives aux formations, examens et surveillance susmentionnés ". Aux termes du 4° de l'article 8 de l'arrêté attaqué : " 4° La certification des organismes de formation et l'accréditation des organismes de certification des organismes de formation répondent aux exigences relatives aux organismes certifiant les services définies dans la norme NF EN ISO/CEI 17065:2012, et à celles figurant en annexes II et III du présent arrêté ".
5. L'arrêté attaqué prévoit ainsi que les organismes procédant à la certification des opérateurs de diagnostic immobilier, d'une part, et les organismes procédant à la certification des organismes de formation, d'autre part, doivent être accrédités par le Comité français d'accréditation, signataire pour la France de l'accord multilatéral pris dans le cadre de la coordination européenne des organismes d'accréditation mentionné au troisième alinéa de l'article R. 271-1 du code de la construction et de l'habitation. Cette accréditation est, eu égard à ce qui est dit au point 2 de la présente décision, faite sur la base des normes d'accréditation homologuées en vigueur, lesquelles sont, en l'espèce, la norme NF EN ISO/CEI 17024 s'agissant de l'accréditation des organismes de certification des opérateurs de diagnostic immobilier, et la norme NF EN ISO/CEI 17065 s'agissant de l'accréditation des organismes de formation des opérateurs de diagnostic immobilier. Il résulte également de l'arrêté attaqué que la certification des compétences des diagnostiqueurs et la certification des organismes de formation sont effectuées sur la base des mêmes normes. Il s'ensuit que l'arrêté attaqué a pour effet de rendre obligatoire l'application de ces deux normes.
6. Il n'est pas contesté par le ministre en défense qu'à la date d'entrée en vigueur de l'arrêté attaqué, ces normes n'étaient gratuitement accessibles sur le site internet de l'Association française de normalisation qu'aux seules personnes attestant sur l'honneur avoir l'obligation de procéder à une accréditation. Il résulte toutefois de la règle rappelée au point 3 qu'elles ne pouvaient légalement définir les exigences générales s'imposant aux organismes accrédités chargés de la certification sans que l'autorité publique s'assure qu'elles soient gratuitement accessibles à tous, sans que soit de nature à faire obstacle à cette obligation la circonstance qu'un tiers détiendrait des droits de propriété intellectuelle sur ces normes. Par suite, en rendant d'application obligatoire les normes NF EN ISO/CEI 17024 et NF EN ISO/CEI 17065 alors que celles-ci n'étaient pas gratuitement accessibles à tous, l'arrêté du 24 décembre 2021 a méconnu les exigences posées par le décret du 16 juin 2009 rappelées au point 3 et, partant, l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité de la règle de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que l'arrêté du 24 décembre 2021 doit être annulé.
8. Compte tenu de la nature de l'illégalité en cause, aucun des autres moyens soulevés n'étant de nature à justifier l'annulation de l'acte attaqué, ainsi que des effets excessifs d'un retour immédiat aux règles antérieures et des risques qu'il comporterait pour la profession de diagnostiqueur immobilier, pour la bonne surveillance des certificats délivrés aux diagnostiqueurs immobiliers et aux organismes de formation, et pour le marché immobilier, il y a lieu de différer l'effet de cette annulation jusqu'au 1er septembre 2024.
9. L'association " Les diagnostiqueurs indépendants " n'étant pas représentée par un avocat et ne justifiant pas des frais qu'elle aurait exposés, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mise à la charge de l'Etat la somme qu'elle demande à ce titre.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 24 décembre 2021 définissant les critères de certification des opérateurs de diagnostic technique et des organismes de formation et d'accréditation des organismes de certification est annulé. Cette annulation prendra effet le 1er septembre 2024.
Article 2 : Les conclusions de l'association " Les diagnostiqueurs indépendants " présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " Les diagnostiqueurs indépendants ", au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; M. David Gaudillère, maître des requêtes et Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 5 février 2024.

Le président :
Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera

La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse



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