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Ariane Web: Conseil d'État 470864, lecture du 9 décembre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:470864.20251209

Décision n° 470864
9 décembre 2025
Conseil d'État

N° 470864
ECLI:FR:CECHR:2025:470864.20251209
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Catherine Fischer-Hirtz, rapporteure
SELAS FROGER & ZAJDELA;SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats


Lecture du mardi 9 décembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

La société Codim a demandé à la cour administrative d'appel de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 avril 2021 par lequel le maire de Montaigu-Vendée (Vendée) a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de l'extension d'un supermarché à l'enseigne " Super U " et la création d'un point de retrait des marchandises par automobile (" drive "). Par un arrêt n° 21NT01591 du 2 décembre 2022, la cour administrative d'appel a annulé cet arrêté et enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) de rendre un nouvel avis sur le projet dans un délai de trois mois suivant la notification de son arrêt et au maire de Montaigu-Vendée de statuer à nouveau sur la demande de permis de construire dans un délai de trois mois suivant la notification de cet avis.

1° Sous le n° 470864, par un pourvoi, enregistré le 27 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CNAC demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de la société Codim.





....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Codim ; à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la commune de Montaigu-Vendée et à la SCP Poulet-Odent, avocat de la société Sodinove ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Codim, qui exploite un supermarché sous l'enseigne " Super U " , d'une surface de vente de 3 827 m², a déposé, le 19 octobre 2020, une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de porter à 6 000 m² sa surface de vente et de créer un point permanent de retrait des marchandises dit " drive " comportant sept pistes, sur un terrain situé Porte de Boufféré sur le territoire de la commune de Montaigu-Vendée (Vendée). Le 10 décembre 2020, la commission départementale d'aménagement commercial de la Vendée a émis un avis favorable au projet. Le 18 mars 2021, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), saisie de recours formés par la société Sodinove et une autre société concurrente, exploitant des surfaces commerciales dans la zone de chalandise du projet, a émis un avis défavorable au projet à la suite duquel, le maire de Montaigu-Vendée a, par un arrêté du 12 avril 2021, refusé d'autoriser le projet de la société Codim. La CNAC se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 décembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, saisie d'une requête de la société Codim, a annulé cet arrêté et lui a enjoint de rendre un nouvel avis sur le projet de la société Codim dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt et au maire de Montaigu-Vendée de statuer à nouveau sur la demande de permis de construire de la société Codim dans un délai de trois mois à compter de la délivrance de cet avis. Elle demande, en outre, qu'il soit sursis à l'exécution de cet arrêt.

2. Le pourvoi de la CNAC et sa requête aux fins de sursis à exécution sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre et d'y statuer par une seule décision.

Sur le pourvoi :

3. Aux termes du I de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'article 166 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre (...) / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales (...) / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 avril 2021 par lequel le maire de Montaigu-Vendée a refusé de délivrer à la société Codim un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, la cour administrative de Nantes a jugé qu'étaient entachés d'erreur d'appréciation les deux motifs sur lesquels la CNAC s'était fondée pour émettre un avis défavorable au projet litigieux, tirés de ce que celui-ci était de nature à compromettre, d'une part, l'objectif d'aménagement du territoire et, d'autre part, celui de développement durable, respectivement prévus aux 1° et 2° de l'article L. 752-6 du code de commerce cité au point 3.

6. S'agissant du motif relatif à l'objectif de développement durable, la cour a relevé qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, d'une part, que le projet de la société Codim prévoyait la plantation de quatre-vingt-sept arbres supplémentaires, l'installation d'une isolation du bâti à la norme RT 2012, la mise en place d'un système de récupération des calories sur l'installation " froid ", le remplacement des éclairages par un système LED, la récupération des eaux de refroidissement de la pompe à incendie, l'équipement de la toiture de l'extension en panneaux photovoltaïques, d'une superficie totale 1 660 m², le tri des déchets, le traitement des eaux pluviales dans un ouvrage de régulation paysager non étanche de 1 586 m² avec séparateur à hydrocarbures et bassin d'infiltration, ainsi que la réalisation de deux-cent-quarante-sept places de stationnement en revêtement " evergreen " perméable, et d'autre part, que le projet d'extension en cause, situé dans une zone dépourvue de tout caractère remarquable des alentours, présentait, en dépit d'une volumétrie importante, une insertion paysagère et architecturale satisfaisante à raison notamment du choix des matériaux utilisés destinés à améliorer le bâti existant. En jugeant, après avoir relevé ces éléments, que le motif de l'avis défavorable de la CNAC relatif au respect de l'objectif de développement durable était entaché d'erreur d'appréciation, la cour administrative d'appel s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation.

7. Mais, s'agissant du motif relatif à l'objectif d'aménagement du territoire, la cour, pour juger que la CNAC s'était méprise en retenant que le projet litigieux était de nature à en compromettre la réalisation, a relevé que la commission s'était bornée dans son avis à opposer, de manière générale, le fait que l'extension du centre commercial litigieux conduirait à étendre un pôle commercial de périphérie au détriment du centre-ville de Montaigu-Vendée et de ceux des autres communes de la zone de chalandise dont le taux de vacance commerciale était de 6%. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que l'avis de la CNAC était fondé sur des données précises et chiffrées permettant d'identifier le nombre et les types de commerces de centre-ville de la zone de chalandise susceptibles d'être affectés par le projet litigieux pour apprécier sa contribution à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation et des autres communes concernées, la cour a dénaturé les pièces du dossier.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la CNAC est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Il y a lieu, après cassation, de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Nantes à qui il appartiendra, le cas échéant, si elle estimait que l'un seulement des motifs sur lesquels la CNAC a fondé son avis défavorable était erroné, d'apprécier si celle-ci aurait rendu le même avis si elle s'était uniquement fondée sur un autre motif retenu à bon droit par elle.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, et à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Sodinove qui, alors qu'elle était partie défenderesse devant la cour, s'est abstenue de se pourvoir en cassation contre son arrêt et n'a été appelée, dans la présente instance, que pour produire des observations.

Sur la requête à fin de sursis à exécution :

9. La présente décision statuant sur le pourvoi formé par la CNAC contre l'arrêt attaqué, les conclusions qu'elle présente aux fins qu'il soit sursis à l'exécution de celui-ci sont dépourvues d'objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 2 décembre 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 477254 de la Commission nationale d'aménagement commercial.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Codim et par la société Sodinove au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Commission nationale d'aménagement commercial, à la commune de Montaigu-Vendée et à la société Codim.
Copie en sera adressée à la société Sodinove, à la société Sopodis et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 novembre 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, Mme Anne Courrèges, présidentes de chambre ; M. Julien Boucher, M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mahé, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, conseillers d'Etat et Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat-rapporteure.


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