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Ariane Web: Conseil d'État 489197, lecture du 23 décembre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:489197.20251223

Décision n° 489197
23 décembre 2025
Conseil d'État

N° 489197
ECLI:FR:CECHR:2025:489197.20251223
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Yacine Seck, rapporteure
SCP GUÉRIN - GOUGEON, avocats


Lecture du mardi 23 décembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 2 novembre 2023 et les 2 février, 24 mai, 13 juillet et 20 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 16 mai 2023 par laquelle le comité de sélection de l'Université de Corse a classé la candidature de M. C... A... en première position sur le poste de professeur des universités intitulé " Langue et culture corses, métiers de l'enseignement et filières langue et culture corses " ouvert au recrutement par cette même université sous le numéro PR 4122 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du Président de la République du 1er septembre 2023 en tant qu'il nomme M. C... A... sur ce poste de professeur des universités ;

3°) d'enjoindre à l'université de Corse de reprendre la procédure de recrutement au stade de l'examen des candidatures soumises au comité de sélection ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 ;
- le décret n° 92-70 du 16 janvier 1992 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Yacine Seck, auditrice,

- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme E..., à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'Université de Corse et à la SCP Guérin-Gougeon, avocat de M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que l'université de Corse a ouvert au recrutement par concours en 2023, sous le numéro PR 4122, un poste de professeur des universités intitulé " Langue et culture corses, métiers de l'enseignement et filières langue et culture corses ". Par une délibération du 16 mai 2023, le comité de sélection constitué pour ce recrutement a arrêté la liste des candidats classés par ordre de préférence et placé M. A..., maître de conférences à l'université de Corse, en première position et Mme E..., maîtresse de conférences dans la même université, en quatrième position. Par une délibération en date du 1er juin 2023, le conseil académique siégeant en formation restreinte a émis un avis favorable sur cette liste. Par un décret du 1er septembre 2023, le Président de la République a nommé M. A... sur ce poste de professeur des universités. Mme E... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du comité de sélection du 16 mai 2023 et du décret du Président de la République en date du 1er septembre 2023 en tant qu'il nomme M. A....

2. Aux termes de l'article L. 952-6-1 du code de l'éducation : " (...) lorsqu'un emploi d'enseignant-chercheur est créé ou déclaré vacant, les candidatures des personnes dont la qualification est reconnue par l'instance nationale prévue à l'article L. 952-6 (...) sont soumises à l'examen d'un comité de sélection (...). / Le comité est composé d'enseignants chercheurs et de personnels assimilés, pour moitié au moins extérieurs à l'établissement, d'un rang au moins égal à celui postulé par l'intéressé. Ses membres sont proposés par le président et nommés par le conseil académique (...) siégeant en formation restreinte aux représentants élus des enseignants-chercheurs et personnels assimilés. Ils sont choisis en raison de leurs compétences, en majorité parmi les spécialistes de la discipline en cause. (...) / Au vu de son avis motivé, le conseil académique (...) siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés de rang au moins égal à celui postulé, transmet au ministre compétent le nom du candidat dont il propose la nomination ou une liste de candidats classés par ordre de préférence (...) ". Aux termes de l'article 9 du décret du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences : " (...) Les membres du comité de sélection sont proposés par le président ou le directeur de l'établissement au conseil académique (...) siégeant en formation restreinte aux représentants élus des enseignants-chercheurs et personnels assimilés. / Le conseil académique (...) statue par un vote sur la liste des noms qui lui sont proposés par le président ou le directeur. Ce vote est émis par les seuls professeurs et personnels assimilés pour les membres du comité relevant de ce grade. (...) / Les comités de sélection comprennent une proportion minimale de 40% de personnes de chaque sexe et au moins deux personnes de chaque sexe (...) ". Aux termes de l'article 9-2 de ce décret : " Le comité de sélection examine les dossiers des candidats postulant à la nomination dans l'emploi de maître de conférences ou de professeur des universités (...). Au vu de rapports pour chaque candidat présentés par deux de ses membres, le comité établit la liste des candidats qu'il souhaite entendre. (...) / Le comité de sélection émet un avis motivé unique portant sur l'ensemble des candidats ainsi qu'un avis motivé sur chaque candidature (...) / L'avis du comité de sélection est transmis au conseil académique (...) / Au vu de l'avis motivé émis par le comité de sélection, le conseil académique (...), siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés de rang au moins égal à celui postulé, propose le nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, une liste de candidats classés par ordre de préférence. Il ne peut proposer que les candidats retenus par le comité de sélection. En aucun cas, il ne peut modifier l'ordre de la liste de classement. / Le conseil d'administration, siégeant en formation restreinte aux enseignants chercheurs et personnels assimilés de rang au moins égal à celui postulé, prend connaissance du nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, de la liste des candidats proposée par le conseil académique (...) / Sauf dans le cas où le conseil d'administration émet un avis défavorable motivé, le président ou directeur de l'établissement communique au ministre chargé de l'enseignement supérieur le nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, une liste de candidats classés par ordre de préférence. En aucun cas, il ne peut modifier l'ordre de la liste de classement ".

3. En premier lieu, ni les dispositions citées au point précédent ni aucune autre disposition ni aucun principe, notamment pas celui d'impartialité, ne font obstacle à ce qu'un membre du conseil académique siégeant en formation restreinte d'une université siège au sein d'un comité de sélection constitué pour le recrutement d'un enseignant-chercheur dans la même université. Par suite, si la requérante fait valoir que trois personnes, nommées au sein du comité de sélection composé pour ce recrutement et qui ont, à ce titre, pris part à la délibération du 16 mai 2023 ont ensuite, en leur qualité de membre du conseil académique, pris part à la délibération de ce conseil siégeant en formation restreinte le 1er juin 2023, une telle circonstance, dont il ne peut être utilement soutenu qu'elle entacherait d'irrégularité la délibération du comité de sélection, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité celle du conseil académique.

4. En deuxième lieu, aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 712-4 du code de l'éducation : " Le conseil académique regroupe les membres de la commission de la recherche mentionnée à l'article L. 712-5 et de la commission de la formation et de la vie universitaire mentionnée à l'article L. 712-6. / Sont constituées en son sein la section disciplinaire mentionnée à l'article L. 712-6-2 et la section compétente pour l'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs. " Aux termes du troisième alinéa de l'article 3 du décret du 16 janvier 1992 relatif au Conseil national des universités : " L'exercice des fonctions de membre du Conseil national des universités est incompatible avec l'exercice simultané des fonctions (...) de président du conseil académique d'une université (...) ". S'il résulte de ces dispositions que l'exercice des fonctions de membre du Conseil national des universités est incompatible avec l'exercice simultané des fonctions de président du conseil académique d'une université, ces dispositions n'interdisent pas à un membre du Conseil national des universités de siéger au sein du conseil académique d'une université et d'en présider la section compétente pour l'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs. La requérante n'est par suite, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la circonstance que Mme Verdoni, présidente de la formation restreinte du conseil académique, est également membre du Conseil national des universités entacherait d'illégalité la délibération du conseil académique siégeant en formation restreinte du 1er juin 2023.

5. En troisième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 952-6 du code de l'éducation : " L'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière de[s] [enseignants-chercheurs] relève, dans chacun des organes compétents, des seuls représentants des enseignants-chercheurs et personnels assimilés d'un rang au moins égal à celui postulé par l'intéressé s'il s'agit de son recrutement (...) ". Si la requérante soutient que le conseil académique restreint n'était, lors de sa délibération du 1er juin 2023, pas uniquement composé de personnes d'un rang au moins égal à celui de professeur d'université, il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal de cette séance, dont les mentions ne sont pas contestées, que le moyen manque en fait.

6. En quatrième lieu, la seule circonstance qu'un membre du jury d'un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations qui concernent ce candidat. En revanche, le respect du principe d'impartialité exige que lorsqu'un membre du jury d'un concours a, avec l'un des candidats, des liens, tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui seraient de nature à influer sur son appréciation, ce membre doit non seulement s'abstenir de participer aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat mais encore concernant l'ensemble des candidats au concours. S'agissant en particulier d'un comité de sélection constitué pour le recrutement d'un enseignant-chercheur, toutefois, la nature hautement spécialisée du recrutement et le faible nombre de spécialistes de la discipline susceptibles de participer au comité de sélection doivent être pris en considération pour l'appréciation de l'intensité des liens faisant obstacle à une participation au comité de sélection.

7. Si la requérante fait valoir que M. A... est membre du conseil académique de l'université de Corse comme deux membres du comité de sélection, M. D... et Mme Verdoni, et qu'ils avaient été candidats à l'élection des membres de ce conseil sur la même liste, qu'il appartient comme eux à l'unité mixte de recherche " Lieux, identités, espaces et activités " dirigée par M. D..., qu'ils participent ensemble à un projet de recherche ainsi qu'à une plateforme numérique d'apprentissage de la langue corse et que Mme Verdoni a été membre du jury de son habilitation à diriger des recherches soutenue le 12 décembre 2022, il ressort toutefois des pièces du dossier que l'ensemble des candidats auditionnés par le comité de sélection appartenait à cette même unité mixte de recherche et qu'il n'est pas établi ni même allégué que M. A... aurait co-signé avec l'un des membres du comité de sélection des publications scientifiques ni partagé avec l'un d'entre eux des communications lors de rencontres académiques. Par suite, les relations professionnelles existant entre M. A... et deux membres du comité de sélection, dans une discipline qui compte peu de spécialistes, ne pouvaient à elles seules, dans les circonstances de l'espèce, être regardées comme révélant des liens dont l'intensité aurait fait obstacle à ce que ces deux personnes puissent régulièrement participer au comité de sélection pour se prononcer sur les mérites de la candidature de M. A.... Il s'ensuit que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le principe d'impartialité du jury a été méconnu.

8. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en estimant que la candidature de M. A... était plus en adéquation que celle de Mme E... avec le profil du poste ouvert au concours, le comité de sélection, qui ne s'est pas fondé sur un motif qui ne pouvait légalement être pris en compte, et dont l'avis est suffisamment motivé, a entaché sa délibération d'erreur manifeste d'appréciation.

9. Enfin, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération et du décret qu'elle attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative et ses conclusions à fin d'injonction.

11. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'université de Corse au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E... la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de ces dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Université de Corse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Mme E... versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... E..., à l'Université de Corse, à M. C... A..., au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace et au Premier ministre.


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