Indispensable au financement de l’action publique, la fiscalité permet d’assurer le bon fonctionnement des institutions et la solidarité nationale. Mais son application peut parfois s’avérer complexe et source de contentieux. En 2024, le Conseil d’État a contribué, par ses avis et études, à simplifier et clarifier les règles fiscales tout en veillant, dans ses décisions, à leur correcte application.
Quel taux de TVA appliquer pour les sushis ?
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est un impôt indirect sur les produits et services que nous consommons au quotidien. Il s’agit de l’impôt le plus rentable pour l’État : en 2024, la TVA
représentait près de 38 % des recettes fiscales de l’État contre 24 % pour l’impôt sur le revenu. Son taux varie selon la nature des produits et des services.
Des taux différenciés selon la finalité du produit
En matière alimentaire, les plats préparés qui peuvent être consommés immédiatement se voient appliquer un taux de 10 %. Les denrées destinées à être conservées avant d’être consommées bénéficient, quant à elles, d’un taux de 5,5 %. Dans une décision de juin 2024, le Conseil d’État a dû trancher le cas particulier des sushis et makis frais vendus « à emporter ». Une société contestait le taux de 10 % appliqué à ses produits. Ces plats sont-ils destinés à la consommation immédiate ou à la conservation ? La question est cruciale pour les entreprises qui les commercialisent, car le taux de TVA a une incidence directe sur le prix des produits pour le consommateur final.
Les sushis « à emporter » sont destinés à la consommation immédiate
Le Conseil d’État rappelle que les produits destinés à la consommation immédiate sont ceux dont la nature, le conditionnement ou la présentation impliquent une consommation dès l’achat. C’est le cas des sushis. C’est donc bien le taux de TVA de 10 % qui s’applique.
Simplifications pour les TPE-PME : mieux anticiper l’impact des mesures d’allègement
Comment faire en sorte que les contraintes administratives, notamment liées à la fiscalité, ne pèsent pas trop lourdement sur les sociétés, notamment les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) ? En avril 2024, le Gouvernement s’empare du sujet et soumet au Conseil d’État un projet de loi de simplification.
Clarifier l’objectif de simplification
Dans son avis, le Conseil d’État suggère de compléter le texte pour augmenter son impact et son efficacité : l’allègement des contraintes pour les entreprises doit apparaître clairement, tout comme la finalité des différentes mesures. Concernant la suppression des régimes de déclarations préalables obligatoires pour exercer certaines activités, le Conseil d’État préconise de la limiter aux cas où l’administration dispose d’autres moyens pour s’assurer que le droit est respecté.
Préciser certaines mesures, mieux anticiper leurs effets
Le Conseil d’État propose également de préciser la rédaction des dispositions habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances pour simplifier les bulletins de paie, généraliser la médiation dans les litiges avec l’administration ou élargir les rescrits – c’est-à- dire les réponses apportées par l’administration fiscale aux entreprises qui s’interrogent sur les règles qui s’appliquent à leur situation.
Par ailleurs, le Conseil d’État recommande de détailler l’étude d’impact sur l’allègement de certains régimes de sanction visant les chefs d’entreprise. Jusqu’ici, un dirigeant qui s’opposait au contrôle du respect de ses obligations environnementales par un auditeur agréé encourait une peine de prison que le projet de loi propose de supprimer. Pour le Conseil d’État, le Gouvernement doit mieux justifier cette suppression en s’appuyant notamment sur ce qui est pratiqué dans les autres pays européens.
Les revenus d’exploitation de l’image d’un sportif sont soumis à la TVA
Depuis 2017, la loi autorise un club sportif professionnel à conclure un contrat avec ses joueurs ou entraîneurs pour exploiter commercialement leur image, leur nom et leur voix. Mais les revenus tirés de ces contrats d’exploitation sont-ils soumis à la TVA ? En décembre 2024, le Conseil d’État tranche cette question.
S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, il juge que l’exploitation de l’image d’un sportif ne relève pas du contrat de travail qui le lie à son club. Dans le cadre de cette activité, le sportif ou l’entraîneur agit en son nom propre, sans être soumis aux instructions de son employeur, et perçoit une rémunération variable. Pour le Conseil d’État, il s’agit donc d’une activité économique exercée de manière indépendante, distincte du contrat de travail. À ce titre, les revenus issus de l’exploitation de l’image, du nom ou de la voix du sportif sont soumis à la TVA, conformément au code général des impôts.
Une mesure fiscale exceptionnelle pour encourager la solidarité à Mayotte
Le 14 décembre 2024, le cyclone tropical Chido frappe l’île de Mayotte, causant des dégâts humains et matériels considérables. Dans les jours qui suivent, de nombreux particuliers font des dons aux associations qui fournissent des repas et des soins à la population mahoraise et participent à la reconstruction des logements.
+ 44 M€ de dons de particuliers collectés au 13 janvier 2025 (Source : Rapport n° 282 (2024-2025) sur le projet de loi d’urgence pour Mayotte, Sénat)
Pour soutenir cet élan de solidarité, le Gouvernement prévoit, dans un projet de loi, une mesure fiscale exceptionnelle : une réduction d’impôt spéciale à hauteur de 75 % des dons versés aux associations œuvrant à Mayotte, dans la limite de 1 000 euros.
Saisi pour avis, le Conseil d’État estime que cette mesure temporaire est justifiée par un motif d’intérêt général et n’est pas contraire au principe d’égalité devant l’impôt. Il confirme aussi que cette réduction d’impôt peut s’appliquer rétroactivement dès le 14 décembre, dans la mesure où elle est favorable aux contribuables. Le 24 février 2025, la loi d’urgence pour Mayotte a été promulguée.
Des solutions pour simplifier les règles administratives
Avec les « Ateliers de la simplification », le Conseil d’État s’engage, d’une nouvelle façon, pour la simplification administrative en proposant des solutions concrètes pour améliorer et simplifier le droit. Ces propositions sont formalisées dans des études thématiques remises au Gouvernement afin qu’il puisse, s’il le souhaite, les mettre en œuvre.
Le premier atelier a porté sur la simplification du régime des nullités en droit de sociétés. La nullité est la sanction d’invalidité qui frappe les actes ou les contrats ne respectant pas certaines règles juridiques. Le Conseil d’État propose plusieurs solutions pour renforcer l’attractivité économique du marché français comme la suppression de plusieurs cas de nullité automatique. Ces propositions ont été reprises par le Gouvernement dans une ordonnance du 12 mars 2025.
Au cours d’un deuxième atelier, le Conseil d’État s’est penché sur la simplification des règles applicables aux entreprises en difficulté, un domaine réputé complexe.
Il suggère de réduire le nombre de procédures actuelles en en supprimant certaines, en les fusionnant ou en les regroupant. Il recommande également de réorganiser le livre VI du code de commerce selon un plan plus clair et lisible.
[Aller plus loin] Contentieux fiscal : quelles obligations et quelles garanties pour le contribuable ?
Depuis quelques années, le droit fiscal est traversé par un double mouvement : les règles de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale se durcissent tandis que celles applicables aux contribuables de bonne foi s’assouplissent. Comment lutter contre la fraude fiscale sans fragiliser la sécurité juridique des contribuables ? Quels pouvoirs accorder à l’administration fiscale et quelles garanties pour le contribuable ? Les spécialistes du contentieux fiscal en ont débattu en décembre 2024, dans le cadre des Entretiens du contentieux du Conseil d’État.
L'avis de Christophe Chantepy, président de la section du contentieux du Conseil d’État
« Consacrer une journée de débat au contentieux fiscal nous a semblé indispensable car il représente une part importante dans l’activité de la juridiction administrative. Le droit fiscal est celui qui imprègne le plus la vie quotidienne des citoyens, car nous sommes tous des contribuables : lorsque nous achetons une baguette de pain elle est assujettie à la TVA, par exemple. Par ailleurs, la question du consentement à l’impôt est fondamentale dans une démocratie. »