Des campagnes de vaccination à l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, en passant par l’instauration d’une aide active à mourir, les questions de santé publique mobilisent régulièrement le Conseil d’État. À travers ses décisions et avis, ce dernier s’est assuré en 2024 que les mesures prises par les administrations étaient justifiées et adaptées et qu’elles respectaient les droits des patients.
Vaccination obligatoire : pertinence et risques
Les vaccins assurent une protection individuelle et collective en limitant la propagation des maladies et en protégeant les populations les plus fragiles. Le contrôle de leur sécurité comme la définition des politiques de vaccination relèvent des administrations chargées de veiller à la santé publique. En 2024, le Conseil d’État s’est prononcé sur les risques liés à une campagne de vaccination et sur des demandes d’indemnisation de préjudices imputés aux vaccins.
La campagne de vaccination contre le papillomavirus est justifiée
En 2023, une campagne nationale de vaccination contre le papillomavirus est lancée dans les collèges. Une association demande sa suspension car elle estime que le vaccin présente un risque pour la santé.
Dans deux décisions *, en référé puis au fond, le Conseil d’État juge que l’état actuel des connaissances scientifiques ne permet pas de conclure que la balance bénéfice-risque est négative. Ces vaccins sont utilisés depuis quinze ans dans de nombreux pays, et sur les 300 millions de doses administrées, aucune causalité n’a été établie entre les adjuvants chimiques qu’elles contiennent et des maladies auto-immunes.
Par ailleurs, le Conseil d’État rappelle que l’enjeu sanitaire est majeur : selon la Haute autorité de santé, le papillomavirus serait responsable de 6 330 cas de cancer par an en France. Si le dépistage ne suffit pas à réduire l’incidence de ces cancers, plusieurs études internationales démontrent l’efficacité de la vaccination. Pour le juge, la campagne ne présente donc pas de risques disproportionnés et est justifiée par les objectifs de santé publique.
Vérifier qu’il n’y a aucun lien probable entre le vaccin et les effets secondaires
Un citoyen qui estime être victime d’un préjudice sanitaire lié à un vaccin obligatoire peut-il demander réparation ? Dans trois décisions de 2024**, le Conseil d’État rappelle que pour apprécier le droit à indemnisation, le juge doit contrôler la probabilité du lien entre l’administration du vaccin et l’apparition des effets secondaires indésirables. Il ne lui appartient pas d’établir l’existence d’un lien certain, mais de vérifier qu’il n’y a aucune probabilité qu’un tel lien existe selon l’état actuel des connaissances scientifiques. Et si l’existence d’un lien n’est pas complètement exclue, le juge examine alors les cas individuels : les effets secondaires sont-ils bien apparus après la vaccination, dans un délai normal pour ce type de symptômes ? Peuvent-ils s’expliquer par d’autres facteurs ? Si un doute subsiste, le citoyen peut obtenir réparation.
*Décisions n° 476102 du 9 février 2024 et n° 493110 du 25 juillet 2024, « Campagne de vaccination contre le papillomavirus dans les collèges »
** Décision n° 466288, 472625 et 472707 du 7 novembre 2024, « Indemnisation des préjudices imputés aux vaccins obligatoires »
Quelle indemnisation pour les proches de patients décédés ?
La perte d’un proche à l’hôpital est une épreuve qui peut avoir de lourdes conséquences sur la santé mentale et physique. En droit, on parle de « préjudice par ricochet », subi en répercussion aux dommages vécus par quelqu’un d’autre. Mais quand l’administration a commis une faute, ces « victimes par ricochet » peuvent-elles demander réparation ?
Indemniser les proches qui développent une pathologie dépressive
En 2024, le Conseil d’État affirme pour la première fois que les personnes qui développent une pathologie dépressive à la suite du décès d’un proche doivent être indemnisées quand une faute a été commise par le service public. Il est en effet saisi par une mère dont le fils est décédé à l’hôpital, en partie à cause de manquements fautifs dans sa prise en charge par le SAMU et les sapeurs-pompiers.
"Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits". Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
Après le drame, la requérante développe un état anxio-dépressif d’intensité sévère. Pour le juge, elle doit être indemnisée pour l’intégralité du préjudice subi : la douleur morale liée au décès de son fils comme les différents dommages propres engendrés par sa pathologie dépressive, qu’ils soient financiers (pertes de revenus, dépenses liées à la prise en charge de la maladie…) ou immatériels.
Informer les proches sur les causes du décès
Dans un autre litige, une famille avait dû attendre dix-huit mois avant de connaître les causes du décès à l’hôpital de leur proche. Estimant que cette attente entraîne un préjudice, elle saisit le Conseil d’État. Le juge rappelle que depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, l’hôpital a l’obligation de communiquer aux ayants droit les informations nécessaires à la « connaissance des causes de la mort, la défense de la mémoire du défunt ou la protection de leurs droits ». Si ces informations ne sont pas communiquées dans un délai raisonnable, l’hôpital commet une faute qui entraîne une présomption de préjudice moral. Le Conseil d’État demande donc à l’hôpital d’indemniser la famille.
Décision n° 460187 du 13 février 2024, « Indemnisation pour retard de communication des causes du décès » et n° 475952 du 7 novembre 2024, « Indemnisation de l’intégralité des préjudices résultant du décès d’un proche »
Projet de loi sur la fin de vie : un consentement à mieux protéger
Comment faire en sorte que la fin de vie se déroule dans le respect de la dignité humaine ? En avril 2024, le Gouvernement soumet pour avis au Conseil d’État un projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et à la fin de vie.
L’instauration d’une aide active à mourir
Le texte entend légaliser, sous certaines conditions, « l’assistance au suicide et l’euthanasie » à la demande d’une personne atteinte d’une maladie incurable et dont le pronostic vital est engagé. Le Conseil d’État note que le projet marque une double rupture avec le droit actuel : il inscrit la fin de vie dans un horizon qui n’est plus seulement celui de la mort imminente et autorise pour la première fois un acte ayant pour intention de donner la mort.
Garantir un consentement libre et éclairé
Pour le Conseil d’État, aucun obstacle juridique ne s’oppose à instaurer une aide active à mourir à la demande d’une personne en fin de vie. Toutefois, il suggère d’ajuster le texte pour mieux protéger le consentement de celles qui en font la demande. Il recommande de préciser en particulier que les personnes dont le discernement est gravement altéré par une maladie psychiatrique ne peuvent pas être considérées comme exprimant une volonté « libre et éclairée ».
Une offre de soins palliatifs à renforcer
Au-delà du texte, le Conseil d’État souligne l’insuffisance globale de l’offre de soins palliatifs sur le territoire. Il insiste sur la nécessité d’établir un plan de développement des soins d’accompagnement avec des moyens à la hauteur des besoins. En janvier 2025, le projet de loi est scindé en deux textes et examiné à l’Assemblée nationale au printemps.
Pour les victimes d’accidents médicaux, une réparation intégrale du préjudice
En France, la loi garantit aux victimes d’accidents médicaux la réparation intégrale de leurs préjudices. L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est l’organisme public chargé d’indemniser les victimes. Chaque année, l’ONIAM publie un référentiel indicatif qui fixe des barèmes selon le type de préjudice.
Des frais de remboursement insuffisants
Pour plusieurs victimes et associations, l’édition 2023 du référentiel ne permet pas de réparer intégralement les préjudices comme la loi l’exige. Elles saisissent le Conseil d’État qui confirme que certaines modalités d’indemnisation doivent être modifiées. Par exemple, plafonner à 700 euros le remboursement des frais juridiques restreint l’accès des victimes à une assistance juridique de qualité. De même, les frais d’obsèques remboursables ou l’indemnité prévue pour le recours à une tierce personne en cas d’invalidité sont insuffisants pour compenser les dépenses réelles des familles. Le Conseil d’État donne six mois à l’ONIAM pour abroger ou modifier ces points du référentiel afin qu’ils soient conformes au principe d’indemnisation intégrale.
Pour les victimes d’accidents médicaux, une réparation intégrale du préjudice
En France, la loi garantit aux victimes d’accidents médicaux la réparation intégrale de leurs préjudices. L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est l’organisme public chargé d’indemniser les victimes. Chaque année, l’ONIAM publie un référentiel indicatif qui fixe des barèmes selon le type de préjudice.
Des frais de remboursement insuffisants
Pour plusieurs victimes et associations, l’édition 2023 du référentiel ne permet pas de réparer intégralement les préjudices comme la loi l’exige. Elles saisissent le Conseil d’État qui confirme que certaines modalités d’indemnisation doivent être modifiées. Par exemple, plafonner à 700 euros le remboursement des frais juridiques restreint l’accès des victimes à une assistance juridique de qualité. De même, les frais d’obsèques remboursables ou l’indemnité prévue pour le recours à une tierce personne en cas d’invalidité sont insuffisants pour compenser les dépenses réelles des familles. Le Conseil d’État donne six mois à l’ONIAM pour abroger ou modifier ces points du référentiel afin qu’ils soient conformes au principe d’indemnisation intégrale.
Délivrance d’acide hyaluronique : des restrictions possibles mais à ajuster
Depuis plusieurs années, des particuliers et non-professionnels de santé achètent de l’acide hyaluronique pour réaliser eux-mêmes des injections à visée esthétique, sans encadrement médical. En 2024, pour protéger la santé de la population, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités soumet pour avis au Conseil d’État un projet de décret qui durcit les règles de délivrance de l’acide hyaluronique.
Le Conseil d’État estime que le Gouvernement peut restreindre la délivrance de ce produit aux seuls médecins et aux patients munis d’une prescription médicale. En revanche, interdire complètement la vente en ligne lorsqu’on dispose d’une ordonnance n’est pas conforme au droit européen. Cette interdiction affecterait particulièrement les produits qui proviennent d’autres États membres, alors que d’autres mesures moins restrictives pourraient permettre d’atteindre l’objectif de santé publique poursuivi.
Eaux recyclées dans les denrées alimentaires : des risques à analyser
La raréfaction des ressources naturelles pousse de plus en plus d’industries à recycler l’eau utilisée dans leurs chaînes de production. En 2024, dans une perspective de sobriété écologique, le Gouvernement propose un décret qui autorise le secteur alimentaire à utiliser des eaux recyclées impropres à la consommation pour produire des denrées alimentaires.
Sollicité pour avis, le Conseil d’État reconnaît la démarche écologique mais regrette que l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire et de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) n’ait pas été consultée sur le projet de décret qui laisse la responsabilité aux industriels de garantir la salubrité des denrées alimentaires produites. Pour le Conseil d’État, le décret doit s’appuyer sur une analyse rigoureuse des risques et inclure une définition précise des conditions d’utilisation. Il invite le Gouvernement – même si la loi ne l’oblige pas – à consulter l’ANSES pour s’assurer que le recours à des eaux recyclées ne présente aucun danger pour la santé humaine.