Lettre de la justice administrative n°72
LJA N°72 : Été 2023
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À la Une
Édito de Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État
Étude annuelle sur le droit souple : 10 ans après.
À la prise en considération traditionnelle des effets juridiques pour qualifier l’acte administratif susceptible de recours, s’est ainsi ajoutée depuis plusieurs années celle des conséquences pratiques importantes. C’est la portée des deux arrêts d’assemblée du 21 mars 2016, Société Fairvesta et Société Numéricable. Ces décisions élargissent la recevabilité pour excès de pouvoir des actes des autorités de régulation qui, sans avoir le caractère de décision, peuvent produire des effets notables ou influer sur les comportements. Cette conception centrée sur les « effets notables », a été reprise par l’arrêt GISTI du 12 juin 2020, qui s’applique à tous les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non : circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif... Cet élargissement du contrôle juridictionnel à tous les actes de droit souple produisant de tels effets s’est accompagné d’une adaptation des conditions du contrôle de légalité pour ces actes, qui prend en compte leur nature et leurs caractéristiques.
Ce régime a été décliné pour diverses catégories d’actes relevant du droit souple. C’est le cas des réponses de foires à questions, qui peuvent faire l’objet d’un recours lorsqu’elles emportent des effets notables (Conseil d’État, 8 avril 2022, Syndicat national du marketing à la performance [SNMP)]et Collectif des acteurs du marketing digital [CPA], nos 452668 et 459026), le juge examinant ce critère en observant en particulier la teneur de la réponse en cause (Conseil d’État, 3 février 2023, Mme C. n°451052). L’appréciation par le juge est fine et circonstanciée. Ainsi, eu égard à son ancienneté, une mise en garde par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) contre un groupe particulier dans un rapport de 2003 ne peut être regardée comme étant « de nature à produire à son égard des effets notables ou (…) susceptibles d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elles s’adressent » (Conseil d’État, 10 février 2023, Association S., n°456954).
Dix ans après l’étude annuelle consacrée au droit souple, cette évolution illustre le souci constant du Conseil d’État d’adapter son office aux nouveaux modes d’action de l’administration. Il s’agit en l’espèce d’assurer la possibilité au citoyen de contester tous les actes qui, en droit ou en pratique, ont un effet sur sa situation.
La justice administrative en actes
Contentieux
Mer
Le Conseil d’État ordonne au Gouvernement de renforcer les mesures de protection et le système des contrôles de capture applicables à la pêche dans le golfe de Gascogne, afin de mieux préserver les petits cétacés protégés des captures accidentelles.
Travail
Le Conseil d’État précise la portée du contrôle opéré par l’autorité administrative, lorsqu’elle est saisie de la validation ou de l’homologation d’un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), quant au respect par l’employeur de ses obligations en matière de prévention des risques psycho-sociaux.
Environnement
Le Conseil d’État ordonne, sans astreinte, au Gouvernement de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction pour 2030 et de produire, au 31 décembre 2023 puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l’adoption de ces mesures et permettant leur évaluation.
Urbanisme
Saisi d’un litige relatif au changement de destination de locaux initialement utilisés par des commerces et désormais destinés à la réception et au stockage de marchandises en vue de leur livraison par bicyclette, le Conseil d’État définit la notion de travaux au sens de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme et considère que la transformation de commerces en dark stores devait faire l’objet d’une autorisation par la Ville de Paris.
Jeux d’argent et de hasard
Le Conseil d’État juge aujourd’hui que le monopole accordé à la Française des Jeux en 2019 sur l’exploitation de certains jeux est conforme au droit de l’Union européenne. L’attribution de droits exclusifs à une seule société permet de protéger la santé et l’ordre public en luttant, notamment, contre le risque de jeu excessif et la fraude, par un circuit contrôlé et une progression limitée du nombre de jeux proposés et de points de vente.
Blocage de l’accès au compte Twitter de l’OFII
La cour administrative d’appel de Paris annule la décision prise par le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration de bloquer l’accès à son compte Twitter d’un utilisateur qui avait critiqué l’efficacité du service rendu en des termes dénués de caractère diffamatoire ou injurieux.
Écriture inclusive dans les textes juridiques
Le tribunal administratif de Grenoble annule la délibération du conseil d’administration de l’université Grenoble Alpes approuvant les statuts du service des langues qui était rédigé en écriture inclusive estimant que cette rédaction pour un tel texte porte atteinte au principe constitutionnel de clarté et intelligibilité de la norme.
Fichiers
Le juge des référés du tribunal administratif de Lille ordonne l’effacement des données à caractère personnel contenues dans le fichier des manifestants contre la réforme des retraites placés en garde à vue.
Expropriation des immeubles fragilisés rue d'Aubagne
Le tribunal administratif de Marseille valide l’expropriation des immeubles fragilisés à la suite de l’effondrement de trois immeubles en 2018 pour créer une réserve foncière.
Utilisation de la langue catalane
Le tribunal administratif de Montpellier estime que les séances du conseil municipal doivent d’abord avoir lieu en français et que l’utilisation de la langue catalane est permise en traduction. Il annule ainsi les délibérations modifiant les règlements intérieurs des conseils municipaux d’Elne, d’Amélie-les-Bains-Palalda, de Tarerach, de Saint-André et de Port-Vendres prévoyant l’utilisation initiale de la langue catalane en séance du conseil municipal suivie, dans un second temps, d’une traduction en français.
Somalie
La Cour nationale du droit d’asile actualise son évaluation de la situation sécuritaire de la région du Hiran en Somalie, en tenant compte d’une note d’orientation de l’Agence de l’union européenne de l’asile (AUEA) qu’elle complète par des données documentaires ultérieures.
Hongrie
La Cour nationale du droit d’asile précise quels sont les éléments permettant de confirmer l’existence d’une protection internationale obtenue dans un autre Etat de l’Union européenne aux fins de l’application de l’article L. 531-32 du Ceseda.
Avis
Avis sur un projet de loi pour le plein emploi
Ce projet de loi vise à élargir et améliorer l’insertion professionnelle des personnes en recherche d’emploi et à mieux coordonner les services d’accès à l’emploi. Sur la mesure de « suspension » du RSA pour les bénéficiaires qui manqueraient à leurs engagements, le Conseil d’État suggère des modifications pour garantir que cette sanction soit systématiquement motivée. Le Conseil d’État souligne également la nécessité d’articuler le réseau « France Travail », successeur de Pôle Emploi, avec le service public de l’emploi et de préciser la composition du comité chargé du pilotage national du réseau pour prévenir toute incompétence négative. Par ailleurs, sur les mesures liées à l’offre d’accueil du jeune enfant, le projet de loi désigne les communes comme autorités organisatrices au niveau local, sauf transfert à leur groupement intercommunal. Dans ce cadre, il estime que seules les communes de plus de 3 500 habitants pourront bénéficier d’une compensation financière car elles exercent une palette plus large de compétences que les autres. Il s’interroge toutefois sur la cohérence des modalités de compensation envisagées au regard du souhait du Gouvernement de favoriser le transfert de la compétence au niveau intercommunal.
Avis sur un projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise
Le texte ouvre notamment la possibilité d'attribuer deux fois par an la prime de partage de la valeur dans la limite des plafonds totaux d'exonération (3 000 ou 6 000 euros) et de la placer sur un plan d'épargne salariale. Dans son avis, le Conseil d’État indique que la pérennisation de cette mesure réservée aux PME pourrait être inconstitutionnelle pour rupture d'égalité devant la loi. Sur l’obligation de négocier sur les modalités de partage de la valeur en cas d’augmentation exceptionnelle du bénéfice, le Conseil d’État estime qu’en ne fixant pas de critères pour définir ce qu’est une augmentation exceptionnelle du bénéfice et en s’abstenant de prévoir, par exemple, que cette définition tient compte de critères tels que la taille de l’entreprise, le secteur d’activité ou les résultats des années antérieures, le projet de loi est entaché d’incompétence négative et qu’il n’est pas possible de maintenir, en l’état, ces dispositions dans le projet de loi.
Avis sur un projet de loi relatif à l’industrie verte
Ce projet de loi a pour objectif d'accélérer la ré-industrialisation et de faire de la France un leader européen de la transition écologique. Si le Conseil d’État estime que l’étude d’impact du projet est globalement satisfaisante, elle présente encore des insuffisances, notamment s’agissant des mesures en faveur de l’économie circulaire. Sur les mesures destinées à accélérer les implantations industrielles et à réhabiliter les friches, le Conseil d’État juge notamment nécessaire d’intégrer des objectifs de développement industriel dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), de créer une nouvelle procédure de consultation du public sur les demandes d’autorisation environnementale ou encore d’identifier un nouveau dispositif de sanctions administratives spécifique à l’économie circulaire. Sur le financement de l’industrie verte, le Conseil d’État propose notamment de préciser les modalités d’utilisation et de fonctionnement du « plan d’épargne avenir climat ».
Avis sur un projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique
Ce projet de loi s’inscrit dans le projet de constitution d’un marché unique du numérique européen.et prévoit des adaptations pour mettre en œuvre trois règlements européens récents (DSA, DMA, DGA). Dans son avis, le Conseil d’État souligne notamment la complexité des dispositifs à mettre en œuvre en matière de lutte contre l’accès des enfants aux sites pornographiques. Sur le blocage de l'accès aux sites pornographiques qui ne contrôlent pas l'âge de leurs utilisateurs, rien ne s’oppose à ce que cette compétence soit transférée du tribunal judiciaire de Paris à l’ARCOM. Le Conseil d’État propose toutefois que ces dispositions nouvelles ne soient applicables qu’à compter du 1er janvier 2024. Compte tenu de l’introduction d’une sanction pénale à l’encontre des hébergeurs en cas de non-retrait de contenus pédopornographiques dans un délai de 24 heures, le Conseil d’État propose de compléter le projet de loi pour introduire la possibilité pour les hébergeurs de saisir le juge administratif qui statuera à bref délai et sans conclusions du rapporteur public sur la légalité de la demande de retrait. Concernant la possibilité de bloquer certains sites pouvant causer des préjudices financiers (avec usurpation d’identité, collecte de données personnelles par des moyens frauduleux, faux moyens de paiement…), le Conseil d’État propose des ajustements supplémentaires pour garantir le caractère proportionné de la mesure, notamment qu’elle soit limitée à trois mois, renouvelable deux fois pour une durée de six mois.
Avis sur un projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité de la magistrature
Ce projet de loi réforme le statut des magistrats et prévoit notamment d'ouvrir plus largement les conditions d'accès à la magistrature. Sur l'expérimentation d'un concours spécial d'accès à la magistrature pour les auditeurs de justice, le Conseil d’État constate qu'aucune précision sur les modalités de pilotage de l’expérimentation et de conduite de son évaluation n'est définie dans l'étude impact et invite donc le Gouvernement à la compléter. Concernant l’inscription dans le statut de la magistrature du principe d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, le Conseil d’État propose une nouvelle rédaction pour mieux traduire l’intention du Gouvernement.
Avis sur un projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
Ce projet de loi présente le budget de la justice sur la période 2023-2027, détaille les objectifs du ministère, et vise à améliorer la procédure et l'organisation de la justice. Dans son avis, le Conseil d’État approuve le choix du Gouvernement d’unifier les délais dans lesquels doit se tenir l’audience en cas de renvoi d’une affaire engagée selon la procédure de comparution immédiate. Il recommande toutefois de prévoir un délai minimal de 4 semaines pour les peines les plus lourdes afin que les prévenus puissent avoir le temps de préparer leur défense. Il admet la possibilité d’activer à distance, pour capter du son et des images, les appareils numériques de personnes faisant l’objet d’enquêtes pour des infractions graves. Il préconise cependant de limiter l’autorisation à une durée maximale de 15 jours, renouvelable une fois, lorsque celle-ci émane de la justice. Concernant la possibilité pour l'administration pénitentiaire d’utiliser des caméras individuelles, le Conseil d’État estime qu’une durée de conservation des images captées de trois mois est justifiée. Enfin le Conseil d’État considère que la loi ne peut pas interdire aux demandeurs de visa de présenter, devant la justice française, des pièces étrangères qui n’ont pas été légalisées. Une telle interdiction serait en effet contraire au déroulement d’un procès équitable et à la Constitution.
Avis sur un projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la partie législative du livre VII du code monétaire et financier et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer
Ce projet de loi ratifie trois ordonnances relatives au code monétaire et financier et présente certaines mesures complémentaires relatives à l’outre-mer. Le Conseil d’État estime que l’étude d’impact, qui a été complétée, est globalement conforme aux exigences de la loi organique. Il relève que le projet de loi maintient, tout en réduisant sa portée, une disposition qui limite la liberté pour les établissements bancaires de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française de fixer librement les tarifs appliqués lorsqu’un client retire des espèces dans un distributeur d’une banque où il n’a pas de compte. Il estime que cette limitation est justifiée par un motif d'intérêt général tenant à la situation économique particulière de ces territoires, où la concurrence est limitée et le niveau de revenu moins élevé qu’en métropole. Les autres dispositions n’appellent pas d’observations du Conseil d’État.
Avis sur un projet de loi portant mise en conformité du droit de visite douanière et modernisation de l’action douanière
Ce projet de loi prévoit un cadre rénové du droit de visite douanière afin de mieux encadrer cette compétence. Le Conseil d’État examine notamment les conditions d’exercice du droit de visite : il suggère de prohiber toute fouille au corps et estime qu’une visite des moyens de transport peut être effectuée en l'absence du conducteur ou du propriétaire dès lors que le projet de loi prévoit la présence d’une personne tierce ne relevant pas de l’autorité des douanes qui est signataire du procès-verbal établi. Concernant la saisie probatoire en cours de retenue douanière, le Conseil d’État estime que la copie des données informatiques des supports numériques saisis au cours de la procédure concernant une personne, finalement libérée, ne peut être opérée que sur autorisation préalable du procureur de la République.
Études & colloques
De la régulation à la compliance : quel rôle pour le juge ?
Colloque co-organisé par le Conseil d’État et la Cour de cassation- 2 juin 2023
La compliance consiste à confier aux acteurs eux-mêmes, notamment les entreprises, la responsabilité de la réalisation d’objectifs fixés par les autorités publiques en vue d’assurer le respect de principes ou prévenir des risques que ces autorités déterminent. Les domaines d’application sont nombreux : la finance, la banque, les transports, l’énergie ou les télécommunications. De nouveaux secteurs tels que le droit pénal, le droit de la communication, voire le droit de l’environnement, sont désormais concernés. Ce colloque a permis d’explorer les nouvelles questions que soulève, pour le juge, le développement du « droit de la compliance ».
Penser le dernier kilomètre dès le premier
Clôture du cycle annuel de conférences sur le « dernier kilomètre » des politiques publiques, organisées par le Conseil d'État - 24 mai 2023
Comment recueillir et prendre en compte les attentes des usagers ? Quels peuvent être les interlocuteurs et les outils pour leur permettre d’exprimer leurs attentes, leurs doléances, voire leurs aspirations et qu’elles soient entendues ? Pour que l’action publique réussisse son « dernier kilomètre », il est nécessaire d’intégrer ces dimensions le plus amont possible, dès sa conception. Autrement dit, penser le dernier kilomètre dès le premier. Ce sont les questions abordées lors de la conférence de clôture du cycle annuel sur le dernier kilomètre, qui fera l’objet de la prochaine étude annuelle du Conseil d’État publiée en septembre 2023.Sont intervenus Gérard Larcher, président du Sénat, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, Thierry Beaudet, président du Conseil économique social et environnemental (CESE) et président de la Mutualité Française, Michaël Janas, président du tribunal judiciaire de Lyon, Étienne Matignon, président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE).
La justice administrative au quotidien
Dernières parutions
Bilan d'activité du Conseil d’État 2022
De la pollution de l’air à la consommation de plastique, des questions de fin de vie à la protection des données personnelles, de la scolarisation des enfants au pouvoir d’achat… Cette nouvelle édition du bilan d’activité du Conseil d’État revient sur près de 60 décisions, avis et études qui ont marqué l’année 2022.Pour chacun d’entre eux, des articles courts explicitent le contexte, le raisonnement du Conseil d’État et la conséquence de son action sur le quotidien des citoyens, illustrant la manière dont l’institution veille au respect du droit et des libertés fondamentales de chacun.
Rapport public 2022 des juridictions administratives
Le rapport public des juridictions administratives rassemble les indicateurs clés de leurs activités et propose une sélection de décisions de justice rendues au cours de l’année 2022.Il rend compte aussi des avis rendus par le Conseil d’État dans le cadre de sa mission consultative. Il fait par ailleurs le point sur les études conduites par le Conseil d’État et l’actualité des colloques et de la coopération européenne et internationale de la juridiction administrative.
Le Conseil d’État présente ses métiers
Forum de l’emploi public
Jeudi 4 mai, le Conseil d'État et la Cour nationale du droit d’asile ont participé à la première édition du salon « Choisir le service public », organisée à Paris par le ministère de la transformation et de la fonction publique. L’occasion de présenter la diversité des métiers proposés par ces deux institutions qui recrutent plus de 200 collaborateurs par an, et la pluralité des profils recherchés, du jeune diplômé au plus expérimenté, du contractuel au titulaire, sur concours ou par recrutement direct.
Tout savoir sur le métier de rapporteur en section administrative
Le Conseil d’État poursuit sa série « Nos métiers, au service des citoyens » pour mieux faire connaître, en vidéo, les métiers de la justice administrative. Après les métiers de greffier en chef et de rapporteur à la section du contentieux, découvrez le quotidien et le parcours d’un rapporteur en section administrative dont la principale mission est de rédiger les avis que le Conseil d’État rend au Gouvernement et le Parlement sur leurs projets de texte.
Sur le terrain
Les déplacements en juridictions
Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, poursuit son tour de France des juridictions administratives. En mai dernier, il rencontrait les équipes du tribunal administratif de Poitiers,en juin celles du tribunal administratif et de la cour administrative d’appel de Bordeaux. Au programme : fonctionnement quotidien des juridictions, bilan de leurs activités et de leurs principaux contentieux.
Le tribunal administratif de Guyane participe à la Pirogue du droit
Une magistrate du tribunal administratif de la Guyane a participé à la nouvelle édition de « la Pirogue du droit » organisée par le Conseil départemental d’accès aux droits de la Guyane. L’équipage, composés d’avocats, de juristes et d’une représentante de la Défenseure des droits, a effectué un trajet en pirogue de près de 300 kilomètres sur le fleuve Maroni afin de tenir des permanences dans différentes étapes du parcours et rencontrer des habitants éloignés du littoral.
Une JA à la Une
3 questions à Antoine Jarrige président du tribunal administratif de Poitiers
Le juge administratif est un juge du quotidien. Comment cela s’exprime-t-il au tribunal administratif de Poitiers ?
Un juge du quotidien, c’est un juge qui se prononce sur des litiges qui concernent la vie de tous les jours de nos concitoyens. Pour notre juridiction, comme bien d’autres, ces litiges peuvent concerner d’abord la vie des familles, à travers par exemple les inscriptions dans les établissements d’enseignement, la restauration scolaire ou l’accueil en centre de loisir, mais aussi l’accès aux aides sociales, l’aide personnalisée au logement notamment. Autre exemple de contentieux de proximité : celui de la règlementation de la circulation ou du stationnement par les maires. Il y a aussi les accidents de la vie, des moins graves, lorsqu’on chute sur la voie publique, du fait de ce qu’on appelle un défaut d’entretien normal, à ceux plus dramatiques qui peuvent survenir dans un hôpital public, comme lorsqu’une opération ou un accouchement se passe mal.
Parmi les affaires marquantes que juge le tribunal, beaucoup concernent des sujets environnementaux, pour quelles raisons selon vous ?
L’importance de ces sujets tient à la géographie comme à l’histoire de notre ressort.
La géographie, c’est d’abord l’existence d’une large façade maritime en Charente-Maritime. Cette façade est à la fois une richesse pour l’activité économique, notamment les activités en lien avec les ressources de la mer et le tourisme, un facteur d’attractivité pour l’installation des ménages et un espace naturel précieux, par la beauté de ses paysages et sa biodiversité, qu’il faut protéger. D’où ces litiges de plus en plus nombreux dans lesquels nous sommes conduits à concilier ces différents enjeux contemporains.
Les départements de l’ancienne région Poitou-Charentes sont aussi des territoires agricoles comportant des zones humides remarquables, qui subissent durement les effets du changement climatique. La question de la gestion de l’eau et de son partage y est donc particulièrement sensible. Les contentieux engagés contre les réserves d’eau pour l’irrigation, dites réserves de substitution ou méga bassines, en témoignent.
Si notre ressort est tourné vers l’avenir grâce à bien des initiatives de René Monory dont la plus emblématique est la création du Futuroscope, il a aussi une histoire industrielle ancienne. Ainsi, comme dans d’autres régions ayant un passé semblable, la reconversion d’anciens sites industriels, qui passe bien souvent par une première phase de dépollution, est un sujet de vigilance pour les pouvoirs publics et d’inquiétude pour les riverains.
Le tribunal administratif de Poitiers ouvre régulièrement ses portes au grand public, aux scolaires, étudiants et enseignants, etc. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces événements et partenariats ?
Certes, la première mission d’un tribunal est de rendre la justice. Mais notre institution, comme bien d’autres, ne peut vivre coupée de la société qui l’entoure. Elle a même le devoir, dans une époque où l’État de droit est parfois incompris, voire contesté, de tout faire pour le conforter en permettant au plus grand nombre de mieux nous connaître et en participant à la formation des juristes, voire des magistrats de demain.
Pour ce faire, le tribunal s’appuie d’abord sur un partenariat privilégié avec la faculté de droit de l’université de Poitiers. Comme bien d’autres juridictions, il accueille tout au long de l’année des étudiants pour des stages, et apporte aussi chaque fois que possible sa contribution au cursus des étudiants en les recevant avec leurs professeurs dans ses locaux. Le tribunal et la faculté de droit organisent aussi des rencontres annuelles autour d’un thème d’intérêt commun, et a été créé un « prix du tribunal administratif » décerné chaque année au meilleur étudiant de master 1 de droit public.
Le tribunal ouvre ses portes chaque année au grand public pour deux manifestations. Chaque 4 octobre d’abord, pour la Nuit du droit, à l’occasion de laquelle nous organisons avec le « partenariat des publicistes poitevins » un parcours ludique suivi d’une audience fictive. Nous sommes aussi toujours au rendez-vous des journées du patrimoine à la fin de la première quinzaine de septembre, fiers que nous sommes de faire visiter l’Hôtel Gilbert, dont de nombreux éléments font l’objet d’une protection au titre des monuments historiques. Nous en profitons bien sûr pour faire mieux connaître le tribunal et la juridiction administrative.
La justice administrative à l’international
Séminaire franco-israélien au Conseil d’État
Dans le cadre d’un séminaire juridique organisé le 11 mai conjointement avec la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, une délégation de la Cour suprême israélienne conduite par sa présidente, Esther Hayut, a été accueillie au Conseil d’État. Une rencontre qui permet d’entretenir une coopération entre juridictions suprêmes et une connaissance réciproque de leurs jurisprudences.
Séminaire bilatéral franco-allemand au Bundesverwaltungsgericht
Dans le cadre d’un séminaire de travail bilatéral organisé du 3 au 6 mai, le vice-président du Conseil d’État Didier-Roland Tabuteau, a été accueilli à la Cour administrative fédérale allemande à Leipzig, par son président, Andreas Korbmacher. L’occasion d’échanger sur des sujets d’actualité qui intéressent à la fois la justice administrative allemande et française.
Interview d’Alexandra Bratos, auditrice au Conseil d’État
Dans le cadre du Franco-British-Irish Judicial Cooperation Committee (FBJCC), qui promeut la coopération en matière de justice entre la France (Conseil d’État et Cour de cassation), le Royaume-Uni et l’Irlande, Alexandra Bratos, auditrice au Conseil d’État, a passé une semaine à Londres, convaincue de la nécessité d’entretenir des échanges soutenus avec les partenaires européens. Retour d’expériences.
Comment est organisée la justice en Angleterre ?
Le Royaume-Uni comprend trois systèmes juridictionnels distincts : l’Angleterre et le Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande du Nord. En ce qui concerne le premier, la justice administrative ne fait pas l’objet d’un ordre de juridiction distinct, elle est traitée indifféremment par l’ensemble des juridictions à tous les niveaux. La High Court gère, en première instance, l’ensemble des affaires importantes (high profile cases). Elle comprend une division dédiée au droit administratif ; la Court of appeal les appels formés contre l’ensemble des décisions de la High court; la Supreme court est la juridiction britannique de dernier ressort. Composée de 12 juges, elle est neutre politiquement. Elle sélectionne les affaires qu’elle juge grâce à un système de filtre, les requérants devant démontrer que leur affaire nécessite de trancher un point de droit contestable d’intérêt public. C’est la raison pour laquelle elle ne juge qu’une centaine d’affaires par an, ce qui est bien moins que nous au regard de son périmètre de compétences !
Quelle différence entre nos deux systèmes judiciaires vous a le plus marquée ?
Principalement que le juge anglais est une figure personnifiée : il incarne et endosse personnellement la décision qu’il rend. Il siège généralement seul, sauf pour les affaires les plus importantes, et s’exprime à la première personne du singulier dans ses décisions. La collégialité, qui nous est chère, n’a pas tellement sa place dans le système britannique. C’est la raison pour laquelle les opinions divergentes sont admises lorsque les juges siègent à plusieurs. Ces divergences peuvent porter tant sur le sens de la solution adoptée que sur le raisonnement pour y parvenir, autant d’éléments qui seraient, chez nous, couverts par le secret du délibéré !
Et sur le recrutement des juges en Angleterre, avez-vous perçu des similitudes ?
Le recrutement des juges britanniques n’a pas grand-chose à voir avec le nôtre : pour être recrutés, ils doivent avoir exercé pendant plusieurs années en tant qu’avocat conseil (sollicitor) ou avocat plaidant (barrister) et avoir démontré des qualités particulières dans leurs domaines respectifs. Une fois sélectionnés, ils débutent des fonctions de juge dans des juridictions locales, d’abord à temps partiel, puis à temps plein, et évoluent progressivement vers les juridictions supérieures. C’est un processus long et particulièrement compétitif. Des réflexions sont en cours pour fluidifier les parcours et permettre, notamment, à davantage de femmes et de candidat(e)s issus de la diversité de postuler et de dérouler des parcours de carrières au sein des juridictions. Au Royaume-Uni comme en France, il est essentiel que les juges soient représentatifs de la diversité qui existe au sein de la société.
La cour administrative d’appel de Versailles accueille la Fédération européenne des juges administratifs
Les 11 et 12 mai 2023, la cour administrative d’appel de Versailles a accueilli un séminaire de la Fédération européenne des juges administratifs (FEJA), en présence de 70 juges venant de 12 pays d’Europe et d’une délégation de 8 juges américains. Ce séminaire a été l’occasion d’une réunion du groupe de travail « Indépendance et efficience » de la FEJA. Les échanges ont été riches et nombreux avec notamment la présentation de cas pratiques par les juges des différents pays. À l’issue de l’événement, la FEJA a tenu son assemblée générale annuelle au cours de laquelle Camille Vinet, présidente-assesseure à la cour administrative d’appel de Lyon a été élue secrétaire générale.
Assemblée générale de l’ACA-Europe, à Naples
Les 26 et 27 juin 2023, une délégation conduite par le vice-président du Conseil d’État, Didier-Roland Tabuteau, s’est rendue à Naples, à l’Assemblée générale de l’ACA-Europe, l’association des juges administratifs européens dont le Conseil d’État est membre. À cette occasion, s’est tenu, un colloque consacré aux services aux citoyens et aux droits sociaux.
Séminaire bilatéral franco-polonais au Conseil d’État
Les 6 et 7 juillet 2023, le Conseil d’État a accueilli une délégation de la Cour administrative suprême de Pologne conduite par son président, Jacek Chlebny. Lors de cette rencontre, les deux institutions ont échangé sur trois sujets d’intérêt commun : le droit à la santé et la protection des libertés publiques, la rédaction des jugements de la juridiction administrative et enfin la place des procédures d’urgence.
Agenda
Mercredi 6 septembre 2023
La Rentrée du Conseil d'État
Samedi 16 et dimanche 17 septembre 2023
Journées européennes du patrimoine
Mercredi 4 octobre 2023
Nuit du Droit
Lundi 9 octobre 2023
Rencontres d'acteurs publics
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