Lettre de la justice administrative n°70
LJA N°70 : Hiver 2023
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À la Une
Édito de Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État
L’activité des juridictions est en effet restée soutenue.
Devant les tribunaux administratifs, 241 000 recours ont été introduits et 232 000 ont été traités, soit des chiffres stables par rapport à l’année 2021 qui se situait déjà à un niveau record. Cette stabilité rompt avec la croissance annuelle des entrées, de près de 4,5 %, qui avait été connue entre 2016 et 2021. En 2016, 194 000 recours avaient été portés devant les tribunaux, soit 20 % de moins qu’en 2022. L’engagement remarquable de tous ceux qui concourent à la justice administrative a permis de maintenir des délais de traitement maîtrisés, de 9 mois et 20 jours toutes requêtes confondues l’année dernière.
La situation de la Cour nationale du droit d’asile, des cours administratives d’appel et du Conseil d’État apparaît quelque peu différente, avec un nombre d’affaires enregistrées en léger recul. Il en résulte que le nombre d’affaires traitées a dépassé celui des recours portés devant eux. Ainsi, en 2022, la CNDA a traité plus de 67 000 affaires, quand 61 500 ont été portées devant elle. Les cours administratives d’appel ont jugé près de 32 000 affaires pour 30 500 entrées. Enfin, la section du contentieux du Conseil d’État a réglé plus de 9 800 affaires pour 9 750 enregistrées, après les niveaux records de l’année 2021 durant laquelle 11 600 affaires avaient été réglées définitivement et 11 200 enregistrées.
Ces chiffres n’offrent bien sûr qu’une vision imparfaite du travail de la juridiction administrative. La diversité des affaires portées devant le juge, à laquelle correspond pour partie la diversité des procédures, et la qualité des décisions rendues ne s’y reflètent pas. Ils permettent toutefois de mesurer l’importance du travail fourni, qu’il faut saluer. Ils montrent également les défis qui pèsent toujours sur les juridictions, et singulièrement sur les tribunaux administratifs, pour continuer à répondre avec excellence aux enjeux du service public qu’ils font vivre.
À cette activité contentieuse, on peut ajouter l’activité consultative. Plus de 1 000 projets de textes ont été étudiés par le Conseil d’État, dont plus de 70 projets de loi et 45 projets d’ordonnance. Le Conseil d’État a également rendu 13 avis au Gouvernement. Enfin, son activité de prospective et d’amélioration des politiques publiques s’est en particulier traduite par deux études importantes, l’une sur les réseaux sociaux et l’autre sur le déploiement de l’intelligence artificielle pour l’action publique. Ces études, résolument tournées vers l’avenir et les propositions qu’elles contiennent, sont autant d’atouts pour l’efficacité de l’action publique. En se retournant sur l’année 2022, la juridiction administrative peut s’enorgueillir du travail accompli. Mais elle doit, encore et toujours, comme tous les services publics, rester vigilante.
À l’aube de cette année 2023, j’adresse mes souhaits de bonheur et de sérénité à tous ceux qui concourent à la juridiction administrative ainsi qu’à leurs proches. Je forme également le vœu qu’ils réussissent de nouveau, individuellement et collectivement, à relever avec le même succès qu’en 2022 les défis qui sont lancés au service public de la justice administrative.
La justice administrative en actes
Contentieux
Accès aux documents administratifs
En principe, les documents produits par des personnes morales relatifs notamment à leur fonctionnement interne et à leur situation financière ne sont pas communicables aux tiers par l’autorité administrative qui les détient. Sont régis par ce principe, en l’absence de dispositions législatives en disposant autrement, les comptes des fondations d’entreprise n’ayant reçu aucune subvention publique dans la mesure où ces documents relèvent de la vie privée de ces organismes.
Qualité de l’air
Après avoir ordonné à l’État, depuis 2017, de faire respecter les normes européennes, reprises en droit français, de qualité de l’air, le Conseil d’État le condamne aujourd’hui à payer deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros. Si des améliorations dans la durée ont été constatées, les seuils limites de pollution au dioxyde d’azote restent dépassés dans plusieurs zones en France, notamment dans les agglomérations de Paris, Lyon et Marseille. À ce jour, les mesures prises par l’État ne garantissent pas que la qualité de l’air s’améliore de telle sorte que les seuils limites de pollution soient respectés dans les délais les plus courts possibles.
Informatique et libertés
Le Conseil d’État juge que le refus de la Commission nationale Informatique et libertés (CNIL) de donner suite à une plainte fondée sur la méconnaissance du droit d’accès aux données personnelles constitue une décision refusant un avantage dont l’attribution constitue un droit, devant donc être motivée, et précise la portée de la protection dont bénéficie le délégué à la protection des données contre toute décision défavorable en relation avec ses missions.
Environnement
La réalisation de certains projets ou constructions peut nécessiter l’obtention d’une dérogation « espèces protégées », dont le Conseil d’État précise les conditions d’application.
Nucléaire
Le Conseil d’État juge que les travaux de réparation de soudures et les essais de fonctionnement peuvent se dérouler à l’EPR de Flamanville.
Santé publique
Le Conseil d'État annule l’arrêté du 30 décembre 2021 interdisant de vendre des fleurs et feuilles de cannabis ayant un taux de THC (tétrahydrocannabinol) inférieur à 0,3 %. Il relève que le CBD (cannabidiol), qui n’a pas d’effet psychotrope et ne provoque pas de dépendance, ne peut être considéré comme un produit stupéfiant. Il retient qu’il n’est pas établi que la consommation des fleurs et feuilles de ces variétés de cannabis avec un faible taux de THC comporterait des risques pour la santé publique. Il juge illégale en conséquence l’interdiction générale et absolue de leur commercialisation.
Projet éolien
La cour administrative d’appel de Nancy, saisie en appel d’une demande d’annulation de l’arrêté du 26 juin 2017 du préfet des Ardennes autorisant l’implantation du parc éolien du mont des Quatre Faux, a écarté plusieurs arguments des requérants et a demandé au porteur du projet ainsi qu’au préfet de régulariser la procédure de consultation. Le reste de l’affaire sera examiné au terme d’un délai de six à neuf mois.
Pêche
À la demande de l’association Sea Shepherd France, la cour administrative d’appel de Toulouse annule le refus du préfet de l’Hérault de faire cesser les modes de pêche illégaux de la daurade dans le port de Sète, lors de la migration de ces poissons de l’étang de Thau vers la mer Méditerranée.
Contrats et marchés publics
Par deux arrêts du 28 novembre 2022, la cour administrative d’appel de Marseille, saisie par des sociétés concurrentes, a mis fin aux deux conventions de délégation de service public liant la commune des Baux-de-Provence à la société Culturespaces pour l’exploitation, d’une part, des Carrières des Lumières et, d’autre part, du château des Baux-de-Provence.
Sécurité
Le tribunal administratif de Wallis-et-Futuna valide le refus d’abrogation de l’arrêté du préfet, administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna, approuvant et rendant exécutoire la délibération de l’assemblée territoriale créant le service d’Incendie et de secours de Wallis-et-Futuna, ainsi que celle de l’arrêté organisant ce service.
Logement
Le juge des référés du tribunal administratif de Melun suspend le règlement intercommunal adopté le 7 juillet 2022 par la communauté d’agglomération du Val d’Europe Agglomération (CAVEA) pour lutter contre les locations de courte durée de type AirBNB.
Énergie
Le tribunal administratif d’Orléans rejette les recours déposés par une association et des riverains contre le projet d’une installation de valorisation de matières végétales brutes et d’effluents d’élevage par méthanisation à La Roche-Clermault.
Asile accordé à des ressortissants ukrainiens
La Cour nationale du droit d’asile accorde l’asile à des ressortissants ukrainiens en provenance de régions ukrainiennes de Donetsk, Kharkiv, Louhansk et Zaporijjia. Dans les cas dont elle était saisie, la Cour a estimé que les requérants ne pouvaient bénéficier du statut de réfugié au titre de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Elle a, en revanche, accordé aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire qui permet de protéger les civils en cas de situation de conflit armé international comme le conflit prévalant dans ces régions, connaissent actuellement une situation de violence aveugle d’intensité exceptionnelle en raison du conflit armé entre les forces russes et les forces ukrainiennes.
La Cour a examiné la situation à la date à laquelle elle statue en se fondant sur les sources publiques les plus récentes. Cette situation justifie que la Cour octroie la protection subsidiaire à chacun des requérants sur la base de sa seule provenance de la région concernée. La Cour a estimé que ces demandeurs courraient un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre leur vie ou leur personne en cas de retour dans leur région et qu’ils ne pourraient bénéficier d’aucune protection effective des autorités.
Refus de la qualité de réfugié à un Nigérian
Après avoir examiné les craintes invoquées par l’intéressé, un Haoussa menacé de mort dans l’État de Kaduna à la suite de sa conversion de l’islam au christianisme, la Cour a admis le bien-fondé de ses craintes et estimé qu’il pourrait se voir reconnaître la qualité de réfugié pour un motif religieux. Le juge de l’asile lui a, eu égard au contexte général, politique, religieux et social prévalant au sud du Nigéria et au cas particulier qui lui était soumis, à savoir celui d’un jeune homme de 24 ans membre d’une église pentecôtiste très influente qui pourrait très probablement s’installer et s’insérer sans difficultés particulières dans cette région du Nigéria, opposé une solution dite d’ « asile interne », en vertu des dispositions de l’article L. 513-5 du CESEDA.
Avis
Avis relatif aux conditions de cumul dans le temps du mandat de président de la Polynésie française
Le Conseil d'État a rendu un avis sur une question du Gouvernement relative aux conditions de cumul dans le temps du mandat de président de la Polynésie française. Pour le Conseil d'État, la loi du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française doit être interprétée comme limitant l’exercice de la présidence à deux mandats successifs de cinq ans complets. Ainsi, une personne ayant exercé deux mandats successifs, dont l’un est inférieur à cinq années, peut légalement briguer un troisième mandat.
Avis sur un projet de loi visant à accélérer la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants
Le Conseil d'État a rendu public un avis sur un projet de loi visant à accélérer la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants. Pour le Conseil d'État, l’étude d’impact du projet demeure inégale et, sur certains points, incomplète notamment sur la question de la réduction des délais d’instruction concernant la construction de la partie non nucléaire d’un projet de réacteur et sur celle de l’incidence sur les services d’administration centrale.
Avis sur un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture
Le Conseil d'État a invité le Gouvernement à compléter l’étude d’impact sur plusieurs points et notamment sur l’application aux contrats de concession des dispositifs d’internalisation des coûts environnementaux liés aux émissions de CO2 et à la pollution atmosphérique ainsi que sur les données scientifiques justifiant les règles proposées pour la commercialisation des denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales. S’agissant de ces dernières, le Conseil d'État admet que le ministre chargé de la santé puisse soumettre à prescription médicale obligatoire et, si nécessaire, à des conditions particulières de prescription et de délivrance supplémentaires, les denrées dont il est établi que la consommation présente des risques graves pour la santé en cas de mésusage.
Avis sur le projet de loi relatif aux jeux olympiques et paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions
Ce projet de loi prévoit plusieurs dérogations aux règles en vigueur pour permettre le bon déroulement des jeux. Le Conseil d’État propose plusieurs modifications liées en particulier à la question de la protection de la vie privée et de la gestion des données personnelles. Sur l’usage renforcé de la vidéoprotection, il propose ainsi d’indiquer de manière explicite que les systèmes de vidéoprotection constituent des traitements de données à caractère personnel. L’avis recommande aussi, concernant l’expérimentation de systèmes d’intelligence artificielle pour analyser les images captées dans l’espace public, de clarifier les différentes phases de conception, de développement, de mise en œuvre des traitements concernés. Enfin, le Conseil d’État recommande de compléter l’étude d’impact concernant les tests ADN autorisés dans le cadre de la lutte contre le dopage.
Avis sur un projet de loi ratifiant l’ordonnance relative aux droits sociaux des personnes détenues et portant diverses mesures complémentaires
Dans son avis, le Conseil d’État observe que le Gouvernement a maintenu l’article qui vise à rendre applicable l’ensemble des mesures d’hygiène et de sécurité du code du Travail aux personnes détenues, et ce, alors que le Conseil d’État avait estimé que cet article dépassait l’habilitation que le Parlement lui avait donné. Le Conseil d’État observe que cet article ne comprend pas d’adaptation aux spécificités du travail effectué en prison, ce qui peut nuire à l’objectif de clarté et d’intelligibilité de la loi. Si cet article prévoit que des adaptations seront précisées ultérieurement par un décret en Conseil d’État, l’avis alerte le Gouvernement sur le fait que certaines adaptations devront réalisées par le biais de la loi. S’agissant des nouvelles mesures ajoutées au projet de ratification et concernant les contrats à conclure avec les responsables des prisons et les détenus ayant atteint l’âge de la retraite, le Conseil d’État estime que l’étude d’impact qui a été fournie gagnerait à être complétée.
Études & colloques
La transition énergétique ?
Les entretiens du Conseil d’État en droit public économique – 14 novembre 2022
Face au défi du changement climatique, la transformation de nos modes de production et de consommation d’énergie est devenue un enjeu majeur des politiques publiques tant au niveau national qu'au niveau européen, dans le contexte du retour de la guerre sur le continent. Quelle ampleur et quel rythme pour la transition énergétique ? Dans quelle direction faire évoluer notre « mix » énergétique ? Comment engager et planifier les transformations nécessaires dans un contexte de crises ? Le 14 novembre, le Conseil d’État a organisé une conférence pour répondre à ces questions autour de deux tables rondes « Quelle transition énergétique pour quels objectifs ? » et « La transition énergétique : comment et à quel prix ? » au cours desquelles dix experts en la matière sont intervenus.
Blum homme d’État et de Lettres, juriste et socialiste réformateur
16 novembre 2022
S’il a marqué le XXe siècle en tant que chef du gouvernement sous le Front populaire et dirigeant de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), Léon Blum a également été membre du Conseil d’État pendant près de 25 ans, écrivain et critique littéraire. À l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance, le Comité d’histoire du Conseil d’État et de la juridiction administrative lui a dédié un colloque pour retracer quatre grands axes de son œuvre.
Politique de l’urbanisme, droit à construire et juge administratif
Les entretiens du contentieux du Conseil d’État – 29 novembre 2022
Développement urbain, protection du patrimoine, qualité architecturale et paysagère, sécurité et salubrité publiques, prévention des risques naturels, lutte contre le changement climatique… le droit de l’urbanisme concilie parfois des exigences contradictoires, issues de règlementations nationales et locales, avec des acteurs aux intérêts souvent divergents. Afin de répondre à ces difficultés, de lutter contre les recours abusifs ou encore d’adapter l’office du juge administratif, sont nés des mécanismes originaux et innovants, faisant du droit de l’urbanisme un « laboratoire » pour le contentieux administratif général. L’édition 2022 des Entretiens du contentieux du Conseil d’État a permis d’aborder ces questions et leurs enjeux juridiques, politiques et économiques.
Conférence sur Léonce de Lavergne
Cycle de conférences Vincent Wright – 12 décembre 2022
Le Comité d'histoire du Conseil d'État et de la justice administrative a organisé une conférence dédiée à Léonce de Lavergne, économiste, homme politique et homme de lettres français, animée par Jean Barthélémy, ancien président de l'Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.
Le dernier kilomètre des politiques publiques : quelle mise en œuvre dans les territoires ?
2e conférence du cycle de l'étude annuelle 2023 du Conseil d’État – 14 décembre 2022
Comment s’assurer que les politiques publiques touchent leurs cibles et qu’elles répondent aux attentes des Français ? C’est l’objet de la prochaine étude annuelle du Conseil d’État qu’il rendra publique en septembre 2023 et du cycle de conférences organisé durant toute l’année. Après la conférence inaugurale du 19 octobre 2022 qui a porté sur les attentes des usagers, cette 2e conférence organisée le 14 décembre, a traité de la mise en œuvre des politiques publiques dans les territoires. Concrètement, quels sont les interlocuteurs et de quels moyens disposent les acteurs locaux pour atteindre leurs usagers y compris les plus éloignés ? C’est à ces questions qu’ont répondu des élus locaux et des responsables d’institutions publiques (la Poste, Pôle emploi).
La justice administrative au quotidien
Les rendez-vous égalité-diversité
Duoday 2022 : la juridiction administrative mobilisée
À l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées du 14 au 18 novembre 2022, la juridiction administrative s'est à nouveau associée à l’opération Duoday. Organisée le 17 novembre, cette journée a permis à plus de 50 duos formés entre des personnes en situation de handicap et des membres de la juridiction administrative d’échanger et de partager concrètement sur la question du handicap dans le monde du travail.
La justice administrative s’engage contre les violences sexistes et sexuelles
À l’occasion de la Journée de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, le 25 novembre 2022, les juridictions administratives se sont mobilisées pour sensibiliser leur personnel sur ces notions. Exposition photographique au tribunal administratif de Nice, lectures de textes au tribunal administratif d’Orléans, webinaire au Conseil d’État pour décrypter la façon dont le droit les appréhende ces notions ou encore port du ruban blanc par les agents de greffe du tribunal administratif de Mayotte.
Parutions
Édition 2023 de la Charte de déontologie de la juridiction administrative et du rapport d’activité 2022
La Charte de déontologie de la juridiction administrative vient d’être actualisée. Elle intègre les avis et recommandations émis par le collège de déontologie en 2022. Destinée aux membres du Conseil d’État et aux magistrats des cours administratives d'appel et des tribunaux administratifs, elle vient compléter les textes statutaires, du code de justice administrative qui régissent l'exercice de leurs fonctions et précise notamment les obligations des membres et magistrats en matière d’indépendance et d’impartialité, de prévention des conflits d'intérêts, du devoir de réserve, etc. Le rapport d’activité 2022 du collège de déontologie apporte aux membres de la juridiction administrative des précisions sur l’application des principes et bonnes pratiques de la charte.
Sur le terrain
Les déplacements en juridictions
Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, poursuit son tour de France des juridictions administratives. En septembre dernier, il rencontrait les équipes de la cour administrative d’appel et du tribunal administratif de Toulouse, et en décembre, celles du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Au programme : fonctionnement quotidien des juridictions, bilan de leurs activités et de leurs principaux contentieux et rôle du juge administratif au service du citoyen.
La médiation progresse dans la juridiction administrative
Grâce aux efforts conjugués des juridictions administratives, des avocats et des administrations, cette voie de résolution « à l’amiable » des litiges gagne du terrain. Il s’agit aussi bien de la médiation volontaire, proposée aux requérants par les juges administratifs ou les avocats, que de la médiation préalable obligatoire, applicable à certains litiges de la fonction publique et à certains litiges sociaux.
Le Conseil d’État et le Conseil national des barreaux (CNB) ont célébré le 5e anniversaire de la convention conclue pour encourager la médiation administrative et lui donner l’élan nécessaire à son déploiement auprès de l’ensemble de ses acteurs : juges, administrations et collectivités, avocats, médiateurs, requérants... Bilan et perspectives en vidéo.
À Rennes, pour la première fois, une convention sur la médiation a été signée le 15 novembre 2022, entre le tribunal administratif et un service déconcentré de la direction générale des finances, la DIRFIP de Bretagne et d’Ille-et-Vilaine.
De nombreux tribunaux administratifs signent des conventions avec les centres de gestion de la fonction publique territoriale (CDG) de leur ressort, afin de développer la médiation préalable obligatoire comme le tribunal administratif de Marseille avec les CDG des Bouches-du-Rhône, des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes, le 6 janvier 2023. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, lui, a abordé la médiation préalable obligatoire sous la forme d’un podcast.
La justice administrative entretient ses relations avec le monde universitaire et les professionnels du droit
Journées d’étude, conventions avec des écoles d’avocats, participation à des journées professionnelles… Ces derniers mois, de nombreuses initiatives ont permis de développer le dialogue entre la justice administrative et l’université.
Rencontres internationales du tribunal administratif et de la faculté de droit et de sciences sociales de Poitiers
« Le temps du procès administratif : regards croisés » était le thème des 5e rencontres internationales du tribunal administratif de Poitiers et de la faculté de droit et de sciences sociales de Poitiers, qui se sont tenues le 10 novembre 2022. Une demi-journée d’étude destinée à développer le dialogue entre universitaires et magistrats.
Des étudiants conviés à un échange à l’issue d’une audience du TA de Versailles
Le 6 décembre 2022, le tribunal administratif de Versailles a invité les étudiants de master 1 de droit public de l’université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, pour échanger avec les magistrats sur le droit de l’urbanisme, à l’issue d’une audience sur ce sujet.
1ère édition à Marseille de « Faculté au Palais »
Le 8 décembre 2022, la cour administrative de Marseille a lancé un nouveau rendez-vous « Faculté au Palais », dont l’objectif est l’accueil de chercheurs et enseignants pour une journée de conférences et de débats. Pour cette première, Ève Truilhé directrice de recherche au CNRS et Jérôme Trémeau, professeur de l’Université d’Aix-Marseille ont abordé les droits de l’environnement et de l’urbanisme.
Journée de rencontre avec les professionnels à la faculté de droit et science politique de Montpellier
Le 9 décembre, une magistrate et un greffier de chambre du tribunal administratif de Montpellier, sont venus présenter leurs métiers aux étudiants de 3e année de licence en droit de la faculté de Montpellier, lors d’une table ronde à laquelle ont également participé des intervenants de la cour d’appel de Montpellier.
Convention avec l’École d’avocats de Toulouse
Le 16 décembre 2022, les présidents de la cour administrative d’appel de Toulouse, des tribunaux administratifs de Montpellier et de Nîmes ont signé une convention de partenariat avec le président de l’École des avocats centre sud. Objectif : promouvoir la pratique du droit administratif auprès des futurs avocats et favoriser les échanges entre magistrats et praticiens. L’accueil de stagiaires élèves avocats dans les trois juridictions administratives, la participation de magistrats administratifs aux formations dispensées par l’école et l’organisation- de manifestations communes sur le droit administratif sont déjà envisagés.
Une JA à la Une
Trois questions à Laurent Martin, président du tribunal administratif de Guyane
Pourriez-vous en quelques mots nous décrire le TA de Guyane et nous parler de ses spécificités ?
Je saisis l’occasion de cette interview pour affirmer une fois de plus que si le tribunal administratif de la Guyane souffre de problèmes d’attractivité tant pour les magistrats que pour les agents de greffe, cela relève essentiellement d’une mauvaise réputation fantasmée du territoire ne correspondant en rien à la réalité. D’une part la Guyane offre à toute personne curieuse du monde un champ de découverte unique dans l’espace français, enrichissant pour tout un chacun, conjoint et enfants compris. D’autre part, le tribunal est une structure solide, vivante et accueillante : y travailler est une expérience intense et formatrice. En outre, la part très importante du contentieux des étrangers, plus des deux-tiers de nos entrées - donne à notre travail un caractère humain très marqué… Enfin, le tribunal juge des litiges à forts enjeux environnementaux.
À la suite de la journée d'étude le 15 novembre*, consacrée au bilan de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 en Guyane, quels sont vos principaux enseignements sur cette crise ?
La journée d’étude a permis d’entendre des personnalités diverses – hauts responsables de l’administration, magistrats, avocats, universitaires, élus, acteurs socio-économiques – exposer leurs actions en Guyane, la complexité des problèmes posés, s’interroger sur les contraintes imposées aux droits et libertés et tirer expériences et leçons de cette période d’exception.
Pour rappel, la Guyane a vécu en état d’urgence sanitaire quasi en continu de mars 2020 à début mars 2022 avec couvre-feu et confinement. Des restrictions sévères à la liberté d’aller et venir ont été imposées à ses habitants, tant pour sortir du territoire ou y accéder mais également à l’intérieur même du territoire. Des contraintes fortes ont été mises à la liberté d’être ensemble et de se réunir. Enfin, la liberté d’entreprendre a été limitée quand elle n’était pas suspendue. Avec bien sûr des conséquences pour l’économie du territoire, l’emploi, l’éducation, la santé, en particulier pour les populations déjà précarisées et celles vivant à l’intérieur du territoire.
Dans les faits pourtant, le contrôle qu’a eu à exercer le tribunal administratif sur les mesures prises par le préfet a été d’ampleur modeste. D’une part du fait du verticalisme administratif, les mesures prises à Paris en conseil de défense sanitaire étaient déclinées localement avec peu de marge de manœuvre laissée au préfet. Ce dernier l’a reconnu lors de la journée d’étude en insistant sur ses efforts pour faire reconnaître la spécificité du territoire. Point de vue confirmé par la directrice générale de l’ARS qui a regretté l’absence de place laissée à la concertation en local et le défaut de prise en compte du sur-risque lié au territoire et à son isolement. Premier enseignement : le pilotage descendant mis en œuvre en Guyane mérite examen et devra être évalué. D’autre part, les référés liberté ont été peu nombreux alors que les contraintes imposées étaient globalement mal vécues. Ce constat renvoie, second enseignement, aux questions récurrentes sur les problématiques d’accès au droit et à la justice en Guyane.
Vous avez mené récemment des actions nouvelles telles que les audiences « hors les murs » et les « pirogues du droit ». Pouvez-vous nous dire dans quel objectif et si de votre point de vue elles ont porté leurs fruits ?
Les audiences « hors les murs » tenues depuis 2018 à Saint-Laurent-du-Maroni, deuxième commune la plus peuplée du territoire située à 270 kms de Cayenne, la participation du tribunal aux pirogues du droit organisées par le CDAD sur le fleuve Maroni comme toutes les autres activités hors-les-murs menées par le tribunal (colloques organisés avec l’Université, nuits du droit, dialogue avec le grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengés, rencontres-débats avec des associations… ), enfin le travail constant de communication conduit par le tribunal, n’ont d’autres objectifs que de mieux faire connaître la justice administrative, dire ce qu’elle est, à quoi elle sert, en d’autres termes favoriser l’accès de l’ensemble des Guyanais au droit et à la justice. Pour exemple de ce défi, je citerai le cas de l’Ouest guyanais, en gros l’arrondissement de Saint-Laurent-du-Maroni, qui rassemble plus d’un tiers de la population du territoire mais moins de 10% des requêtes enregistrées par le greffe. C’est un travail de longue haleine qu’il faut absolument poursuivre pour que le service public de la justice administrative en Guyane ne soit pas un concept vain.
Les événements
70e anniversaire de la Cour nationale du droit d’asile
Créée en 1952, sous le nom de Commission de recours des réfugiés, la Cour nationale du droit d’asile (rebaptisée ainsi en 2008) a célébré en 2022 son 70e anniversaire. À cette occasion la cour a organisé le 28 octobre, le colloque « 1952-2022. Le droit d’asile en mouvement » pour débattre de l’évolution du droit d’asile, de ses enjeux et perspectives d’avenir à l’échelle européenne avec des magistrats français et européens, des universitaires et des experts internationaux.
Conférence-débat sur la laïcité au Conseil d’État
À l’occasion de la Journée nationale de la laïcité, vendredi 9 décembre 2022, le Conseil d’État a organisé une conférence-débat inédite en présence d’experts de renom sur le thème « La juridiction administrative à l’écoute de la laïcité ». Bilan de la situation en France, origines de la laïcité, cadre dans lequel elle s’exerce… cette conférence a permis d’aborder cette notion fondamentale de notre pacte social, sous les angles historique, sociologique, juridique et politique.
Audiences solennelles et annuelles dans les juridictions administratives
En novembre et décembre derniers, les tribunaux administratifs de Grenoble, de Nîmes, de Lyon, et de la Guadeloupe ainsi que les cours administratives d’appel de Lyon et de Marseille et de façon conjointe le tribunal administratif et la cour administrative de Versailles ont organisé leur audience solennelle. Durant ces rendez-vous qui ont réuni élus et représentants des autorités civiles, avocats et représentants d’organismes socio-professionnels, les juridictions ont fait le point sur les temps forts passés et à venir, leurs contentieux et les grands projets en cours. Par ailleurs, le tribunal administratif de Wallis-et-Futuna a organisé le 25 octobre son audience annuelle sur le territoire de Wallis, tandis que le tribunal administratif de Saint-Barthélemy a tenu, pour la première fois de son histoire, une audience le 29 novembre à Gustavia.
1ere édition du prix de la cour administrative d’appel de Douai
En 2022, la cour administrative d’appel de Douai a créé un prix pour récompenser l’excellence et l’originalité d’un(e) étudiant(e) en master 2 de droit public d’une faculté de son ressort. Pour cette première édition, le jury (composé de magistrats de la cour et d’enseignants à l’université) a choisi de primer le mémoire d’une étudiante en droit des affaires publiques à l’université de Picardie Jules Verne, intitulé « La carence de l’État dans la lutte contre le changement climatique sous le prisme des recours climatiques emblématiques de « Grande Synthe » et de « l’Affaire du Siècle » ».
La justice administrative à l’international
Séjour d’études au Québec
Questions à Eve Wohlschlegel, magistrate administrative au tribunal administratif de Bordeaux.
Dans le cadre du dialogue constant que la justice administrative entretient avec ses homologues internationaux, Eve Wohlschlegel a passé trois semaines au tribunal administratif du Québec, en octobre 2022. Partage d’idées et d’expériences, échanges sur les jurisprudences et les opportunités à saisir pour le juge administratif : retour sur ce séjour d’études.
Comment est organisée la justice administrative québécoise ?
Le tribunal administratif du Québec est unique et son ressort territorial couvre toute la province de Québec, qui compte environ 8,6 millions d'habitants. Il dispose d'une compétence d'attribution, qui résulte de plus d'une centaine de lois.
Il comprend à ce jour 122 juges spécialisés, dont principalement des juristes (avocats ou notaires), des médecins, des travailleurs sociaux et quelques urbanistes, ingénieurs et agronomes. Pour être nommés juges administratifs, les candidats doivent appartenir à un ordre professionnel et justifier d’une durée de pratique pertinente de dix années.
La formation de jugement comprend dans la plupart des cas deux juges, dont un juge avocat ou notaire, l'autre juge étant choisi selon la matière à laquelle se rapporte la contestation.
En 2020-2021, le tribunal administratif du Québec a enregistré 7 236 recours, et en a clôturé 6 806. Il a tenu 10 193 séances de conciliation et audiences.
Le tribunal administratif du Québec est un tribunal de dernier recours. Il n'existe pas de juridiction administrative d'appel. Sauf exceptions prévues par la loi, qui seront jugées par la Cour du Québec (affaires immobilières, agriculture), il n’est donc pas possible de faire appel des décisions qu’il a rendues. Dans toutes les autres matières, ses décisions pourront néanmoins faire l’objet d’une demande en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure du Québec, qui se bornera à vérifier le caractère raisonnable de la décision.
Autre différence majeure, les juges du tribunal administratif du Québec disposent du pouvoir de déclarer eux-mêmes une loi constitutionnellement inapplicable à un litige.
Pouvez-vous nous indiquer un point saillant et original qui vous a frappé dans l’organisation de la justice administrative au Québec ?
Il y en a plusieurs. D’abord, le mode de financement du tribunal : son budget est alimenté par les contributions des ministères selon la proportion des requêtes générées par leurs décisions, et ce, tant que le recours est en cours. Cela encourage les administrations à régler rapidement le litige au cours de la phase de médiation. Dans certaines matières, seuls 20 à 30% des recours arrivent jusqu'à l'audience.
Ensuite, le désintérêt total pour la légalité externe de la décision contestée : le tribunal vérifie seulement que la décision prise est la plus appropriée et substitue sa propre décision si ce n’est pas le cas.
Enfin, la façon bienveillante qu’ont les juges d’accueillir les parties à l’audience, de leur souhaiter la bienvenue et de laisser s’exprimer les justiciables. J’ai été frappée de voir à quel point le seul fait d’être entendus procurait un sentiment de justice et d’apaisement aux requérants, au-delà même du sort réservé à leur recours.
Agenda
10 Février 2023
Colloque en partenariat avec la CNIL et l'Alliance des instituts hospitalo-universitaires. IA et mégadonnées : comment vont-elles révolutionner la pratique médicale ?
22 Février 2023
3e conférence du cycle de l’étude annuelle « Le dernier kilomètre des politiques des politiques publiques » : Comment adapter les politiques publiques à leurs destinataires ?
28 février 2023
Prix de thèse en droit public 2023 – Date limite des candidatures 28 février 2023. En savoir plus sur le site du Conseil d’État.
13 Mars 2023
Conférence de Bruno Martin-Gay - L’œuvre jurisprudentielle en matière électorale du Conseil d’État sous Napoléon III (cycle Vincent Wright)
24 Mars 2023
Les Entretiens en droit social : La parole de l’usager dans le monde sanitaire et social
2 Juin 2023
Colloque Conseil d’État & Cour de cassation - De la régulation à la compliance : quel rôle pour le juge ?
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